Le Patriarche
Prologue
Florent (Warly) Villard
Janvier 1984 - Octobre 2001
Version: 1.0.9 - 19 Septembre 2003 - 14
Copyright 2001, 2002, 2003 Florent Villard
Remerciements
À Monsieur Yves Gueniffey, sans lequel ces écrits n'auraient peut-être jamais commencé.
À Manu, pour tous ses commentaires.
À Anne, Aline, Vanessa, Pascal et Zborg pour m'avoir relu et corrigé.
Table des matières
Passé
Désespoir
Vendredi 28 janvier 2005, jour 647
Les traces du passé sont difficiles à déceler. Délicat de savoir les éléments qui ont vraiment de l'importance. Une chance qu'Ylraw eut toujours cette obscession de l'écriture, de raconter sa vie.
Tout était différent depuis le début, je le savais, mais je ne le croyais pas. Tous ces écrits m'ont aidé à tenter de comprendre qui il est vraiment.
Son enfance est marquée par son attachement à son village, Châteauvieux. Ces terres sur lesquelles il a grandi, et que Sarah redoute tant. Il y a quelque chose là, quelque chose qui rend les hommes différents.
Je me rappelle, je me rappelle ce jour où il s'est renversé cette tasse de café bouillant dessus, je me rappelle qu'un peu après une femme est venue. Je n'ai que l'image floue d'une jeune femme. Mais elle était belle, tellement que pense que ma vision de la beauté n'est autre que son image.
1984, ses tout premiers écrits.
Jeudi 4 janvier 1984
Nous sommes allés au ski aujourd'hui. Il a fait Soleil. Je suis tombé deux fois et Mathilde quatre fois. Fabien est malade.
Vendredi 5 janvier 1984
Il fait Soleil, Fabien est toujours malade.
Vendredi 28 janvier 2005, jour 647
Fabien est son petit frère, de quatre ans son cadet. Il continua ainsi d'énumérer quelques jours, se préoccupant principalement du temps. Mais est-ce si anodin, finalement, cet attachement pour le Soleil ? J'ai longtemps cru que c'était la simple influence de la télévision, "Les Mystérieuses Cités d'or", qu'il regardait avec tant d'assiduité, et où Esteban, fils du Soleil, pouvait le faire venir par un sourire. Je me rappelle qu'il se demandait tout de même ce qui se passerait si jamais il souriait la nuit.
J'ai retrouvé un agenda, de l'année suivante, 1985. Rien de très intéressant, si ce n'est quelques jours après une chute qui lui valut des points à la tête. Le médecin l'avait mal recousu, et sa blessure s'infecta.
Lundi 26 août 1985
Je suis tombé hier. À l'hôpital il ne m'ont pas endormi et ils m'ont mis cinq points. J'ai eu très mal.
Dimanche 1 septembre 1985
Je suis retourné à l'hopitâl aujourd'hui. Le docteur m'a décousu et recousu. Mais je pense que comme la dame elle m'avait guéri, c'était pas la peine.
Vendredi 28 janvier 2005, jour 647
C'est flou dans mon esprit, mais je pense me rappeler qu'effectivement, le médecin n'avait pas jugé bon de l'endormir pour le recoudre, il avait dû tout de même l'anesthésier un minimum, j'ai du mal à croire qu'il l'eût recousu directement.
Cette dame dont il parle, c'est toujours la même que celle évoquée plus haut, et c'est encore la même qui a rappelé à Ylraw de retour d'Australie l'existence de la Pierre Univers et la nécessité absolue pour lui de la retrouver ; c'est très clair dans mon esprit désormais. Alors qu'il n'avait que neuf ans, elle est passée le voir, un moment où il marchait seul sur la route pour rejoindre sa grand-mère. Elle lui a parlé un instant, a touché sa blessure au front. À l'époque il était persuadé qu'elle l'avait guéri. Et puis il a oublié, comme on oublie tout ces mythes auxquels on croit quand on est jeune.
Mais aujourd'hui il n'y a guère de mythes auxquels je ne crois plus...
Je n'ai pas retrouvé de documents sur la période s'étalant de 1985 à 1992. Il est entré au Collège, à Gap, en 1987, et il l'a quitté pour le lycée en 1991. Je ne me rappelle rien de notable sur cette période, si ce n'est qu'il oubliait un peu son monde pour la réalité des hommes. Il oubliait Dieu et se cantonait à ce que voyaient ses yeux.
Entre 1992 et 1994, il écrivit presque au jour le jour. Le Soleil est toujours présent, presque chaque jour.
Après son bac, en 1994, il partit à Grenoble, pour ses classes préparatoires. Il souffrit les premiers mois du manque de Soleil, puis celui-ci revint. Il n'y a rien de bien notable sinon, en 1996 il intégra les Mines de Nancy, pour trois années qui le menèrent à son diplôme en 1999.
C'est aussi en 1999 qu'il commença la mise en place d'un site web relatif à linux, sa passion grandissante depuis 1996. Il y écrivit en réalité beaucoup plus, dépassant largement sur sa vie et sa vision du monde. Il déménage de Nancy vers Orsay, dans l'Essonne, dans un premier temps, pour son stage à Motorola, puis d'Orsay à Gif-sur-Yvette et son premier emploi à Silicon Graphics. Il y restera tout juste cinq mois, avant de rejoindre Mandrakesoft, société éditrice du système d'exploitation Mandrake Linux. Il y entra le 22 novembre 1999, et marqua ainsi le début de son implication véritable pour les logiciels libres, logiciels que tout un chacun peut modifier, copier, revendre. Une nouvelle vie qui lui valut aussi sa rencontre avec Virginie et son déménagement pour le centre de Paris, rue Crillon, en février 2000. Il écrit toujours, soit sur son site internet, soit brièvement les détails de sa vie au jour le jour, puis, vers l'été 2000, délaisse un peu l'écriture.
Vendredi 28 janvier 2005, jour 647
Juillet 2001, Virginie vient de le laisser. Il écrit de nouveau.
Ses écrits n'étaient pas trés ordonnés, je vous préviens...
Ce n'était pas très ordonné et pourtant, pourtant en quoi une vie qui coulait, qui se construisait, qui se détruisait, n'était-elle pas ordonnée ? C'était le temps qui passait, l'ordre.
Il était une fois. Il était une fois quelques jours, quelques moments. Un peu d'une vie, un peu de désespoir, un peu d'espoir. Comme une quête, une recherche. Jour après jour, en en oubliant certains, trop fatigué, trop occupé. Le monde change, les hommes moins vite, les paradoxes se créent, les incohérences. Les valeurs, la morale, les envies, les vices, les buts, toutes ces questions avec mes réponses. Le mal, le bien, le révoltant, le désespérant...
C'est dans cette période que l'on trouve sans doute la source de mes futures inombrables discussions avec Enavila.
Jeudi 19 juillet 2001
Réveil le matin on n'attend pas trop. Les choses se passent. On se lève. Éventuellement on fait un câlin, éventuellement on écoute les catastrophes du matin aux infos. Tout dépend un peu d'avec qui on est. Seul ou pas. Nous restons seuls de toutes les façons, à bien y réfléchir c'est presque automatique. On mange, on a faim. On ne sait même pas trop si on a faim. En tous les cas cela se passe le matin c'est le matin, à part les infos et le câlin, il n'y a finalement pas beaucoup de marge. Travailler, il le faut. Paraît-il. On part tôt ou on part tard. On a des idées, parfois. Et parfois moins. Les choses s'accumulent sans notre aide. On rigole. On ne rigole pas. On mange un peu ou beaucoup. On lit ses mails, des centaines de mails qui nous tiennent en vie, presque... La journée se termine sans avoir vraiment commencé. On discute un peu, on parle de choses qui nous tiennent à coeur, parfois. Ou on ne sait pas trop à vrai dire, ce qui nous tient à coeur ou pas. Est-ce le temps ? Les personnes qui partent ? Ou qui arrivent ? Les personnes qui pleurent, les personnes qui sont seules, la bourse qui monte, et la bourse qui descend ? Tout se passe, finalement, presque trop facilement. On gagne un peu d'argent qu'on n'a même pas envie de dépenser. La télé ne sert plus à rien tellement le temps est gris, point de météo qui puisse y changer quoi que ce soit. Et ces livres, ces films, qu'on ne lit et ne regarde pas pour vivre soi-disant plus que de ne rêver. Ne vaut-il mieux pas rêver, parfois, tellement inutiles sont ces jours qui s'accumulent ? Quelques espoirs toutefois, quelques sourires, finalement, quelques rêves, tout compte fait... Mais toujours un matin suivant, un autre réveil, une autre vie. Réveil qui ne sonne même plus tellement il est normal de faire une journée après l'autre. Réveil qui en perd ses bâtons tellement le temps devient inutile. Même plus de fatigue, à croire qu'il n'y a plus rien à retenir, que la mémoire ne sait plus trop ce qu'elle veut et ce qu'elle ne veut pas... Partir pour revenir, quelques vacances là où tout n'est que retards qui s'accumulent, comme les jours, comme les mails, comme les chiffres dans les cahiers, comme si chaque instant avait une importance pour qu'on le garde sur un support, alors que des milliards d'instants s'envolent et passent on ne sait où sans que jamais personne ne s'en inquiète...
Mais où va-t-on ?
19 juillet, 2001, 9 heures 45.
Rien n'est commencé, tout est vierge. Le travail est à faire, la préparation est terminée, il est temps d'être un peu. Plus de jeu, on est ou on n'est pas.
Vendredi 20 juillet 2001
Qu'est ce qu'on peut bien gagner en une journée ? À côté de tout ce que l'on perd. Pourquoi est-on triste certains jours, certains moments ? Pourquoi les choses passent ? Pourquoi n'a-t-on rien qui tienne ? Pourquoi les gens se lassent ? Pourquoi tant de fois à tenter d'avancer on se retrouve toujours au même point, seul. Quel est l'intérêt ? Quel est le but de toutes ces choses ? Je me moque du passé, c'est le présent qui m'intéresse, et à chaque fois que je m'en rends compte, je suis triste, n'y aurait-il donc que la tristesse qui nous montre le temps qui passe ? Pas de câlin. C'est ma faute, ce n'est pas ma faute, c'est la faute à qui ? À quoi ? Et pourquoi cela fait mal ? Qu'est-ce-qu'on peut bien gagner en une journée ?
Se laisser vivre, le rêve de beaucoup, n'est peut-être finalement que le plus grand des cauchemars. N'avoir qu'une vie inutile, remplie de plaisirs éphémères et sans portée. Mais où est donc ce qui est écrit dans ces livres ? Où est donc cet amour ? Cette motivation ? Ces grandes choses que l'homme est sensé faire ? La morale et l'éthique, le respect de l'individu, les conventions, les protections, les associations, les droits égalitaires... Ne seraient-ils pas, finalement, ce qui aseptise notre diversité, et nous réduit à n'être qu'un citoyen monotone, mono-goût, monoculture ? Je n'ai pas envie, moi, d'être comme les autres, traité comme les autres, ignoré comme les autres. Qu'est ce que j'ai fait, dans cette journée, que je pourrais raconter plus tard, sans avoir la triste impression qu'elle n'était, finalement, qu'une journée si banale qu'elle résumait à elle seule la vie de la majeure partie de l'humanité.
Se laisser vivre, c'est mourir prématurément.
Pourtant il est si est dur d'être tout le temps, en permanence, attentif. N'a-t-on vraiment droit à aucune faiblesse ? Restera-t-on vraiment si seul ? Il est des douleurs qui sont toujours les mêmes, et dont on se lasse presque tellement on les connaît, presque en nous, presque nous. Il est dur d'aimer, peut être pas aussi dur de ne pas aimer, mais qu'importe, puisqu'au final tout revient toujours au même.
Samedi 21 juillet 2001
21 juillet, 2001, 15 heures 14, j'ai perdu, une fois de plus. Pourquoi l'espoir est-il toujours là ? Comme s'il ne servait qu'à alimenter la douleur.
Je ne sais plus trop ce qu'il faut faire, ce que je dois faire, et pourquoi. Pourquoi je suis là, pourquoi j'ai choisi cette route et où elle me mène. Je me suis longtemps dit, pendant ces moments, que la voie ne pouvait être faite que de solitude, et malgré tous les efforts, je n'ai jamais pu, réellement, me prouver le contraire. J'aimerais parfois m'arrêter, juste là, attendre, ne plus avoir à réfléchir, ne plus avoir à encaisser, juste me reposer. Ne peut-on vraiment créer que dans le tourment ? Dans la peine et la rage, n'y a-t-il que ces sentiments comme combustible à la créativité ? Le bien ne sortirait-il que du mal ? Je suis fatigué de tout cela.
21 juillet, 2001, 21 heures 26, la liberté est un mal, une porte ouverte à la débauche, et à l'inutilité.
Je ne veux pas que ce soit facile, je ne veux pas décider de quand j'ai envie d'aimer ou pas, d'être seul ou pas, d'être heureux ou pas. Je ne veux pas que le plaisir soit comme la télé qu'on allume et qu'on éteint, le frigo, le cinéma, la fête... Je veux mériter. Je veux souffrir pour savourer. Je n'aime pas ce monde où tout est si tendre, si proche, si facile, où quand on est malheureux ce n'est qu'un chagrin d'amour. L'homme n'est qu'une livide ineptie dans le confort. J'ai honte, parfois.
Dormir parfois donne un peu de courage, un peu de raison, un peu de quoi avoir envie de faire quelque chose. Ou au moins d'en avoir l'idée. Pas toujours. Peut-être que trop dormir, comme de trop faire quoi que ce soit, ne fait que détruire la vertu de l'action. C'est presque de ne pas avoir mal qui me le fait. C'est difficile à comprendre. C'est comme si subitement, alors que c'est toujours un peu l'esprit qui agit sur le corps, pour le rendre plus fort. Comme si subitement à trop subir c'est le corps qui devient plus fort, insensibilise, rend indifférent... Aimer est une belle chose cependant, mais il est à croire qu'elle ne survit pas au traitement qu'elle subit dans notre société moderne. Cela me tue, presque, de n'avoir plus rien, de ne sentir plus rien. Pourtant je suis triste, peut-être la douleur change-t-elle, peut-être deviens-je plus mature, et que ce n'est plus la passion qui me tue, mais l'absence de logique.
La route est longue, et semée d'embûches, heureux ceux qui peuvent la suivre longtemps...
Dimanche 22 juillet 2001
22 juillet, 2001, 9 heures 08, nuit trop longue, nuit trop facile, où êtes-vous, mes insomnies ?
Peut-être finalement que c'est seul que chacun doit faire son chemin. Peut-être aussi que n'importe pas cette morale et cette vertu ; pourquoi donc s'inquiéter du futur, des autres, et pourquoi ne pas simplement prendre le plaisir où il est, vivre intensément, pour mourir jeune et plein d'images ? Il est des jours où on se demande s'il y a réellement quelque part une grandeur de l'homme, ou si ces habits ne sont pas que la honteuse couverture d'instincts primitifs qui sont toujours intacts et ne font que se révéler de plus en plus, à la mesure de la facilité grandissante de la vie dans nos sociétés modernes. Mais comment la spiritualité et la sérénité peuvent-elles sortir d'une suite de plaisirs pris comme ils viennent ? Encore une fois n'est-il pas infiniment plus séduisant de mériter ? Le bonheur de l'instant est si facile, il ne peut ne pas avoir de contrepartie. La solitude doit être un bonheur plus grand, peut-être. Toute cette histoire qui nous vient de la Bible, Ancien Testament, Coran, et autres, ne serait-elle pas finalement l'amoncellement de l'expérience de la voie qui mène a la sérénité et au bonheur ? Et que notre soif de plaisir immédiat ne fait que bafouer pour nous ramener dans la solitude, la tristesse et l'oubli...
Il est paradoxalement parfois réconfortant de ne rien attendre, de vouloir juste faire ce que l'on a à faire, et de ne pas espérer, ou vouloir, plus que ce que l'on a ; comme si la fatigue et la lassitude avaient pris place définitivement. L'occupation désintéressée semble le doux réconfort de l'oubli et de l'insouciance, comme si on cherchait à s'occuper l'esprit simplement, pour faire passer le temps.
Lundi, premier jour de la semaine.
Dernière semaine de juillet 2001.
Qu'aurais-je fais en ce mois ? Qu'aurais-je fais pour en être fier et qu'aurais-je fais pour avoir à faire mieux le mois prochain ?
La prise de conscience peut-être, simplement, la prise de conscience que la vie n'est pas ce que j'ai, et que l'avenir n'est pas ce que j'attends.
Mardi 24 juillet 2001
Réveil sans réveil, point d'urgence, trop de sommeil même, peut-être, à croire que la mesure n'existe pas, soit trop soit pas assez, mais que préférè-je, entre me réveiller près d'elle ou reposé, que préférè-je, entre la déraison et l'ordonné, entre les caprices des relations humaines, et le charme réconfortant de la solitude ?
Tout semble encore bien confus, mon désir d'être d'il y a quelques jours, ma soif de contrôle, peut-être aussi. Tout cela n'est pour l'instant que rêve et je me confronte toujours, comme beaucoup, à subir les jours, les nuits, le temps qui passent. Mettre en valeur chaque instant, ne perdre rien, que chaque moment apporte toujours sa part. Mais il est si facile de dire, si facile de se croire fort, tranquillement installé chez soi, et de s'apercevoir de sa faiblesse, de ses faiblesses, quand on se retrouve en face de ce que l'on attend, comme si on se connaissait si mal, que la surprise de nos envies, de nos réactions, est une excuse pour remettre à plus tard nos volontés. L'accord entre notre raison et nos actes serait-il moyen à grandir notre sérénité ? Ou n'est-ce encore qu'un aveuglement de plus sur les buts et desseins de l'homme dans son ensemble, homme animal, physique, moral, spirituel ? Y a-t-il vraiment un chemin sans souffrance pour l'homme, ou restera-t-il déchiré entre ses instincts et ses rêves tant que sa couverture charnelle dictera ses volontés bien plus fort que les soupçons de raison qui l'habitent ? La solitude ou la déraison, que vaut-il mieux ?
Mardi, 24 juillet 2001, 8 heures 08 deuxième jour de la semaine, longue semaine, comme si la réaccoutumance rendait le temps plus présent, moins fluide, plus pesant...
Il est des moments où on ne sait jamais trop ce que l'on doit faire, où entre un mal et l'autre, il est difficile de choisir. Le mal d'être loin, mais qui lui permet d'oublier, et le mal d'être près, qui remue le couteau dans notre plaie. Il est si dur de laisser s'écouler ses jours quand on ne sait pas sa route. Il est si dur d'accepter d'attendre, pour savoir, quand tout ce qui nous importe est ailleurs que là. Il est si dur de réapprendre à rester seul. L'impatience, c'est peut-être cela, finalement, qui nous détruit tous...
Jeudi 26 juillet 2001
26 juillet, 2001, 8 heures 50. La lassitude est toujours là.
La lassitude arrive toujours, je ne sais pas trop pourquoi. Sans doute parce que notre monde moderne nous habitue au changement, à la nouveauté, à ne jamais garder quelque chose très longtemps, à en changer au moindre signe d'ennui. Qu'est-ce qui est bien ? Je ne sais. Cette liberté de choisir, d'avoir cette impression de contrôle sur nos vies, mais de ne rester que dans l'éphémère, l'incomplet, l'inachevé, ou cet intolérable mais malgré tout passionnant enchaînement qui ne nous laisse pas d'alternative à la lutte, chaque jour, chaque instant, et où la possession n'est que foutaise, où on ne survit pas seul, où on regarde toujours l'avenir avec des yeux éblouis, mais où ce n'est pas notre ennui qui nous guide, mais notre soif de vivre.
Vendredi 27 juillet 2001
27 juillet, 2001, 8 heures 15, clash plus une semaine, longue nuit, encore, trop de rêves inintéressants.
Je me suis souvent demandé ce qui faisait avancer les gens. Ce qui faisait qu'ils avaient envie de continuer à vivre. La peur de mourir en fait partie, sans doute, la peur de souffrir, le réflexe non naturel de se donner la mort. Mais elle n'explique pas, j'imagine, tous ces jours de désespoir. Certains doivent vivre pour leurs enfants, et c'est une élégante et facile façon de se décharger de la responsabilité de justifier sa vie. D'autres doivent espérer je ne sais quoi, le bonheur sans doute. Mais y a-t-il vraiment de bonnes raisons, dans toutes les raisons qui existent, y en a-t-il au moins une qui soit une vraie raison de vivre, de se battre, jour après jour, de souffrir, jour après jour, de ne jamais baisser les bras, de se relever, quoi qu'il arrive, de ne penser qu'à elle, jour et nuit, jusqu'à la fin ? Les plaisirs éphémères n'apportent pas le bonheur, ils ne font qu'entretenir une illusion, qui s'envole bien vite, quand on rentre, tout seul. Le bonheur est peut-être dans le souvenir, souvenir des bons moments. Mais ne seraient-ils pas plutôt plus à même d'amener la nostalgie ? Mais le bonheur peut-il être autre chose que le souvenir ? Puisque le présent nous dépasse un peu, reste incertain, reste éphémère, et s'envole. Nous ne nous rendons compte du bonheur que de temps en temps, rarement sur le moment. Les erreurs et les défaillances reviennent aussi, se mêlent, s'entremêlent, et laissent au final une impression étrange, qui doit fluctuer avec les humeurs et les instants. Qu'est ce qui me fait avancer ? Est-ce que je suis heureux ? Pourquoi est ce que je ne me ressasse jamais le passé ?
Samedi 28 juillet 2001
28 juillet 2001, 10 heures 54, samedi, dernier jour de la semaine, jour de repos, jour de solitude, jour de remise en question, jour de réflexions diverses.
Nous sommes si faibles, parfois, souvent, de ne vouloir que de tant de choses, de tant de force, et de céder, si facilement. À vouloir être trop fort on se masque souvent la vue, et on en ressort que plus faible, au final. Serait-ce vraiment si dur de se voir comme nous sommes, d'accepter, de comprendre, et de contrôler, peut-être, ne serait-ce qu'un peu ?
Le ciel est gris. Ô mon Soleil ! Où es-tu donc ? Ô mon Soleil ! Comme si ta présence me réconfortait, toi le plus ancien Dieu des hommes... Ô mon Soleil, que dois-je faire ? Ni Dieux, ni démons, ni hommes ne m'ont jamais répondu... Mais toi tu es resté, tout le temps, quelque part où je te retrouve quand les forces me manquent... Mais les forces me manquent-elles vraiment ? N'est ce pas plutôt mon obstination à fermer les yeux devant l'évidence ?
Et le temps passe, nous attendons un peu, nous croyons que les choses vont changer, mais elles ne change pas. Elles ne changent jamais, elles n'empirent pas trop, au mieux... 12 Août 2001, 11 heures 13. La vie continue, nous ne savons jamais trop pourquoi, si nous le méritons ou pas. Mais le temps n'arrange rien, il nous rend plus indifférent à la limite. Mais je n'ai pas envie d'être indifférent... Quant à mieux savoir ce qu'il faut faire, c'est comme si l'évidence même était tellement diabolique qu'on se la masque sous des excuses. Nous ne sommes rien sans nos sentiments. Vouloir les contrôler, les limiter, c'est enlever tout le goût de nos journées, de nos pleurs, de nos blessures, de nos amours perdues. Mais de quoi se rappellera-t-on une fois vieux et fatigué ? De nos amours ratées, ou de ces choses que nous avons passé des jours, des semaines, des années, à construire ? La futilité m'embête. Mais à quoi bon croire qu'une relation, une entraide, ira plus loin la prochaine fois ? Pourquoi ne pas accepter la solitude, s'en fortifier, et avancer indifféremment des autres ? Il est dur de suivre, pour sûr, et presque le rôle de messie serait plus facile à tenir que celui de fidèle. Peut-être ai-je trop attendu désormais, qu'il faut partir, commencer, poursuivre. Je suis perdu, je ne sais pas où j'en suis, ce que je suis, ce que je veux...
11 heures 49.
Mais comment me retrouver ? Quel est l'ordre ? Un fil conducteur, le suivrais-je sans savoir ? Comme si mes idées étaient classées, rangées, ordonnées. Mais le sont-elles ? Sûrement pas, alors à quoi bon ? Autant laisser couler les mots et c'est peut-être la liberté de les ranger comme ils viennent qui permettra à l'ordre d'apparaître.
Mais l'ordre n'est pas, le moins qu'on puisse dire pour l'instant, présent. Et comment faire de l'ordre dans des mots qui viennent d'une vie désorganisée ? Il me faudrait planifier une histoire, mon histoire, puisque tout cela ne représente que l'ensemble des réflexions de ma vie quotidienne. Planifier sa vie, quelle chose immonde, comment peut-on accepter d'avoir une vie pensée à l'avance ? Pourtant construire est une préoccupation, et ainsi devrait ressortir, peut-être pas un plan du futur, mais au moins un constat du présent et une direction. Il est assez difficile de parler de la vie, de sa vie, en voulant rester générique, vague, presque, sans exemple, sans lien avec une réalité, mais c'est peut-être cet effort de prise de recul qui permet une généralisation plus légitime.
La religion est une forme de voie. Du peu que j'en connais, les religions restent assez en accord sur la nécessité de limiter l'égoïsme, et de favoriser l'entraide et la solidarité. Mais depuis la nuit des temps y en a-t-il une qui a déjà réussi à rendre l'homme heureux sur Terre autrement qu'en lui promettant l'invérifiable, la vie éternelle, la rémission des péchés et autres cadeaux bonux post-mortem ? Si cette religion existe je ne la connais pas. Et j'aime à croire qu'il n'est point besoin de promettre pour contraindre, simplement de rendre évident, clair et nécessaire.
Mardi 14 août 2001
Mardi 14 août 2001, 21 heures 57. Journée de travail terminée, qu'ai-je fait aujourd'hui que je garderai demain ? Ne pourrait-on pas vivre nos vies à l'envers, pour peut-être profiter d'abord des sacrifices avant de les faire à l'aveuglette ? Et faut-il les faire, ces sacrifices, faut-il manger correctement, faire du sport, apprendre, se cultiver, pour être mieux, heureux peut-être, plus tard ? Chaque jour les réponses diffèrent, tellement mes idées sont confuses, cueillir le jour, combien d'interprétations peut-on lui associer ? Cueille le jour pour quoi, pour vivre, pour mourir, pour vieillir, pour construire, pour apprendre, pour se reposer ?
Une chose qui est ressortie de mes réflexions, il n'y a pas de règle absolue, ne jamais dire jamais, c'est peut-être la seule règle, finalement, qui serait sa propre exception.
Mercredi 15 août 2001
Mercredi 15 Août 2001, 8 heures 17, un rituel déjà bien établi m'a fait lire mes mails et me tenir au courant des dernières nouvelles, que j'oublierai bien vite pour profiter un peu de cette journée de solitude. Fête de Marie. Autant les rares moments d'écriture que je m'octroie sont-ils disparates et écourtés par les urgences quotidiennes, autant ce mercredi 15 Août, je le réserve à cette activité. M'y conformerai-je ? C'est peut-être la question, mais je n'aurai guère d'activité que je trouverai prépondérante, en tous les cas selon mon humeur présente, mais le temps change si vite... Si ce sont plusieurs heures que j'ai devant moi, peut-être, enfin, pourrais-je imaginer un plan, une logique, quelques heures ne sont pas une vie et cette activité n'aura pas une incidence gênante sur mon impression de liberté. Il serait sûrement intéressant de faire une petite chronologie de ma pensée, de mes efforts, pour d'autant mieux comprendre où j'en suis et où j'aurai prétention d'aller. Laissons-nous, ou je me laisse, plus humblement, aller à une rapide chronologie. À la mode des dissertations de philo, que j'affectionnais, il est vrai, ce sera, autant que je m'en souvienne, un classique intro-description du plan-corps-conclusion, dont le sujet est : "La recherche d'une philosophie de la vie chez l'homme."
8 heures 30, introduction
Trouver la voie sur laquelle on marche et marchera s'immisce presque naturellement dans chacune de nos actions depuis l'enfance jusqu'aux regrets (ou remords, rétorquerons certains), mais n'ayant prétention à parler au nom des hommes, et une fois de plus mon égocentrisme légendaire s'exaltant, je consacrerai cette réflexion à ma vie, en me concentrant tout d'abord sur les causes de ces questions, puis sur les manifestations des réponses, les échecs, et les réussites.
Plan en trois parties, classique, pour ne pas choquer le correcteur, pas de citations, cependant, je n'ai jamais très apprécié trop m'appuyer sur les idées des autres, m'imaginant sans doute que leurs pensées, d'une façon ou d'une autre, m'avaient touché auparavant et influençaient mes propos.
Les raisons du pourquoi chercher une voie, une philosophie, ne doivent pas être en apparence bien compliquées. Le monde dans lequel j'ai grandi, le pays, pour être plus précis, me permettant de ne m'inquiéter que modérément de mon avenir et des problèmes tel que la nourriture et le logement. J'ai eu tout loisir de désirer autre chose qu'une piste profonde de vie classique. Car, même si le besoin restait loin, ce n'est pas pour autant que le bonheur, ou la satisfaction du présent, se manifestait. Se laisser vivre, si cela, dans son insouciance, apporte une voie toute tracée, n'en soulève pas moins des inquiétudes. Et si cela ne continuait pas ? Et si la guerre revenait ? Et si une catastrophe arrivait ? Nos vies sont si fragilement liées à l'environnement, que le moindre minuscule changement pourrait changer pour toujours l'impression de progrès et de sécurité. Mes préoccupations premières étaient d'ordre plus intemporel, sûrement liées à mon intérêt, étant jeune, à l'astronomie et la préhistoire. Et c'est indubitablement les risques d'une chute de météorite ou de surpopulation qui me faisaient espérer de tout coeur un rapide essaimage de l'humanité vers les planètes voisines ou l'univers en général. Mais, hormis peut-être prétendre à participer au développement d'une technologie aidant les voyages interplanétaires, il est difficile de se préparer à une chute de météorite. Cependant ma jeunesse dans un petit village protégé m'a permis, en tous les cas, de rester loin des soucis des jeunes de mon âge, de me consacrer à l'école, le catéchisme, et récré A2, même si je regrette un peu le laxisme de mes parents quant à me laisser regarder ces émissions. Mais c'est sûrement une part importante de moi qui en découle, vu le temps que j'y ai passé. Dans le cas contraire c'était vraiment du gâchis, hypothèse que je ne repousse pas totalement. Je ne sais pas si j'ai vraiment cherché une voie à ce moment là, avant mes dix ans. Ou si c'était plus l'absolue vérité, en tous les cas à mes yeux, qui sortait de la bouche des grands qui me poussait, sans que je n'aie à me poser de questions, vers la route pure et simple d'une pratique religieuse modérée. En suivant les principes des commandements, en attendant patiemment que les jours s'écoulent, que les automnes passent, et que je devienne docteur ou pompier, pour être grand à mon tour, pour avoir une voiture et des comptes à faire, et connaître tout sur le monde en attendant d'être grand-père.
Le collège et le véritable contact avec le monde de mon époque sont une étape, si ce n'est difficile, au moins intéressante sur ma vision du mal, des hommes, et du futur. J'y découvre que la radio ne se limite pas à France-Info, les préoccupations des autres, la télévision qui montre d'autres images que des dessins animés, l'histoire noire, les guerres, tellement proches, pleines de conséquences, encore présentes même, le mensonge. Petit à petit plus grand chose ne tient, pas plus la religion faite par des menteurs, que le doux avenir de docteur ou de pompier, de spationaute peut-être. Mais il est dur, trop dur, révoltant même, de se séparer de son enfance, de réfuter tout ce dont on a mis des années à s'imprégner. Dur d'accepter qu'il n'y a pas de vérité, que tout est caution à critique, doute, suspicion. La crise d'adolescence n'est sûrement pas beaucoup de notre faute, vous les grands qui nous parliez de Père Noël, de joie et de calme, pourquoi d'un coup nous mettre devant vos erreurs, vos faiblesses, vos vices, et espérer que nous aurions encore quelque chose à croire de vous, ou à espérer ? Toujours est-il que si l'apparence est restée sage, il n'en est pas moins vrai que la recherche d'une voie, ma voie, s'est affirmée quand, alors grandissant, à quinze ans, en seconde, année fondamentale, tous mes rêves et espoirs d'une humanité dans l'humanité s'envolaient. Que pouvez-vous espérer de nous, face à votre monde ? Que pouvions nous faire que chercher une autre voie ? C'est sûrement plus le besoin même que la nature de cette voie que me hantait, le besoin de savoir, voir, vouloir quelque chose, quelque chose qui tienne, qui ne s'effondre pas comme tous les châteaux de cartes précédents, quelque chose qui soit là quand il fait froid, quand je suis seul, quand je suis triste, quelque chose dont je pourrai me rappeler, quelque chose qui ne soit pas que cette quête désespérée d'un bonheur éphémère, matériel, futile qui semblait vous préoccuper tous.
10 heures 45, l'obsession de l'heure me mène à me poser des questions, quelle importance, finalement, qu'il soit 10 heures 45 ou 12 heures 20, je n'aurai pas, cette fois, à rendre de copie...
Il est de bon augure de faire une transition, comme si, toujours, la logique devait imprégner toute oeuvre de l'homme, comme si les professeurs avaient peur que trop de naturel, de spontanéité, eussent été néfastes à la philosophie, à l'ordre... Mais le cheminement libre des pensées n'est-il pas celui qui mène réellement à l'innovation, aux véritables limites, nouveautés ? Qu'importe, je me conformerai, une fois de plus, à vos principes...
Une fois de plus la cause de toute réflexion, interrogation et remise en question reste l'histoire, l'expérience personnelle, les non-réponses du monde m'entourant. Mais la longue quête des réponses, des choix, n'en est pas moins entrecoupée de désillusions, de gâchis, de temps perdu...
Quand tout ce que nous croyons s'effondre, quand il n'y a plus que mensonge, quand le monde de demain n'est rien de plus que l'amoncellement des erreurs du passé, nous nous perdons. Nous nous demandons à quoi bon, pourquoi, nous nous demandons qu'est-ce qu'est la vie, à quoi bon le bien, l'entraide, la bonté. Quand nous voyons la compétition, l'égoïsme, la paresse, la faiblesse. Nous apprenons, nous acceptons, nous essayons de nous adapter, de nous protéger. Le mal n'est plus vraiment le mal, il n'y a plus rien de valable, tout est à reconstruire, repenser, réapprécier. Je m'enfonçais donc dans l'athéisme, l'égoïsme, la solitude, comme par copie, comme si c'était la solution, aussi désagréable soit-elle. Apprendre à rester seul, à vivre seul, apprendre à ne pas souffrir, apprendre à accepter. Se préparer à se battre, à ne plus croire en l'homme, rester méfiant, indifférent pour ne pas être touché.
Et le réconfort apparaît, par moments, quand l'indifférence nous rend plus fort, et permet de traverser les épreuves comme si elles n'étaient que des faits banals. Et nous y prenons goût, même, à l'insensibilité et la solitude qui l'accompagne. Et nous nous préparons encore plus dans cette voie qui semble la bonne. Nous endurcissons notre corps, nous apprenons à pleurer seul, nous acceptons l'égoïsme. Nous perdons notre Dieu, petit à petit. Nous en retrouvons d'autres, au détour de chemins. Nous nous en inventons, comme si nous retracions pour soi la relation de l'homme face à l'irréel, le superstitieux, mais au final nous ne nous retrouvons que plus seul, sans Dieu, sans foi, sans rien qu'une carapace de plus en plus dure, et un sourire de plus en plus faux.
Et les années passent, et la routine s'installe, la solitude et les passions individuelles. Le mal parfois même devient une alternative, le mensonge, quand il n'y a plus de valeurs, n'a que le goût passé d'une interdiction d'anciens temps, faite par ceux-là même qui en usent à loisir désormais, tout comme ces autres principes.
Pourtant l'espoir que cette humanité, sinon présente, du moins possible, revient toujours, comme si la solitude et les buts personnels ne pouvaient faire une vie, ou apporter suffisamment de satisfaction pour regarder le passé sereinement. Et si Dieu ne revient pas, si la carapace ne s'ouvre pas, la force acquise n'en est pas moins frustrée que de ne servir qu'à se protéger, oublier les autres, et, peut-être, se dit-on finalement, la souffrance n'est pas si mauvaise que cela, et les joies ne sont pas sans peines. Alors la quête d'une autre voie, pas celle de l'aveuglement de ma jeunesse, pas plus que celle de la révolte de mon adolescence, mais l'éternel compromis entre les deux. Une voie, une philosophie, qui mènerait à la fois ma vie, mais permettrait aussi, idéalement, de servir d'exemple, ou d'aide, à d'autres. Mais tenir compte aussi bien des égoïsmes que des altruismes n'est pas chose aisée, et trouver l'équilibre sera sans doute l'éternelle question du reste de mes jours. Aimer les autres ne fait pas plus souffrir que de les ignorer, j'ai tenté les deux, et si de multiples fois je me reprochais que de ne trop croire en l'amour, ou à une relation pure et franche, il n'empêche que de nier tous sentiments n'apporte pas plus de sérénité. Toujours cette mesure, cette balance démoniaque entre nous et les autres qui nous tue à chaque mouvement... Je n'ai pas la réponse, aujourd'hui, de cette philosophie, de cette voie idéale, et chaque jour je me retrouve encore parfois seul, parfois à vouloir l'être, parfois déçu des hommes, et parfois plein d'espoir. Mais le temps passant je prends conscience que ma plus grave erreur serait de croire qu'il n'y a pas d'espoir de créer quelque chose, d'apporter quelque chose, et que cette humanité n'existe pas.
Je m'éloigne un peu du sujet, comme d'habitude, je me moque de la conclusion, il n'y en a pas, du moins pour l'instant, je verrai plus tard où tout cela peut bien mener avant de prétendre à conclure, si tant est que j'aie envie, un jour, de conclure.
12 heures 49, quelques interruptions, quelques coups de téléphone...
Je ne sais pas quelle sera la fin et pour être franc je ne m'en soucie peu, fin ou pas ce sont les moyens qui comptent. C'est le cheminement, les erreurs, les faux pas, les inquiétudes, l'espoir qui persiste, le courage, l'acharnement, la rigueur, l'innovation, les idées, qui seront retenues. Qui, après tout cela, peut bien se taper de l'oeuvre ? Montrez-moi votre savoir, vos méthodes, vos essais, c'est vous qui êtes l'oeuvre, le reste ne sont que les traces dans la neige. Les règles ne sont bonnes qu'à être bafouées, elles sont soit inutiles et évidentes, soit barrières à l'imagination. Je rêve d'un monde sans règles autres que la sagesse et la vertu, où les hommes s'exprimeront autrement que par des rapports de force, et où les puissants seront des hommes exceptionnels, purs et saints, et non le montant de leurs actifs.
Je ne sais pas quelle sera la fin mais j'espère qu'elle me mènera dans un monde où les gens s'écoutent, se comprennent, acceptent leurs erreurs et les reconnaissent. Mais avant d'espérer pour les autres il me faut espérer pour moi, il me faut trouver cette voie, cette sagesse mêlée de folie, qui me fera avancer sereinement, et qui me montrera autre chose que ces objets de pseudo-bonheur dont on m'abreuve, je ne veux pas de voyages au bout du monde, je ne veux pas d'ordinateur super puissant, je ne veux pas manger des trucs au chocolat aux 12 vitamines, je ne veux pas de voiture rouge qui reconnaît mon déodorant, et je ne veux pas que mon déodorant sente l'huile d'hévéa séchée, qu'on les laisse tranquilles, les hévéas, un peu d'odeurs artificielles me suffisent amplement... Je veux juste de la vérité, de la franchise, de la simplicité. Je veux que nous avancions pour avoir de meilleures voitures, une meilleure alimentation, une meilleure hygiène, mais je ne veux pas vivre pour cela. Je veux que nous avancions pour avancer encore plus vite, pour que chacun ait la liberté de créer, d'imaginer, pour que chacun puisse partager plus facilement, puisse apporter aux autres, et non pour exalter les individualismes et nous enfermer chacun devant notre multispécialDVD dolby multi surround avec des histoires d'amour à l'écran. Je veux que chacun vive ses propres histoires d'amour...
Mais je ne sais pas comment faire, je ne sais pas comment dire, comment changer, comment changer moi-même, comment effacer la rancoeur, comment comprendre les autres, accepter leurs goûts, leurs avis, accepter que je ne suis pas le meilleur, le plus grand ou le plus intelligent, et que beaucoup me dépassent en beaucoup de domaines. Mais c'est à moi de prouver, peut-être, que chacun peut apporter, et que l'égoïsme et l'orgueil ne sont pas que des défauts, que chacune de nos facettes peut être canalisée pour donner quelque chose, si peu soit-il.
Il est déjà un paradoxe de penser que je puisse réellement donner quelque chose et de vouloir créer une voie d'humilité. La réponse tient peut-être dans le fait que l'humilité est aussi un vice, une peur, un retranchement, et qu'il faut savoir aller de l'avant, prendre des risques, montrer ce que l'on sait pour que chacun apprenne à son tour. Aujourd'hui, et je l'espère pour toujours, l'information bouge plus librement, les idées vont et viennent, et si vous me lisez aujourd'hui c'est sûrement grâce à cela, et aussi parce que mon humilité est restée là où elle doit être. Cela ne doit pas se confondre avec trop de prétention, donner son avis n'est pas l'imposer, et ne doit pas l'être.
Fût un temps dix règles sur une caillasse suffirent à ériger des lois pour des milliers d'années. Mais ces règles tombent sous le progrès qui les rend obsolètes ou trop vagues. Que faut-il faire alors, en créer de nouvelles, toujours et sans cesse remises en question et jamais à jour, ou peut-on désigner des sages-qui-ont-la-réponse, et font la part des choses ? Les juges sont-ils cela ? Mais sur quoi sont-ils choisis, sur leur vertu, leur sagesse, leur intégrité, ou leur réussite aux concours ? Qui a le droit de choisir, qui a le droit de changer des règles, la démocratie s'essouffle quand l'indifférence apparaît, quand ceux qui font les règles sont dénigrés, ignorés, quelle légitimité gardent-ils ? Le monde va de plus en plus vite, et la démocratie absolue favorise l'immobilisme, alors où est la voie ? Qui a raison ? Qui doit dire qui a raison ? Qui écouterait un voleur, tricheur, menteur, lui dicter ce qui est bien et ce qui est mal ? Comment faire confiance quand on ne connaît pas, quand on ne sait pas ?
13 heures 59... Zazie, Larsen... Les artistes ont des réponses, parfois, et de douces mélodies... Et chacun à sa manière, apporte sa solution, mais les autres, souvent, n'entendent que la mélodie et pas les cris. Le monde n'est pas rose, nos libertés s'envolent aussi facilement qu'on zappe les images du vingt heures. Mais où donc irons-nous ? À qui est ce monde ? À nous, ou à quelques-uns ?
J'ai mangé simplement, une pêche, un morceau de cabillaud avec du pain, et un yaourt, toujours avec du pain. J'ai mangé simplement comme souvent en me disant que c'est dans la simplicité, d'une certaine façon, que se cache le bonheur. Autant les prophètes vont-ils chercher la bonne parole dans le recueillement, autant apprécier les choses simples permet de goûter chaque instant, d'appréhender le nécessaire et le superflu, et garder à l'esprit ce que sont les plaisirs, les goûts, et les couleurs. Car à trop en voir on prend le risque d'y devenir indifférent. J'ai mangé simplement peut-être aussi par paresse, cuisiner ne m'enchante guère, il est vrai. J'ai mangé simplement sûrement parce qu'il est difficile de prétendre à trouver une voie dans l'abus, l'opulence et la démesure.
La lassitude doit être sans doute une bien mauvaise chose, c'est elle qui détruit nos rêves, qui limite nos créations, qui casse nos relations. La lassitude, l'ennui, l'envie d'autre chose sans savoir quoi. A l'instant même j'ai comme un manque d'inspiration, comme si écrire ne m'intéressait plus, ou si ce que j'avais à dire restait sans importance. La lassitude est sûrement un problème à résoudre, à prendre en compte, à expliquer, à dénoncer parfois, corriger aussi. Il est sans doute légitime d'avoir quelques envies d'autre chose de temps en temps, mais pourquoi les punir ou les refouler, l'homme est curieux, aventureux, c'est sa force, alors pourquoi la lui reprocher ? Mais comment justifier cette lassitude, comment justifier, pardonner, expliquer, que tu puisses ne plus avoir envie d'être avec moi ? Ne plus avoir envie d'aller plus loin ? Comment considérer les changements de goûts comme des atouts, des qualités, quand ils nous touchent si durement ? Il ne faut pas aimer les gens parce qu'ils nous aiment, ou pour qu'ils nous aiment, mais il faut aimer les gens pour ce qu'ils sont. Mais la lassitude est sûrement ce qui nous fait avancer, ce qui nous fait inventer, ce qui nous fait progresser. Quelle cruauté de ne plus être qu'une lumière du passé...
Il est dur d'accepter de ne pas être l'autre tant recherché, de ne plus l'être. Il est dur d'être imparfait, faillible. Il est dur de rester seul. Il est dur de ne pas être égoïste.
C'est malgré tout ainsi que nous sommes, chacun cherchant ce qu'il ne trouvera sans doute jamais. Mais la rancune n'aide en rien, et pas plus que je n'en veux, et n'accepte d'en vouloir, à mes amours qui sont parties loin, je n'aimerais que l'on me reproche ma soif de découvertes, d'aventures... Les autres sont une ressource précieuse, et si l'étouffement de nos villes nous rend souvent seul, il n'empêche qu'il est beau de faire un peu de route ensemble, et que même s'il m'est dur d'imaginer que ma longue route aura un intérêt pour d'autres que moi, je n'en ai pas moins l'espoir que de leur montrer quelques directions.
15 heures 33 minutes 33 secondes, et bien, que de réconfort que de voir passer de temps en temps la pureté... Aussi imaginaire soit-elle.
Tout est si compliqué, tout est si difficile, entre la vie, les envies, les principes, les choses à faire, à ne pas faire, les autres... Tout ce qui a déjà été fait ? Comment rivaliser avec des millénaires de sagesse, de folie, de religion, d'illusion, de prières, de bien et de mal ? Quelle voie montrer, quelle voie espérer pour ces milliards de personnes aussi perdues les unes que les autres. Faire le bien, quel bien ? Être solidaire ? Est-ce que je suis solidaire quand j'ignore tous les sans domicile fixe que je trouve sur le trajet vers mon travail ? Suis-je solidaire quand je ferme les yeux, quand je me repose ? Ne pas mentir ? Ne pas voler, ne pas tuer, ne pas faire ceci, ne pas faire cela, faire sa prière, manger équilibré, faire du sport, payer ses impôts, attendre la sonnerie avant d'avancer... Les hommes créent des lois pour des choses qui ne sont pas des hommes, les hommes créent des lois pour des Dieux. La loi est une foutaise, l'équilibre social ne tiendra jamais très longtemps dès que les gens sauront, voudront, accéderont à l'information de manière uniforme. Les lois sont des foutaises qui ne feront que rendre les choses plus difficiles. Les lois sont tellement des foutaises qu'il faut des avocats par pelletées et des millions pour prouver que l'on a raison. Mais qu'est ce que ce monde ? Quel est ce monde ou le bien et le mal se jouent dans les tribunaux ? Les lois sont des foutaises, et c'est la raison pour laquelle ceux qui les connaissent les transgressent, et ceux qui les respectent les subissent.
Le bien et le mal n'est pas une question d'argent, c'est une question de vertu et de sagesse, et jamais dans toute l'Histoire l'on m'a conté que celles-ci s'achetaient.
Les intérêts détruisent tout, emportent avec eux toute l'humanité qu'il resterait à notre pauvre monde...
Les philosophes au pouvoir.
L'utopie a-t-elle plus d'invraisemblance que de marcher sur la Lune ?
Mardi 21 août 2001
Mardi 21 Août 2001, 8 heures 57, lever réussi, reste à espérer que le reste de la journée sera de même. Le matin est un moment finalement très particulier, où l'on a encore espoir que la journée sera profitable, où on s'énumère toutes les choses que l'on va faire, ou au moins que l'on doit faire. Je ne sais plus trop où j'avais lu ou vu que chaque journée se résume un peu comme une vie, le matin avec les illusions et les rêves, le soir avec la nostalgie, la fatigue, et tout ce que l'on n'a pas accompli.
Je trouve qu'il est dur de faire de chaque journée la pierre supplémentaire à l'édifice, qu'il est dur de faire avancer chaque jour un peu les choses et de le sentir, et de ne pas simplement presque passer le temps sans chercher autre chose que le soir et le repos. C'est peut-être parce que nos journées sont tellement remplies de banalités et d'automatismes que nous n'arrivons même plus à penser à quelque chose de grand, et que nous nous contentons de nous réciter dans l'ordre la succession des étapes, lever, lire ses mails, faire un peu de sport, déjeuner, aller au travail, regarder les nouvelles du jour, aller dire bonjour, se mettre au courant, et il est déjà midi voire plus, manger, travailler, enfin, sans perdre le regard sur le monde, sur ses mails qui arrivent par dizaines, les coups de fil, les nouvelles qui tombent... Peut-être serait-il plus profitable que l'on s'enferme, quelques heures, tous les jours, pour vraiment avoir l'esprit à créer, sans être dérangé, avancer par nous-mêmes, avoir le calme et un peu de temps pour regarder les choses... Même si l'urgence nous fait sûrement avancer plus vite, ce n'est peut-être pas le meilleur moyen pour trouver une bonne solution, et prendre un peu de recul.
Mercredi 22 août 2001
Mercredi 22 Août 2001, 8 heures 27, moins dormi, moins rêvé.
Les jours passent si vite que je n'ai le temps d'intégrer, digérer, ce que j'y fais, ce que j'y apprends. Nous vivons dans un monde qui se précipite, où il faut tout faire, voir, dire, connaître, le plus rapidement possible. Pas étonnant que les gens se lassent des choses, que tu te lasses de moi, si vite...
Mais cela est une bonne chose, je pense, qui n'est dangereuse que si nous ne prenons pas le recul suffisant pour faire la part des choses entre ce qui doit être fait rapidement et progresser vite, et ce qui doit prendre du temps et se construire petit à petit.
L'ordre viendra avec le temps, en répétant, en repensant les choses. L'ordre viendra plus tard, quand j'aurai fait le tour de la question. L'ordre viendra plus tard, quand le désordre aura fait son oeuvre.
Il est dur d'essayer de décrire de trouver une voie, et je comprends à quel point il est facile, indispensable même, de se faire passer pour Dieu pour l'écrire. Les hommes croient rarement les autres hommes, mais qu'ont-ils à reprocher à Dieu ? Et comment le pourraient-ils ? Avec du recul, et un peu d'expérience on comprend beaucoup de choses. Et je comprends à présent que la création d'un Dieu était indispensable, pour que les hommes le suivent.
Mais l'humanité grandira-t-elle au point, un jour, de faire confiance à de simples hommes, apprendra-t-elle à faire la part des choses entre le bien et le mal elle-même ? C'est peut-être la gageure en laquelle je crois.
J'essaie d'apprendre à économiser l'eau, à ne pas laisser couler le robinet inutilement, à couper l'eau sous la douche, et à me dire à chaque petite quantité d'eau perdue, qu'elle l'est peut-être pour toujours, qu'elle l'est peut-être pour beaucoup, et à me dire à chaque petite quantité d'eau que je n'utilise pas, que j'économise, qu'elle est peut-être gagnée pour d'autres, peut-être gagnée pour la Terre. C'est sûrement ridicule, insignifiant, mais j'ai un peu de bonheur, de plaisir, de satisfaction à chaque petit effort que je fais. Il y a sûrement beaucoup à faire, et j'ai sans aucun doute d'extrêmement mauvaises habitudes de respect de la nature et des autres, mais j'espère, petit à petit, apprendre à profiter de ce que j'ai, et l'économiser. Autant le plaisir d'un bain chaud peut-il exister, autant chaque petit effort pour que ce plaisir puisse continuer, de temps en temps, pas très souvent, à exister, est aussi un moment de plaisir, peut-être plus pur, peut-être plus sain.
Jeudi 23 août 2001
Jeudi 23 Août 2001, 8 heures 20, à croire que je me lève de plus en plus tôt.
J'aime bien écouter un peu de musique en écrivant, plutôt de la musique douce, calme, qui arrête un peu le temps. Il est vrai que l'écriture est un peu un moyen de se confronter à l'éternité, et mérite bien un peu plus d'attention et d'abandon. Je ne sais pas si vouloir rendre les choses éternelles est une source de bonheur, mais cela rend les futilités de la vie quotidienne plus anodines, et permet de regarder le futur avec l'espoir que ce que l'on fait, peut-être, un petit peu, restera pour quelque temps, au moins. Chacun a ses mots à dire, chacun a son histoire, et beaucoup doivent avoir des expériences plus intéressantes que ma triste vie, mais peut-être n'ont-ils pas l'opportunité d'écrire, de dire, de faire, alors un peu en les regardant j'en absorbe quelques idées qui ressortiront un jour ou l'autre.
Une grande interrogation que je me pose concernant le bonheur, la philosophie de la vie, la voie à suivre, est la part des choses entre les erreurs et la conscience, entre le raisonnable et le dément, entre le vice et la vertu. Je suis fait d'envies autant louables que critiquables, et je ne pense pas que tout un chacun puisse réellement trouver la voie sur un chemin où il n'y a que souffrance et dévouement. Nous sommes un peu égoïstes, nous sommes un petit peu fainéants. Mais comment faire la part des choses, où mettre la limite ? Ai-je le droit de te voir ? Dois-je attendre, faire mes preuves, construire quelque chose, te gagner, te mériter, ou puis-je simplement tendre la main ? La voie se trouve peut-être dans un fin dosage de la difficulté à atteindre le plaisir, à le mériter. Le bon sens commun nous rend assez réceptifs au bien et au mal, à l'égoïsme et à l'altruisme, peut-être que de faire un peu de bien aux autres avant de se faire un plaisir plus personnel, avant d'aller au cinéma, avant de manger une pâtisserie, rendrait ces choses tellement plus savoureuses.
Je travaille dans une entreprise qui fait du logiciel libre. C'est-à-dire dont le code source est disponible, et dont la diffusion et la redistribution sont libres et autorisées, gratuitement ou pas. Je ne sais pas si c'est le bien, mais l'idée de partager son travail, de le rendre accessible, et de demander à ceux qui en ont les moyens, ou à ceux qui ont un besoin particulier, de me donner un peu d'argent pour que je puisse continuer, me paraît séduisante et plus conforme à une certaine forme de franchise entre moi et les personnes qui utilisent ce que je fais. Elles ne sont pas trahies, ou trompées, elles peuvent essayer, utiliser, profiter, et choisir, après cela, de considérer que c'est du bon ou du mauvais travail, et de faire une contribution en achetant une version, ou en faisant un don. Internet va tout changer, vous ne le voyez peut-être pas, ce n'est peut-être pour vous qu'un tuyau à sites Web de vente en ligne, ou une infamie de plus de l'ingérence publicitaire sur votre propre bureau, mais c'est beaucoup plus que cela, c'est le lien direct entre créateurs, c'est l'abstraction de l'apparence physique des idées, des musiques, des chansons. C'est ce qui fera que vous pourrez enfin payer pour une chanson ou une histoire, et non pas pour du plastique et du papier ; c'est ce qui fera que chacun devra devenir créateur, artiste, peintre, musicien, et non plus avocat, businessman, publicitaire. C'est ce qui détruira ces empires de pouvoir que sont les maisons de disques, et qui décident de vos goûts et de la tendance du moment, c'est ce qui fera que vous payerez la création, uniquement. Mais il faut peut-être jouer un peu le jeu, alors si vous avez d'ores et déjà des habitudes faites de mp3, de napster ou de gnutella, de temps en temps, écrivez une lettre à votre chanteur favori en expliquant que ce qu'il fait vous plaît, et joignez-y un peu d'argent, il n'aurait pas touché beaucoup plus, de toutes les manières, si vous aviez acheté son disque.
Samedi 24 août 2001
Samedi 24 août 2001, 11 heures 41. Le Soleil brille, le monde tourne, mais où est-ce que je vais vraiment ? Le temps passe et s'en va et je souffre comme je m'amuse. Il est dur de faire confiance, il est dur de croire, il est tellement dur de ne pas savoir, et de devoir se rassurer, s'inventer des histoires, des raisons... La révolte est un choix facile. Où êtes-vous quand vous êtes loin de moi ? Que faites-vous, pensez-vous encore à moi ? L'égoïsme tue, tout autant que l'orgueil, la peur de ne pas être reconnu, de ne pas être aimé. Mais que m'importe, finalement, si tu m'aimes ? Qu'y gagnerai-je, irai-je plus loin, serai-je plus fort, ou perdrai-je mes forces dans des efforts vains ? Tous ces instants où je ne veux que te serrer dans mes bras ne seraient-ils pas mieux utilisés à construire autre chose, à aider d'autres gens ? Mais peut-on aider d'autres gens par simple dévouement, peut-on apporter l'amour sans le connaître ? Peut-on comprendre la souffrance si on ne la ressent pas soi-même ? Le mal est nécessaire en cela qu'il nous donne la force de l'appréhender.
La tristesse est indispensable, c'est un peu comme la nuit. Il n'y aurait pas de jour s'il n'y avait pas de nuit. Elle est peut-être même plus forte que la joie, car du désespoir naît la force de le combattre, d'avancer, de changer les choses. Au contraire, qui voudrait changer le bonheur ? Qui voudrait prendre le risque de tuer sa joie ? C'est souvent de cette tristesse que la force vient, que l'espoir existe, que la volonté se forge. Pleurer de temps en temps c'est comme se reposer après un long combat, cela donne des forces, cela donne de quoi repartir, recréer la volonté.
11 heures 58, le Soleil brille.
L'homme a besoin d'être triste, de temps en temps. Tout le monde est triste, à un moment ou à un autre. Le refuser, le cacher, ne pas le reconnaître revient à refuser sa nature.
Mais en quoi retrouver la force et l'espoir, quelle est cette voie qui fera se relever encore et encore, quel est ce but qui donne pour toujours la volonté de ne jamais céder, ne jamais baisser les bras ? Qu'attendre du futur, qu'en vouloir ? Que m'importe le bonheur des autres, finalement ? Le mien y est-il si intimement lié ?
12 heures 13, le Soleil brille toujours, et les réponses et les questions vont et viennent.
La satisfaction d'essayer de faire de son mieux, de ne pas trahir, de ne pas avoir de rancune, de ne pas faire des choses par vengeance, est une joie qui, si elle n'est sûrement pas intense, apporte cette sérénité permettant de regarder en arrière, peut-être pas sans rien à se reprocher, mais au moins sans trop de remords...
12 heures 37, le temps me manque, la force de ne pas s'arrêter. Le temps me manque. Je ne t'oublie pas, et le temps me manque. Le Soleil brille pourtant, sûrement encore pour quelque temps, mais qui sait ? Quelles sont nos erreurs, nos faiblesses ? Combien de temps cela tiendra-t-il encore ? Les choses peuvent-elles réellement changer ? Que puis-je faire, que fais-je ? Qui m'écoutera, qui me croira ? Et ne suis-je qu'une âme perdue parmi tant d'autres ? Mais qu'importe, qu'importe après tout la vérité, personne ne l'aura jamais.
Me faut-il vraiment être seul pour voir cela, pour avancer, pour ne pas perdre de temps. Me faut-il vraiment être seul pour comprendre votre détresse. Le Soleil brille. J'ai peur, tellement peur que tout cela ne porte jamais ses fruits, que mes faiblesses, mes défauts, mon égoïsme, ne me laissent couché à terre alors qu'il me faut tellement de force. Dois-je perdre mon sang, dois-je tuer mes envies, mes plaisirs, mes vices, pour espérer être quelque chose, pour être écouté ? Mais qui écoute la perfection, je ne l'écoute pas, elle n'est pas moi, ne le sera jamais, à quoi bon ?
Peut-être me faut il un bourreau, peut-être me faut-il être puni pour comprendre. Peut-être que dans l'aisance ne naît que la futilité, que je ne comprendrai jamais votre détresse dans mon monde de luxe et de facilité, dans mon quotidien d'une routine aisée.
Peut-être que j'ai besoin de vous, peut-être que jamais sans vous rien de bon ne sortira de moi...
La trace du présent souvent s'enfonce dans le flou à trop s'y accrocher comme si on ne voulait que jamais les choses ne changent, mais les choses changent, tout s'envole. Faire son temps mais pas plus, savoir mettre un terme, apprendre à arrêter à temps... Pourtant tant de choses sont éternelles que toujours on croit pouvoir faire durer l'instant pour longtemps. Mais l'instant passe, les gens se lassent...
Mardi 4 septembre 2001
Mardi 4 septembre, 8 heures 34. La rentrée. Un peu de nostalgie de mon passé d'étudiant, modérément toutefois, la nostalgie n'apporte pas grand chose, et je préfère le présent. Les choses changent et c'est tant mieux, on se lasse même parfois du bonheur et c'est bien dans le sens où l'on n'avancerait pas dans le cas contraire. Les choses changent et c'est tant mieux, alors pourquoi regretter ? Les choses changent et j'évolue, j'apprends, je grandis, plus trop physiquement, certes, la soupe n'a jamais été mon truc étant jeune, mais peut-être un peu par l'expérience, la connaissance du monde. Les choses changent et tu t'en vas. Mais je ne sais pas si c'est mieux, je l'ai cru souvent, parce qu'il y a toujours mieux ailleurs, parce qu'on gagne à devenir plus fort quand on souffre, parce que la solitude est une force, et pour peut-être d'autres raisons, mais peut-on vraiment toujours trouver mieux ? A-t-on vraiment toujours le temps, en une vie, de ne faire que toujours aller de droite à gauche ? N'est-il pas plus intelligent de faire avec ce que l'on a ? La quête de la perfection est sans fin, heureusement... Mais il se peut que chacun soit beaucoup trop perdu pour ne même que tenter d'aller quelque part, éventuellement pas très loin. Serait-il plus important de d'abord trouver sa voie avant de la faire partager ? Mais peut-on la trouver seul, sa voie ?
Mercredi 5 septembre 2001
Journée pas trop mal commencée, la forme, le moral, on ne pense pas trop, en tous les cas on arrive à ne pas y penser, à se concentrer sur autre chose, à regarder devant, loin, à se sentir prêt à avancer. Un peu de sport, un peu de temps pour soi. Toujours le moral. Les broutilles arrivent, panne de connexion à Internet, pas grave, pars plus tôt au boulot aucun problème, toujours le moral. Un peu de liberté, un peu d'oubli de l'oppression habituelle. Le bruit, les gens, les questions, encore le bruit, encore des questions, mauvaises nouvelles, choses à faire, perte de temps, perte de soi, donner du temps pour rien, tout ce temps qu'on donne sans jamais rien en retour, du bien et du mal, et encore ce bruit, mais ne pourra-t-on jamais être un peu tranquille ? Qu'une envie de partir, de tout foutre en l'air, plus de moral, plus jamais, qu'est-ce qu'on doit faire, qu'est-ce que l'on doit accepter, supporter, supporter et encore supporter, je n'en peux plus...
Elle est où la voie, il est où le calme ? Il n'y en a pas, quand on n'en peut plus, quand c'est trop, pas de sérénité qui tienne, pas de maîtrise de soi, pourquoi est-ce que je ne peux pas partir, au moins aujourd'hui, rien qu'aujourd'hui, pourquoi vous me parlez, cela ne m'intéresse pas, cela ne m'intéresse plus, laissez-moi un peu...
Envie de taper, envie de crier, et de crier encore plus fort, de courir, de partir, de mourir, tout mais pas ici, pas ailleurs d'ailleurs, nulle part, un peu plus loin, plus seul, plus calme... Point de voie qui ne tienne dans la colère, quand les nerfs lâchent, quand la volonté s'envole, quand les yeux brûlent, plus de force, plus de courage... Que doit-on faire dans ces moments ? Doit-on partir, rester, se contenir, oublier, pleurer ? Que doit-on faire, que pourra-t-on donner comme conseil ?
Journée bien commencée n'est pas encore terminée.
Rentré tard, encore. Téléphone, encore. Tout cela pour ne retrouver qu'un retour en arrière, qu'un retour en arrière... Y a-t-il vraiment un réconfort, quand on va mal, quand même un moral et une volonté se font balayer par le martèlement incessant des coups du temps, de la journée, des gens, des choses ?... Peut-être l'accepter, savoir que certains jours sont plus durs, certaines périodes plus difficiles à franchir, peut-être apprendre à se connaître pour prendre ses vacances au bon moment, pour savoir se reposer quand il le faut, pour savoir encaisser le contrecoup...
Juste un peu de calme, un peu de ciel bleu, un peu de mes montagnes à l'horizon, et quelques rayons de mon Soleil, juste un peu de calme... Les choses les plus simples, les plus indispensables, les plus belles, ne se font que détruire par ce progrès factice qui nous rend seul et triste...
Juste un peu de calme, un peu de paix...
Samedi 8 septembre 2001
Samedi 8 septembre 2001, 11 heures 43, journée déjà bien entamée, presqu'à moitié, en réalité. Pourtant rien jusqu'à maintenant que quelques routinières tâches. Si chaque journée de moitié la routine s'est déjà installée, est-ce que cela veut dire que ma vie est déjà consommée à moitié, et qu'il ne me reste qu'une autre moitié de liberté ? Ne devrait-on pas laisser ces choses routinières pour plus tard, quand l'imagination se fatigue, quand la volonté s'essouffle ? Mais l'esprit s'amuse à se concentrer sur l'insignifiant, sur le frigo presque vide, sur le linge sale qui s'accumule... Qu'importe cela à côté de la soif d'apprendre et d'avancer ? Il faut passer du temps à se connaître pour s'économiser, et pour profiter de ses moments de force, pour ne pas les gâcher dans le futile, et les consacrer à l'éternité.
Faire des choses régulièrement, c'est à la fois se décharger du besoin d'y penser, parce que les courses seront faites et la baignoire nettoyée, mais c'est aussi prendre le risque de les rendre prépondérantes par rapport à des choses plus importantes. Il est aussi agréable de ne jamais se soucier de détails de la vie quotidienne, pour se consacrer à des affaires plus passionnantes, que désagréable de n'être préparé à un déséquilibre passager, parce que c'est jour de fête, parce que la clé n'est pas où elle devrait être, parce que le garage a fermé, ou parce que la connexion internet est coupée. Je pense qu'il est utile d'acquérir certains réflexes, ou habitudes, de toujours fermer la porte sans poignée avec la clé, pour ne pas rester coincé, de garder un paquet de Kellogs K d'avance, en cas de pénurie nationale, pour éviter la panique. Mais il est aussi bon de se confronter de temps en temps à une cassure de l'équilibre, de changer ses habitudes, de ne plus mettre le portefeuille dans la poche gauche mais la droite, de ne plus prendre le courrier avant de sortir les poubelles mais après, de ne plus lire ses mails en arrivant au boulot mais deux heures plus tard... Cela permet de voir, petit à petit, de nouvelles façons de travailler, de voir les gens, de voir les choses, de voir la vie...
Dimanche 9 septembre 2001
Ce doit être une belle journée, un neuf neuf, et aussi infantile puisse être de se laisser influencer par d'aussi insignifiantes choses que des chiffres sur un calendrier, aujourd'hui sera une bonne journée, j'en décide ! Un beau ciel bleu ce matin, un doux Soleil pendant mon footing, pas trop de pollution encore. Un peu de flemme en ce dimanche matin, aussi. Dimanche 9 septembre 2001, donc, 10 heures 34. C'est peut-être parce que je vais décrire un de mes plus grands secrets, une recette magique, extraordinaire presque, faramineuse à la limite. Ce n'est pas compliqué juste du maïs mélangé avec du maquereau à la sauce moutarde et voilà c'est fini. Redoutable, n'est-il pas ? Bien-sûr il faut manger cela avec un pain de seigle Poilâne un peu rassi réchauffé quelques secondes aux micro-ondes. Bien-sûr... Soif d'un peu de sucré-salé et vous y rajouterez quelques morceaux de pomme Grany-Smith. Les choses simples sont compliquées.
Le monde est autant fait de petites que de grandes choses, et l'insignifiant intimement se mêle au grandiose pour laisser, chaque jour un peu plus de savoir, d'expérience, de joie, à tous ceux qui viendront après. Cela me rappelle une citation, je ne sais plus vraiment la formulation exacte, mais elle ressemblait à : "Il est aussi grand, pour l'amour de Dieu, d'éplucher chaque jour ses patates, que de construire des cathédrales". Que choisirais-je, entre la cathédrale de Notre-Dame, et un baiser chaque jour de mon aimée ?
Lundi 10 septembre 2001
Encore faut-il avoir une aimée. Et ce n'est pas chose si facile, que de même le savoir, à force des vents et marées qui érodent tout, qui rendent ces instants plats et ternes. L'Amour va et vient, et aimer pour la vie n'est peut-être qu'un rêve, une quête sans espoir. Mais qu'importe après tout, c'est bien ces causes sans espoir qui sont les plus belles, et qu'ai-je à faire de l'impossible ?
Une nouvelle semaine qui commence, une semaine chargée, certainement, mais c'est dans l'urgence et le stress qu'on trouve le plus de plaisir. C'est dans les situations difficiles que l'on trouve plus vite des solutions, c'est devant le danger que l'instinct de survie se met en route, c'est quand la panique s'installe qu'on a la chance de pouvoir toucher du doigt le temps qui passe.
Lundi 10 septembre 2001, 8 heures 45, frais matin parisien ; pour la saison, s'entend.
Un petit peu froid et un petit peu faim. Garder les notions de l'existence et du besoin. Ne pas se laisser aller à la facilité. Il est dur de résister à son plat favori, il est dur de résister à tourner le bouton du chauffage. Toutefois, un jour, l'idée que cela nous rende plus fort, qu'étrangement aucun rhume de l'hiver, ou pas de panique en cas de coupure d'eau chaude, pas de problème de cholestérol, pas de problème de poids, pas de problème de caries. Après c'est une question d'organisation, un peu comme si le plaisir se répartissait en quantité limitée, finie. Quelques petits efforts et sacrifices aujourd'hui, quelques soifs de plaisirs simples, ou plus espacés, et j'en profiterai d'autant plus, et d'autant plus longtemps.
La facilité est un mal qui me tue, et je n'accepte plus de l'aimer, d'aimer avoir chaud, de t'aimer toi, si tu n'es pas ce que je veux, je veux la lutte, la distance, la souffrance, l'effort, je veux juste passer du temps à construire, passer du temps pour trouver, passer du temps à t'attendre si tu ne veux pas de moi, passer du temps à être plus si je ne suis pas assez, passer du temps à devenir si je ne suis pas encore...
Mercredi 12 septembre 2001
Mercredi 12 septembre 2001, lendemain du 11 septembre. Les hommes se battent et meurent pour des causes, des causes qui sont créées, inventées. Ne croyez pas ce qu'on vous dit, ne croyez pas ceux qui vous montrent les méchants. Les ennemis des hommes, ce sont la misère et le désespoir, ce sont eux qui créent les guerres, qui créent la mort, qui créent la haine. Si vous avez besoin d'un ennemi, d'un responsable, d'un coupable, que ce soit cette misère, et si vous devez mourir pour une cause, que ce soit pour la combattre.
Lundi 17 septembre 2001
L'automne arrive, plus que quelques jours, déjà la fraîcheur du matin est au rendez-vous. Lente descente vers les jours pleins de nuit, vers cet hiver, ce froid dont on ne sait jamais si on va en réchapper. Point d'amertume non, car pas de plaisir plus grand que voir de nouveau les jours grandir, petit à petit, et de voir un nouveau printemps, une nouvelle vie qui naît, et le Soleil qui revient.
Lundi 17 Septembre 2001, j'hésite entre laisser tels quels mes dires, ou retravailler, censurer, reformuler, changer un jour qui n'est plus le bon ce que le passé m'inspira.
Samedi 29 septembre 2001
Le monde est dur, il nous frappe souvent. Le monde est dur et impatient, le monde est dur et impassible. Il nous faut être forts et susceptibles, doux et résistants. Le monde est dur et nous rend ainsi. Indifférents jour après jour. Les choses nous touchent moins, la lassitude toujours, lassitude des autres, de leur violence, de leur absence, de leurs faiblesses, de leurs humeurs. Que de se battre pour construire, que de se battre pour d'autres. Où sont ces causes, où sont ces amours, où sont ces vies sans solitude ? Sensibilité tu t'envoles, reste encore un peu. Sensibilité, encore quelques pleurs. Avant que tout ne s'affadisse. Laisse-moi souffrir encore un peu du mal qu'ils me font, du mal qu'elle me fait.
Point de faiblesses, point de retard, point d'attente. Aller de l'avant sans attendre, sans comprendre, sans espérer. Rendre les autres des contraintes, des rendez-vous, du temps perdu, du temps passé, du temps gâché. La force est-elle vraiment, dans l'insensibilité ?
Samedi 29 Septembre 2001, Mandrake Linux 8.1 terminée, pour l'instant tout du moins. 8 heures 30, le temps de reprendre un peu ses esprits le matin grandissant. Mais les efforts sont récompensés, le dévouement, les concessions, la volonté, ne sont pas inutiles, les efforts sont récompensés.
Samedi 20 octobre 2001
Un peu de temps qui passe, un peu de recul qui s'accumule. Samedi 20 octobre 2001. Il pleut sur la ville comme il pleut sur mon coeur, citation dont je ne connais pas l'auteur qui correspond si bien à cette journée.