Le Patriarche

Seth

Florent (Warly) Villard

Août - Septembre 2003


Version: 0.1.3 - 24 novembre 2003 - 0
Copyright 2003 Florent Villard




Remerciements

Juste un rêve.

Thorpe pour tous les renseignements qu'il m'a fournis.

Table des matières Un soir d'été
Repos
Enquête
L'Île de Ré
Rêves
Meurtre
Théodore

Un soir d'été

Thomas rentrait chez lui, il était exténué comme après chaque journée de travail, mais ce jour là encore plus que d'habitude. Quelque chose le troublait. Il ouvrit la porte sans même sortir ses clés, il savait qu'elle n'était pas verrouillée. Il posa sa veste sur le canapé du salon, dégrafa sa bandoulière et déposa son arme sur le comptoir de la cuisine. Il souffla en s'y appuyant un instant. Dans quelques minutes, il le savait, sa mère qui l'avait sans doute vu rentrer et qui habitait juste à côté allait sonner à la porte.

Il se dirigea vers la chambre à coucher. Il la retrouva là, allongée sur le sol, un bras encore appuyé contre le lit. Il se pencha près d'elle, observa sa gorge tranchée, son visage si blanc, la marre de sang autour de sa tête. Il se recroquevilla sur elle et pleura. Il la prit dans ses bras, comme pour détecter encore un peu de chaleur, mais elle était morte depuis plusieurs heures.

Il se releva et appela la police et les secours... Quelques seconde plus tard, on sonna à la porte, il alla ouvrir

- Bonsoir maman, entre vite, il s'est passé une chose horrible.

Christine, la mère de Thomas, eu un mouvement de panique en voyant la chemise de son fils couverte de sang.

- Thomas ! Mon Dieu, tu es couvert de sang, tu es blessé ? Vite, il faut app...

- Ce n'est pas moi, c'est Seth. J'ai appelé les secours et la police, ils vont arriver d'une minute à l'autre.

- Oh, Mon Dieu ! C'est grave, je peux la voir ?

- Il ne vaut mieux pas, maman, elle est morte, on lui a coupé la carotide.

Sa mère ferma les yeux de dégoût et se blottit dans ses bras.

- Mon Dieu ! Mon Dieu ! Mais pourquoi ? Elle était si gentille, si jolie ! Mon Dieu ! Pauvre Seth... Elle était si gentille...

Thomas tenait sa mère dans ses bras, sans mots dire.

- Mais, mais Thom, qui a pu faire ça ?

- Je ne sais pas maman, je ne sais pas...

- Thom, Thom, il faut que tu trouves Thom.

Thomas répondit sans grande conviction.

- Oui maman, je trouverai, c'est mon travail... Rentre chez toi maintenant, ne reste pas là, les policiers arrivent.

Thomas raccompagne sa mère sur quelques mètres puis se dirige vers la voiture banalisée qui s'est garée au côté se sa propre voiture. Trois personnes en sorte, dont un en tenue de policier, ils saluent Thomas.

- Salut Thomas, c'est moche il parait. Le SAMU ne va pas tarder, même si c'est trop tard d'après ce que tu as dit. En attendant on va constater le tout. Je te présente Philippe, c'est le policier municipal, mais tu dois le connaître ; nous sommes passés le prendre, il habite à deux pas. Mais je pense qu'on va tout de suite prendre l'affaire de toute façon. Pour une fois que le SRPJ est en premier sur les lieux !

Les deux hommes se saluent, Thomas avait déjà eu affaire à lui quelques fois. Les deux autres policiers, Stéphane et Jean-Luc, en civil, sont des collègues de Thomas.

- La police locale va arriver dans deux minutes, ils vont tout boucler, mais nous pouvons déjà constater, rentrons. Thomas, tu sais que tu serras sans doute mis en garde à vue, mais a priori nous avons passé la journée ensemble, il ne devrait pas y avoir de problème. Il ne vaut mieux pas que tu rentres avec nous, qu'est ce que tu en penses ?...

Thomas l'interrompt.

- Oui, suivez-moi, je vous indique juste le chemin.

Ils entrèrent avec lui à l'intérieur de la maison.

- Je suis resté un moment dans cette pièce avant d'aller dans la chambre, j'ai donc pu toucher et déplacer plusieurs choses, je ne sais pas si je peux en faire l'inventaire, mais je pense que ça me reviendra si on trouve des empreintes.

- À quelle heure t'a-t-on déposé, c'était vers 19 heures, non ?

- J'ai dû rentrer vers 19 heures 10, à cinq minutes près, oui. Je suis resté un instant dans cette pièce, le temps de poser mes affaires et de souffler un peu.

- Tu as remarqué quelque chose de suspect ?

- Non. Ensuite je suis allé dans la chambre.

Thomas leur montra le chemin, il resta dans la pièce principale. Ils regardèrent tour à tour le corps encore au sol.

- Je l'ai trouvée là, ainsi. Je n'ai pas pu m'empêcher de la prendre dans mes bras, même si je sais que je devais la toucher le moins possible.

Stéphane lui posa la main sur l'épaule.

- Je comprends Thomas, on pourra difficilement te blamer pour ça. Mais dans ce cas est-ce que tu peux me donner ta chemise, pour qu'on vérifie les traces de sang ?

- Pas de problème, tu m'en prends une autre dans le placard de ma chambre s'il te plait.

- Ok, à quelle heure nous as-tu appelé ?

- Je vous ai rappelé sur le champ, peut-être 19 heures 25 ou 30.

Des bruits de voiture et de sirène se font entendre dans la cours. Thomas enfile sa nouvelle chemise.

- Seb, va voir si c'est le SAMU et fait venir juste un docteur au cas où il y aurait encore un espoir, sinon on ne touchera à rien pour la prise d'empreinte et le reste.

- OK j'y vais.

Le plus jeune des hommes s'exécuta.

- Tu as une idée de qui a pu faire ça ?

Thomas laissa écouler deux secondes.

- Non...

Jean-Luc revint suivi du docteur.

- Bonjour, Docteur Paul Égrenne, où se trouve la victime.

- Juste là, suivez moi, voilà, allez-y, tentez de touchez le moins de chose possible, j'ai peur qu'il n'y ai pas grand chose à faire.

Thomas s'approcha, il se mordit la lèvre. Le docteur contourna le lit et s'agenouilla auprès de la victime. Il constata la blessure au cou, prit le poul au poignet, regarda la pupille avec une petite lampe.

- Cela fait au bas mot deux ou trois heures qu'elle est morte, il n'y a rien à faire.

Le docteur se relèva en gardant les yeux quelques instants sur le corps, eut un soupir, puis regarda les policiers d'un air triste. Thomas parut surpris. Il se recula de quelques pas, marcha un peu dans la pièce principale, se passa les deux mains dans les cheveux.

Stéphane acquiesça.

- C'est malheureusement ce que je craignais, ça va être à nous alors.

D'autres sirènes se font entendre.

- Voilà la police, c'est pas trop tôt ! Bon, on va prendre votre déposition sur la constatation du meurtre, j'imagine que le doute n'est pas possible ?

- Ce n'est pas une méthode de suicide courante en effet, et vu la position du corps, aucun doute ne subsiste.

- Bien sortons, Jean-Luc tu peux commencer à prendre quelques photos en attendant que l'IJ arrive.

Une autre voiture se fit entendre alors que le docteur, le policier et Thomas sortaient. Quelques minutes plus tard cinq policiers supplémentaires s'affairaient à délimiter des zones tout autour de la maison et dans le jardin.

Thomas observait silencieusement la scène, il jeta un oeil à la maison de sa mère. Sa mère regardait par la fenêtre en tenant le rideau de côté. Il détourna le regard quand Eric, le policier qui menait l'affaire jusqu'alors, s'adressa à lui.

- On devra l'interroger.

- Oui je sais.

- Elle a vu quelque chose ?

- Non... Enfin je ne crois pas.

Thomas sembla hésiter un instant, puis finalement se dirigea vers la maison de sa mère. Son collègue l'interrogea sur son intention :

- Où vas-tu ?

- Je vais interroger ma mère, autant que ça soit fait, non ?

- Oui, mais ça ne pourra pas tenir, tant que tu n'es pas mis hors de cause, je le ferai, ça vaut mieux.

Thomas fit marche arrière, gêné.

- Oui, OK, tu as raison.

Une nouvelle sirène se fit entendre

- Tu as prévenu le procureur ?

- Oui il a dit qu'il venait.

- Tiens voilà le chef.

Un nouvelle voiture, une Renault Safrane noire, s'avança dans la cours déjà bien encombrée. Un homme d'une cinquantaine d'année en sortie, et, à la vue de Thomas et de son collègue, se dirigea vers eux.

- Il faut faire virer les voitures ! Il n'y a plus de place ! Le procureur arrive, il faut qu'il puisse se garer ! Vous êtes les seuls ?

- Jean-Luc est à l'intérieur, j'ai appelé Serge et Jacques, ils arriveront dans une vingtaine de minutes maintenant. Avec Jean-Luc nous venions de déposer Thomas, c'est pour ça que nous étions sur les lieux en cinq minutes.

- Ok, bon, faîtes sortir les voitures et boucler la rue.

- J'y vais.

Sthéphane s'exécuta.

- Bon Thomas, je ne vous cache pas que vous serez considéré comme suspect.

- Oui je sais commissaire.

- Bon, à part ça, qu'est-ce qu'on a ?

Thomas explica au commissaire la découverte du corps, l'avis du médecin. Pendant ce temps la mère de Thomas s'était approchée. La voyant Thomas la présenta au commissaire. La maison de sa mere ne se trouvait qu'à une trentaine de mètres sa propre maison. Profitant de la disponibilité d'une maison sur le terrain de ses parents, il n'avait jamais eu le courage de partir, même si l'envie ne l'en avait jamais réellement quittée, surtout depuis les trois dernières années qui ont suivi la mort de son père, rendant sa mère de plus en plus présente.

- Bonjour Madame, désolé pour le raffut, mais vous allez sûrement être embêtée pendant quelques jours.

- Oh oui, mais ne vous inquiétez pas, ce n'est pas grave à côté de ce drame...

Une nouvelle voiture s'avança dans la cours.

- Ah ! Le procureur, bon j'y vais.

Le commissaire se dirige rapidement vers la nouvelle voiture qui se gare tant bien que mal entre le fourgon du SAMU et une autre voiture. Pendant ce temps la mère interroge Thomas.

- Ils ont trouvé quelque chose ? Mon Dieu, ils savent qui sait ?

- Maman, maman, calme-toi. Il faudra sans doute très longtemps avant de trouver le coupable, si on le retrouve, tu sais ce n'est pas si facile.

- Mais quand même, avec leurs appareils, les empreintes... Elle a été violée ?

- Non ! Enfin je ne sais pas, l'autopsie nous le dira.

Thomas avait rejeté l'idée comme si simplement l'envisager le rendait mal-à-l'aise.

- Mon Dieu, c'est affreux... Tu veux venir à la maison.

- Non il ne vaut mieux pas, je vais être suspecté moi aussi.

- Suspecté ! Mais tu es de la police !

- Oui maman, mais c'est la procédure, c'est normal, nous ne pouvons éliminer aucune piste.

- Quand même !

- Il vont t'interroger, aussi, tu devras répondre à leurs questions, mais tu as bien déjeuné chez ton amie Rosie aujoud'hui ? À quelle heure es-tu rentrée ?

- Oui j'étais chez Rosie, je ne suis rentrée que vers 18 heures, pas longtemps avant que tu n'arrives en fait. Je n'ai même pas sonné chez toi, tu rentres toujours tard et tu m'avais dit que Seth avait pris des vacances, je ne pensais pas qu'elle serait là. Comment ça se faisait, d'ailleurs ?

- Elle est rentrée hier soir, plus tôt que prévu.

- Tu crois que c'est parce qu'elle a eu un problème pendant ses vacances ? Mais pourquoi n'êtes-vous pas partis ensemble ? Où était-elle ?

- Je ne sais pas. Dans les Alpes il me semble.

- Quand même, ne même pas savoir ou part sa petite amie. Ah mon Dieu, si seulement tu étais parti avec elle, mais pourquoi ?... Déjà en Novembre elle était partie toute seule à l'Île de Ré, franchem...

Thomas la coupe, agacé.

- On ne va pas reparler de ça maman, c'est comme ça, elle voulait être un peu seule, qu'est-ce que j'y pouvais ? Bon, peu importe, tu n'as rien vu, donc.

- Non... Pour une fois c'est bête que les Martin soient partis en vacances, elle qui espionne toujours à sa fenêtre, ça aurait pu rendre service.

Thomas allait lui demander de retourner chez elle, mais il se garda finalement et rêva à autre chose en voyant arriver le corbillard. Sa mère continuait de parler.

- Les Piranocci non plus d'ailleurs, ils travaillent tous les deux, mais sait-on jamais, ça ne coûte rien de leur demander.

Thomas revint dans la discussion, sans vraiment y prêter attention, cela faisait si longtemps qu'il faisait de fausses conversations avec sa mère.

- Et les Simon ?

- Les Simon ? Noooon... À part si l'assassin est passé par derrière, mais avec la haie ils ne voient rien... Non si quelqu'un a vu quelque chose, c'est Madame Marin ou Madame Louis, elles se promènent toujours dans le quartier. Mais pas avant 6 ou 7 heures du soir en ce moment, sans doute trop tard, remarque, il fait beaucoup trop chaud la journée. Elles devaient sans doute dormir toutes les deux au moment du crime.

- Bon, je vais voir ce qu'il se passe, rentre, tu me tiens au courant si jamais quelqu'un te parle de quelque chose de suspect ; mais ne raconte pas trop si tu apprends des choses, après ça crée des rumeurs et soudain tout le monde sait qui est l'assassin et a tout vu.

- Oui d'accord, mais où vas-tu dormir s'il bloque ta maison ? Tu ne veux pas venir à la maison ?

- Non non, c'est bon, je dois y aller. À plus tard maman.

Thomas rejoignis Stéphane qui prenait des notes avec Jean-Luc. Il leur donna quelques indices sur les voisins, des paroles de sa mère. Il parla aussi de Madame Marin et de Madame Louis. Jean-Luc se chargea d'aller interroger les voisins, même si les chances qu'ils eussent vu quelque chose étaient minces. Thomas, étant suspect, devait subir une garde-à-vue. Ils convinrent de retrouver Jean-Luc au poste à 21 heures, pour effectuer la déposition de Thomas et mettre en commun tous les renseignements.

Le procureur vint enfin saluer Thomas. Il lui exprima dans un premier temps toutes ses condoléances, mais ne put s'empêcher de lui poser quelques questions.

- Vous savez si elle avez de la famille, des proches, que nous pourrions prévenir ?

- Non, elle était orpheline, et d'après ce qu'elle m'avait dit sa nourrice était décédée.

- Elle n'avait pas d'amis, d'autres parents ?

- Elle était très discrète sur sa vie, je crois qu'elle avait une tante sur l'Île de Ré, des connaissances dans les Alpes aussi, à Nancy, Grenoble peut-être, mais je ne saurais pas vous dire les noms.

- Elle travaillait ? Vous la connaissiez depuis longtemps ?

- Non elle ne travaillait pas. Nous vivions ensemble depuis bientôt quatre ans.

- Et elle ne vous a présenté aucune des ses connaissances en quatre ans ?

- Et bien non, elle a toujours été très réservée.

Thomas manifesta des signes d'énervement, le procureur le sentit.

- Je vois, bon, je ne vous embête pas plus, de toutes les façons l'enquête complètera tout ça. Les RG doivent me rappeler dès qu'ils ont queqlues choses, quoi qu'il en soit.

Le procureur salua et quitta Thomas pour rejoindre le commissaire. Thomas partit dix minutes plus tard avec Stéphane pour le SRPJ de Versailles, son lieu de travail.

Jean-Luc confirma que les voisins qui étaient rentrés tard n'avaient rien vu, bien-sûr, pas plus que Madame Marin et Madame Louis, qui ne sortaient pas par cette chaleur avant 19 heures. La déposition de Thomas fut rapide, lui avait passé l'entière journée, de 9 heures du matin à 19 heures du soir, avec Stéphane, ce qui, si le diagnostic du médecin était bien confirmé, le disculpait totalement. Thomas subit tout de même deux heures de garde à vue, mais ce fut plus l'occasion pour les trois hommes d'éplucher les maigres éléments qu'il connaissait sur l'emploi du temps de Seth. Elle était rentrée la veille après deux semaines de vacances dans les Alpes, Thomas ne savait pas où exactement, et il l'avait vue pour la dernière fois le matin, elle dormait encore quand il avait quitté son domicile. Elle semblait très fatiguée ces derniers temps. Comme il l'avait dit au procureur, il ne connaissait pas de famille ou d'amis à Seth. Les éventuels l'apprendraient dans les journaux du lendemain.

Ils n'attendirent pas le dernier appel du procureur, ni du commissaire, préférant se réserver la chance de se lever et venir tôt le lendemain matin. Ne pouvant dormir chez lui, Stéphane lui proposa de l'héberger, il irait chez sa mère les jours suivants, mais pour la courte nuit qui l'attendait, l'appartement de Stéphane sur Versailles ferait mieux l'affaire. Thomas ne dormit pas cette nuit, ou seulement quelques dizaines de minutes. Il ne pouvait pas se tourner sur le petit canapé, lui qui dormait sur le ventre d'habitude, et sa brûlure lui faisait trop mal. Qu'allait-il faire ? Allait-il faire l'enquête ou pas ? Allait-il pouvoir la faire ? Il valait peut-être mieux qu'il la fasse, après tout... Il pleura, longtemps, tellement que ses yeux le brûlèrent le matin, quand le satané réveil de Stéphane se décida enfin à sonner.

Il avait dormi dans le salon, il attendit que Stéphane arriva pour se lever. Juste un café, deux cafés, il n'avait pas faim. Stéphane lui prêta des sous-vêtements et une chemise. Il les mit dans la salle de bain, pas tellement qu'être nu devant Stéphane le gênait, mais il devait encore soigner sa brûlure, et la cacher.

Plus tard...

- J'imagine que vous voulez vous charger de l'affaire ?

Thomas hésita un instant. Il regarda quelques secondes dans le vide, étonné que le commissaire lui proposât si directement, puis reposa ses yeux sur son supérieur confortablement installé derrière son bureau parfaitement propre et rangé.

- Oui. Oui... C'est mieux ainsi.

- Si vous pouviez trouver rapidement et mettre sous verrous un assassin, je vous en serez reconnaissant.

- Oui, chef, bien sûr, je ferai mon possible.

"Un assassin", comme si n'importe lequel conviendrait, comme si la seule chose important était ce que les gens croyaient, et que tout le monde se moquait de la vérité... Thomas se leva et quitta le bureau sans saluer son supérieur. Il fit un détour par la machine à café, mais dix d'affilée ne lui suffirait pas pour avoir un brin de présence d'esprit ce matin. Il partageait son bureau avec Stéphane et Eric. Eric était en vacances.

- Tu aurais pu m'en ramener un !

- Désolé, j'ai la tête ailleurs.

- Je comprends. Tu es chargé de l'enquête ?

- Oui.

- Tu es sûr que c'est une bonne idée ?

- J'en sais rien.

- Je vais t'aider de toute façons, mais si c'est trop dur n'hésite pas. Tu peux prendre quelques jours de vacances peut-être, le temps que je déblaye un peu le terrain ?

- Non, merci, c'est bon, mais si jamais je n'hésiterai pas.

Stéphane partit se chercher un café, Thomas s'assit sur son bureau, soutenant son bras pour siroter son café en regardant à travers la fenêtre. Il était perdu, perdu. Il ne voulait pas faire cette enquête, il le savait, mais avait-il le choix ? Il voulait oublier, tout oublier. Mais qu'allait-il donc bien pouvoir trouver ?

- Ils t'a donné les renseigments des RG ?

Il n'avait même pas entendu Stéphane revenir.

- Non, il les a ?

- Je crois qu'il m'a dit que hier ils n'avaient rien trouvé mais ce matin ils devraient avoir le dossier.

Mais non. Rien, rien du tout. Les Renseignement Généraux n'avaient rien. Seth Imah n'avait pas d'adresse, pas de date de naissance, n'avait jamais travaillé nulle part. Seth Imah n'était pas connue, n'était pas française, pas européenne, et, comme ils l'apprendraient dans deux jours, n'existait dans aucun des pays membres d'interpol, pas sous ce nom, du moins.

Repos

Mercredi 20 août 2003, 11 heures 40, salle de réunion. Jean-Luc se chargea d'énumérer les documents :

- Récapitulons, les médecins diagnostiquent une heure de mort voisine de 16 heures. Pour l'instant aucun témoignages d'une visite à cette heure-là. La dernière personne sur les lieu était la mère de Thomas, qui est partie vers 11 heures du matin. La dernière personne ayant vue Seth est Thomas, le matin, vers 8 heures, quand il a quitté son domicile. Elle a passé la nuit avec lui, et revenait la veille de deux semaines de vacances dans les Alpes. D'après Thomas, elle est revenue en train, toutefois si c'est le cas elle ne voyageait pas avec un billet à son nom, aucun billet de SNCF n'a été vendue au nom de Seth Imah ou divers acronymes dans les six derniers mois. Avant ces vacances Thomas la trouvait fatiguée, et cela depuis plusieurs mois.

- Depuis le début de l'année elle allait de moins en moins bien, oui.

Stéphane s'interroge :

- Elle était malade ?

- Je ne crois pas, mais elle refusait ne serait-ce que le simple fait que je mentionne la visite d'un médecin.

- Étrange...

Jean-Luc reprend :

- Certes, mais il s'avère qu'elle n'est pas morte de maladie, mais assassinée, en conséquence qu'elle allât bien ou pas a peut-être son importance, mais ça n'explique pas qui l'a tuée et pourquoi. Bref, il faut rajouter que Seth Imah est complètement inconnue des services de renseignements, pas plus les photos que les empreintes n'ont donné quoi que ce soit. Thomas, tu dis l'avoir rencontrée il y a quatre ans, fin de l'été 1999.

- Oui, elle était orpheline, et venait de Nancy, je sais qu'elle a aussi séjourné à Grenoble, et auparavant dans un petit village dans les Alpes, je ne me rappelle pas du nom.

- De plus elle ne travaillait pas, et restait très discrète sur ses amis, en gros tu ne savais pas grand chose de sa vie.

- Non.

- Perso moi je cherche toujours un minimum d'info sur mes copines, mais bon, je suis peut-être un peu parano.

- C'est vrai que que je n'ai jamais regardé, mais de quoi aurai-je dû me méfier, elle était si gentille.

- Enfin passons, quoi qu'il en soit cette affaire se révèle plus complexe qu'il n'y paraissait. Le commissaire aimerait quand même qu'on ne traîne pas là-dessus, parce que comme il le dit un meurtre dans une bourgade huppée où les précédents incidents se ramenaient à un chien perdu ou écrasé, ça fait tâche d'huile. Je pense qu'il nous faudrait regarder qui Thomas a mis sous les barreaux et qui pourrait s'être vengé, et puis interroger toutes les personnes susceptibles de d'avoir vu Seth ou d'avoir vu quelque chose, les gares, les stations de métro, et trouver le nom de ce village où elle était en vacances. Il nous faudrait aussi un peu plus d'info sur le personnage, pour l'instant c'est assez maigre. Le commissaire sera en vacances à partir de la semaine prochaine pendant deux semaine, et il m'a bien fait comprendre qu'il n'aimerait pas que le procureur le dérange trop souvent. En gros il voudrait qu'on ait une piste sérieuse d'ici à la fin de la semaine.

Stéphane prit la parole, s'adressant à Thomas, d'une voix calme et posée qui contrasta avec le débit rapide et haché de Jean-Luc, sans doute un peu stressé de mener la discussion.

- Tu n'as vraiment aucune idée de qui pourrait lui vouloir du mal ?

Thomas resta plus d'une minute sans rien dire, le regard sur Stéphane, à un point ou ses deux collègues en furent gênés.

- J'ai aucune idée, non, et je m'aperçois que je ne savais presque rien d'elle, presque rien...

- Tu avais parlé de sa nourrice.

- Oui, mais elle est décédée, en tous cas c'est ce que Seth disait.

- Mais tu n'avais pas son nom ?

- Non, je ne crois pas que Seth me l'ait dit, ou alors je l'ai oublié.

Les trois hommes restèrent silencieux un moment, se demandant sans doute par où commencer. Jean-Luc et Stéphane espéraient bien quelques indices de la part de Thomas, mais celui-ci n'en avait pas, ou n'en donnait pas. Mais devaient-ils conseiller au commissaire de mettre Thomas en vacances, ou l'éloigner de l'affaire ? En avaient-ils le droit, et puis le meurtre datait de la veille, comment pouvaient-ils lui reprocher d'être ailleurs ? Stéphane lui proposa finalement de prendre un peu de repos :

- Tu sais Thomas, je pense vraiment que tu devrais prendre au moins un jour ou deux, ne serait-ce que pour passer ces moments difficile, et aussi mettre un peu d'ordre dans ta tête.

Jean-Luc approuva sur-le-champ, il avait depuis le début peur de parler de cette histoire sans prendre le risque de blesser Thomas, de le savoir un peu à l'écart lui semblait une très bonne idée.

- Oui, Stéphane a raison, ça va être trop dur pour toi sinon, prend quelques jours, passe ta peine.

- Et quand tu reviendras nous aurons fait toutes les démarches compliquées et difficiles pour l'autopsie et les tests, et tu auras les idées plus claires sur le sujet, peut-être que des événements anodins te reviendront et nous mettront sur une piste.

Thomas pouvait difficilement refuser, tout en sachant qu'il n'avait qu'une envie, c'était bien celle de se retrouver seul.

- Oui, vous avez raison, je vais prendre quelques jours.

- Allons voir le commissaire, pour lui demander.

Deux heures plus tard Stéphane déposait Thomas chez lui, plus exactement chez sa mère, car le travail de relevé dans sa maison lui en bloquerait l'accès pendant encore deux jours. Il ne se sentait pourtant pas de rester deux jours entiers avec sa mère. Il décida alors de partir dans leur maison en Normandie, en insistant bien qu'il voulait rester seul, et qu'il était hors de question qu'elle vînt avec lui.

La Normadie, la mer.

Mais que savait-il d'elle ? Se demandait-il, assis sous l'ombre à peine rafraîchissante du store, devant la petite maison familiale donnant sur les deux cent mètres de plage rocailleuse. Que savait-il d'elle ? Que pouvait-il faire ? Tout était tellement embrouillé. Comment éclaircir cette affaire ? Qui avait-il donc à éclaircir ! Rien ! Il n'y avait rien !

Il se caressa doucement sa brûlure, au niveau des côtes. Elle le faisait toujours souffrir, elle le ferait souffrir pour toujours, il en avait peur.

Que savait-il de la vie de Seth ? Mais qu'avait-il eu besoin de savoir, depuis qu'il l'avait rencontrée, ce mois de septembre 1999, quand il l'avait prise en stop à Jouy-en-Josas, pour la mener devant les locaux un peu perdus de Silicon Graphics, et quand il l'avait recroisée, deux jours plus tard, cherchant un appartement à louer en ville ? Emmanuelle l'avait quittée trois ans plus tôt, trois longues années, comment pouvait-il résister à Seth ? Comment pouvait-il résister à sa force, à sa volonté ? Il avait plié, pendant trois ans, n'avait été qu'un jouet, il le savait.

Mais elle avait changé, cette année, perdant de sa force, de sa volonté, voulant partir... Mais pourquoi donc avait-elle voulu partir !

Le téléphone dérangea Thomas. Ce n'était pas comme il s'y attendait sa mère qui avait déjà appelé deux fois aujourd'hui, mais Emmanuelle, justement, qui s'inquiétait pour lui. Il obtint finalement l'aveu que c'était sa mère qui l'avait prévenue, mais l'idée de noyer son chagrin dans ses bras ne le gênant pas, il ne lui en tint donc pas rigueur. Il feignit, mais feignait-il vraiment ? D'être déprimé, et d'avoir besoin de parler. Emmanuelle accepta l'invitation pour le week-end. Il remit à plus tard l'explication détaillé de son état, il n'avait pas grand chose à dire, de toute façon. Thomas voulait juste faire l'amour avec elle.

C'était glauque, mal, immoral, il le savait, mais il était trop faible, trop faible pour résister, trop faible pour garder la tête haute. Il en voulait à Seth, même morte il y lui en voulait encore.

Le vendredi il dut rentrer sur Paris pour diverses formalités administratives relatives au futur enterrement de Seth. Il fit vite, il voulait repartir en Normandie, ne pas rester là. Il passa tout de même à son travail, pour avoir quelques nouvelles, pour savoir, pour y voir un peu plus clair, pour déterminer que faire. Mais Jean-Luc et Stéphane n'avaient rien de plus. Ils n'avaient trouvé aucun indice chez lui. L'autopsie n'avait rien révélé, Seth était en parfait état de santé. Ils n'avaient même pas fait l'amour cette dernière nuit. Thomas lui non plus n'avait aucune information, forcément, il n'avait même pas chercher.

Il décida ensuite d'aller dire bonjour à sa mère, pour ne pas qu'elle s'inquiète, et surtout que si elle apprenait qu'il était venu sur Paris sans passer la voir, ses remontrances lui seraient bien plus difficile à supporter que de simplement la voir cinq minutes le jour même. Il manqua d'écraser un gamin qui traversa la route avec son vélo juste en face de chez lui. Il n'eut même pas le temps de s'excuser le marmot pris la poudre d'escampette, sans doute dérangé dans quelques planification de bêtises.

Sa mère n'était pas là, mais toutes les zones délimitées par les enquêteurs étaient par contre encore bien présentes, et il renonça finalement à rentrer chez lui. Il ne resta que dix minutes, le temps de boire un verre d'eau fraîche et de laisser un mot à sa mère. Il ne voulait pas l'appeler, il était hors de question qu'il allât prendre le thé chez une quelconque amie de sa mère.

Il se décida à repartir pour la Normandie, il redérangea le même gamin en vélo devant le portail, sans doute était-il en fait intrigué par cette histoire de police. Pour une fois qu'il se passait quelque chose dans le coin, rien d'étonnant.

Il roula vite, trop vite, sans doute pensait-il pouvoir un instant laisser le passé derrière. Mais c'était trop tard. Qu'allait-il se passer ? Il aurait voulu mourir peut-être, mais il était trop lâche pour ça. Il était trop lâche pour tout. Il n'était qu'une loque. Il se demandait même comment il avait réussi à entrer dans la police. Il faut des hommes intègres et droits, des hommes forts. Il ne l'était pas, ne l'avait jamais été.

Seth ! Ah Seth ! Pourquoi ? Pourquoi ? Que s'était-il donc passé ? Qu'avais-tu donc fait ? Qui, mais qui avais-tu rencontré ? C'était peut-être l'occasion de savoir, finalement.

Il passa la soirée assis sur la plage de galet, à pleurer, à se demander ce qu'allait être sa vie à présent. Il dîna à peine. Il dormit peu et mal, comme toutes les nuits depuis lors.

Il dormait pourtant quand Emmanuelle arriva, le samedi matin. Elle s'en aperçut et s'excusa de l'avoir réveillé. Elle n'avait pas pris de petit déjeuner, ils le prirent donc ensemble. Il avait déjà plus d'appétit. Elle se contenta d'un café et de deux biscuits périmés. Toujours autant focalisée sur son poids. Elle lui demanda s'il allait, il répondit oui, puis non. Voilà longtemps qu'il ne l'avait pas vue, un an, presque. La dernière fois qu'ils s'étaient vus ils avaient fait l'amour, c'est ce qui le rendait confiant qu'ils le feraient de nouveau cette fois-ci. Il avait trompé Seth, oui, et après ? Combien d'amants avait-elle eu, elle, dans ses escapades inconnues ?

Pourtant Emmanuelle était beaucoup moins jolie que Seth, même si son obsession de l'apparence physique la rendait belle, rendait son corps attirant, peut-être plus que Seth encore, car elle en jouait, le mettait en avant, dévoilait et suggérait ses formes. Mais Seth était naturellement plus belle, plus pure, plus parfaite. On sentait bien quelque chose de non naturel chez Emmanuelle, quelque chose de travaillé, à grands coups de Gymnase Club et footing matinal. Seth était belle par nature, son corps était la définition même de la beauté, sans qu'elle n'eut rien à faire.

Mais il était tout de même en érection en buvant son thé, en s'imaginant déjà Emmanuelle presque nue allongée les jambes écartées sur la table.

Ils parlaient de choses sans importance, des diverses fois où ils s'étaient chamaillés quand ils sortaient ensemble, de ce que chacun avait fait dans l'année, ou presque, écoulée. Elle le fit rire, il toussa, manqua de s'étouffer. Sa brûlure lui fit mal.

Sa brûlure. Son érection passa. Sa brûlure. Il ne pouvait pas la montrer. Qu'allait-il expliquer ? Elle n'était pas encore guérie. Devait-il renoncer à Emmanuelle ? Dans le noir peut-être ? Peut-être juste cette nuit ? Ou alors rester habillé, juste là, juste par derrière sur la table en lui levant sa jupe ? Son érection revint. Mais elle voudrait le voir nu, elle avait toujours voulu le voir nu, voir son corps musclé, ses pectoraux se contracter... Ah ! devait-il vraiment oublier cette idée ?... Son érection passa, ils parlèrent d'aller se promener sur la plage.

Elle se leva pour débarrasser, il vit ses seins quand elle emporta sa tasse vide. Plus de deux semaines qu'il n'avait fait l'amour, non il ne pourrait pas résister. Un bandage ! Bien sûr, un bandage, une blessure à son travail, un voyou qui lui donne un coup de couteau ! Il alla sur-le-champ dans la salle de bain, trouva une bande et, après avoir regarder quelques secondes dans la glace la brûlure sur son flan gauche, où l'on distinguait presque la forme d'une main, se l'enroula autour des côtes pour la rendre invisible. Il ne dépassa qu'une petite marque sur son pectoral gauche, sans doute le pouce.

Il ne la trouva pas quand il revint. Elle était déjà sur le pas de la porte. Quand elle le vit elle s'avança au dehors. Ah ! Trop tard ! Ils marchèrent plus d'une heure avant de s'asseoir. Il faisait une chaleur torride, ils s'arrêtèrent à l'ombre d'une immense pierre au-dessus d'une petite flaque d'eau qui avait subsisté à la marée descendante.

Ils parlèrent, enfin, de Seth. Il expliqua que leur relation n'allait plus très bien, qu'elle voulait partir, que peut-être avait-elle un amant, comme elle en avait eus tant, qu'il ne savait pas. Il avoua son désespoir face à son assassinat, qu'il aurait été plus simple qu'elle partît, mais que maintenant elle serait avec lui pour toujours, alors qu'il aurait voulu l'oublier à jamais.

Thomas en oublia presque son objectif principal, mais quand il tourna les yeux vers Emmanuelle, ses jambes nues le lui rappelèrent instantanément. Il se tourna légèrement vers elle et posa sa main gauche sur sa jambe, en remontant doucement. Elle l'arrêta aussitôt :

- Non Thomas, non... Je suis juste venue parce que tu n'allais pas bien... C'est tout...

Thomas resta muet, pourtant, son décolleté, sa courte jupe... Il ne dit rien, il posa simplement sa tête sur les genoux d'Emmanuelle. Elle lui caressa les cheveux.

- Je sais que tu dois être perdu, Thomas. Apparememnt ça a l'air tellement compliqué, le fait qu'elle disparaisse alors même que vous alliez vous séparer... Mais pourquoi as-tu accepté de faire cette enquête ?

Thomas parut géné, et l'envie montante en s'imaginant le sexe d'Emmanuelle si près disparut, il se redressa.

- C'était quand même mon amie, et je suis l'un qui devait le mieux la connaître, et puis c'est mon métier, je ne dois pas y mettre de considérations personnelles.

- Oui mais c'est tout de même difficile, il pourrait donner l'affaire à un de tes collègues et juste de consulter pour les choses que tu sais sur Seth ?

Thomas s'agaça :

- Non c'est mieux comme ça... Bon, on rentre ?

- Déjà ? On était bien là, il ne fait pas trop chaud.

- Reste si tu veux, moi je rentre.

- Bah non, si tu rentres je rentre aussi, je ne vais pas rester toute seule ici...

Thomas s'était déjà levé et avait pris la direction de la maison. Emmanuelle remit maladroitement ses chaussures qu'elle avait enlevées pour tremper ses pieds dans l'eau et le rejoint en trottinant.

- C'est parce que je ne veux pas faire l'amour avec toi que tu es en colère ?

Il ne pouvait pas dire oui, et il ne pouvait même pas dire pourquoi ses questions l'énervaient aussi, alors il se contenta d'un "non, non" vague. Ils marchèrent quelques temps en silence. Finalement Emmanuelle avoua :

- Tu sais ce n'est pas que je n'en ai pas envie, c'est juste que ce n'est pas correct, et qu'on le regretterait sans doute.

Elle connaissait les hommes, elle savait très bien que plus encore leur envie de faire l'amour c'était de leur orgueil dont il s'agissait, et que le fait de savoir que la fille mourrait d'envie suffisait à ne pas blesser cet orgueil. Et puis elle ne mentait pas vraiment, de toute façon rares étaient les instants où elle n'avait pas envie, juste que là, non, dans cette situation, c'était bien au-delà de son seuil de tolérance morale.

Ils rentrèrent et finirent la soirée dans un restaurant de la ville voisine. Ils parlèrent de tout et de rien mais surtout pas de Seth ni de leur relation passée, plutôt des amis communs qu'ils avaient, les tracas de leur vie quotidienne, les multiples chagrins d'amour d'Emmanuelle, qui n'en étaient pas vraiment.

Emmanuelle dormit dans la chambre d'ami, et Thomas ne dormit pas. Rien n'allait comme il voulait, l'image de Seth l'obnubilait, et si par chance un instant il pensait à autre chose, un relan de sa brûlure la ramenait à son esprit, et par-dessus tout il n'avait même pas fait l'amour avec Emmanuelle. Il en rêva pourtant, dans les quelques heures de sommeil qu'il fit enfin, alors que le jour se levait. Il en rêva tellement que le matin il se masturba, alors qu'il détestait faire ça. Mais il en avait assez de cette pression stupide, de cette envie, de ce désespoir, de tous ces maux qui s'accumulaient les uns sur les autres. Il avait envie de tout jeter, tout plaquer, partir il ne sait où, ou mieux, perdre la mémoire, oublier tout ça.

Emmanuelle était sur la terrasse quand il descendit, levée depuis plus de deux heures, elle lisait un livre à l'ombre du store. Le voyant elle ferma son livre et se leva pour lui faire la bise :

- Ou la la ! Tu n'as pas dû très bien dormir...

- Non, effectivement, je ne me suis pas endormi avant 5 ou 6 heures du matin, mais je commence à m'habituer, c'est presque toutes les nuits comme ça.

- Tu devrais peut-être prendre des cachets pour dormir ?

- Si vraiment mon sommeil ne revient pas, peut-être, oui.

- Je n'ai pas commencé à préparer le petit-dej, je ne savais pas à quelle heure tu allais te lever, par contre j'ai ouvert une boîte de biscuits, j'avais trop faim.

- Tu as bien fait. On peut aller chercher du pain frais a pied, ça nous fera une petite marche.

- Bonne idée.

Il était dix heures passées, ils partirent pour la ville voisine à pieds. La boulangerie la plus proche se trouvait à environ deux kilomètres, ils mirent une bonne heure à faire l'aller-retour. Ils aimaient le pain tous les deux, et de retour ils avaient déjà mangé une baguette et demie sur les trois qu'ils avaient achetées, en plus des croissants et des pains au chocolat.

Emmanuelle voulut ne pas partir trop tard pour Paris, elle avait un dîner le soir sur la Capitale, et les accès étant souvent bouchés de retour de week-end, même si nous étions encore en août. Elle partit vers 16 heures, après une courte baignade dans l'Atlantique. Thomas lui ne partit que vers 21 heures, voulant sans doute remettre au plus tard le retour vers la réalité.

Il dormit chez sa mère ; il aurait de toute façon du mal à revenir chez lui avant la fin de l'enquête, sachant qu'à tout moment une nouvelle piste pourrait demander la recherche d'indices différents, et que chargé de l'enquête il lui incombait en premier de minimiser ses interactions avec le lieu du crime.

Lundi 25 août 2005, enterrement de Seth dans le cimetière de Jouy-en-Josas. Il y avait peu de monde, si peu, Thomas et sa mère, ainsi que deux amies de celle-ci, qui devait connaître vaguement Seth de vue, Stéphane et Jean-Luc, et deux trois personnes qui devaient s'ennuyer au point d'aller assister à l'inhumation de personnes qu'elles ne connaissaient même pas.

Ce lundi Thomas avait encore un jour de congé, et l'après-midi, enfin, il réfléchit. Ce devait être la seule réelle fois où il réfléchit vraiment depuis la mort de Seth, un peu plus en tout cas que de se laisser porter par les événements et les coups du sort. Peut-être finalement n'avait-il pas réfléchi non plus depuis qu'il connaissait Seth, à son sujet tout du moins. Quatre ans... Qui était-elle ? Elle ne travaillait pas, avait-elle jamais travaillé ? Toujours si discrète sur son passé... Elle lui avait dit terminer des études de littérature... Elle avait écrit, dessiné. publié d'après ses dires dans quelques revues ésotériques de par le monde dans une langue qu'il ne connaissait pas, mais c'était avant qu'ils ne se conussent. Elle ne lui avait jamais demandé de l'argent, il lui avait toutefois offert beaucoup sans qu'elle ne lui retourne vraiment ses cadeaux. Elle lui offrait sa tendresse, avait-il voulu plus ? Seth, mais qui était-elle ? Il ne le savait pas... Son passé, cette enquête serait peut-être l'occasion pour lui de trouver son passé, de savoir de quelle ombre elle était venue. Était-elle diabolique ?...

Enquête

Le passé de Seth, c'est sur ça qu'il allait enquêter. Mais par où commencer ? Il ne connaissait aucun de ses amis. Le commissaire voulait un coupable en deux semaines, impossible. Pouvait-il trouver un SDF quelconque pour le satisfaire et poursuivre tranquillement son enquête par la suite ? Non, il n'avait jamais vraiment outrepasser ses droits en tant que policier, il n'allait pas envoyer un malheureux au trou pour les beaux yeux de son supérieur. Pas tellement que sa morale lui interdisait, plus qu'il avait peur, comme il avait toujours eu peur, de tant de choses... Il était un perdant, un trouillard, il le savait, il avait beau avoir un pistolait et faire de la musculation, il n'avait pas confiance en lui. Pas tellement qu'il avait peur dans les situations dangereuses, elles avait plutôt tendances à l'exiter, mais il avait peur des situations compliquées, il ne savait pas gérer son stress. Il le savait très bien et éviter toute situation stressante. Dans le cas présent c'était foutu d'avance, il ne maitrisait tellement rien qu'il ne dormirait pas tranquillement avant des mois, si par chance un jour il retrouvait le sommeil...

Non il n'y aurait pas de coupable facile, d'ailleurs il n'y aurait pas de coupable du tout, ce qu'il voulait c'était connaître le passé de Seth, le passé de Seth Imah. Il y passerait sans doute des mois, mais qu'importe, au moins il saurait, il comprendrait. Le lendemain il commencerait l'enquête, en attendant il décida de s'évader un peu pour la soirée, il regarda un film, "Pretty Woman", il aimait bien ce film, mais il n'alla pas jusqu'à la fin car cette histoire lui rappelait trop Seth. Sa mère s'était endormi devant la télé, il alla la coucher puis revint et regarda un autre film, "K Pax". Il s'évada un peu, rêvant à d'autre monde en même temps que l'acteur racontait sa vie sur sa planète lointaine. Mais il n'aprécia pas non plus la fin, car cette histoire lui rappela encore plus son histoire... Qu'allait-il devenir ? Comme lui, un fou après la mort de Seth ? Un fou qui cherche des réponses et s'invente tout un monde pour satisfaire son incompréhension ? Il regretta d'avoir vu ces deux films et alla boire une bière sur le perron de la porte. Il aimait bien boire une bière comme cela dans la nuit, dans le calme, sous le ciel étoilé et le vent chaud de l'été...

Sa bière lui donna sommeil, il se coucha alors et s'endormit. Sa brûlure le réveilla, elle le rongeait, elle était sa malédiction... Elle serait sa malédiction... Pour toujours...

Mardi 26 août, 2003, 6 heures 30, lever tôt pour sa première rélle journée d'enquête. Déjeuner copieux, il n'avait retrouver un peu l'appétit, c'était déjà un point positif. Il conduit sa Peugeot 307 flambant neuve tout doucement dans la circulation encore fluide du matin. Il avait dû s'endetter cinq ans pour l'acheter. Pourtant il aurait dû avoir des économies, mais il n'en avait pas. Il n'avait pas eu à acheter de maison, mais il aimait avoir tous les gadjets à la mode hors de prix...

Il était presque seul au bureau, en tout cas Stéphane et Jean-Luc n'étaient pas encore là. Il en profita pour prendre un café en épluchant les documents déjà empilés par Stéphane et Jean-Luc. Pas grand chose, il fallait bien l'avouer, ils n'avaient fait qu'un tour rapide à la gare de train de banlieu, mais personne n'avait reconnu Seth. Les analyses des prélèvements faits chez lui, cheveux, peaux et autres traces que tout un chacun laisse imperceptiblement sur son passage n'avaient encore rien donné. C'était une enquête qui commençait bien doucement.

Première étape, déjà, ce village dans les Alpes. Impossible de s'en rappeler le nom, pourtant elle le lui avait déjà indiquer. Thomas eut le réflexe de regarder sur la cartographie du réseau interne. Les Alpes, c'est si grand... Gap ! Oui Gap, ce n'était pas le village en question, mais il connaissait ce nom de Seth. Elle avait dû se rendre là-bas, ou peut-être est-ce un point de passage. Elle était rentrée le lundi 18 au soir. Stéphane arriva quand Thomas se renseignait sur les trajet Gap-Paris Gare de Lyon l'après-midi du 18 Août. Malheureusement le trajet en TGV ne commençait qu'à Valence sur cet itinéraire, et il était plus difficile de faire les recoupements pour savoir qui avait acheté un billet de Gap vers Valence pour ensuite se rendre à Paris. Il y avait toutefois douze personnes qui avaient acheté en gare ou sur internet un trajet Gap-Paris. Thomas nota les noms quand il les obtînt. Trois trajets restèrent anonymes, en plus des dizaines de tickets Gap-Valence ou Valence-Paris indépendants. Comment le concluerait pour lui Stéphane une fois que Thomas lui fit son compte-rendu, difficile de savoir si elle avait pris ce train à part se dépécher d'aller sur place avec une photo en espérant qu'il n'était pas trop tard.

- Je vais appeler Gap et leur faxer la photo pour qu'ils aillent au plus vite à la gare, je vais faire pareil à Valence. Il y a d'autres gares possibles sur le trajet ?

Thomas resta silencieux un instant le temps de trouver les informations :

- Des dizaines entre Gap et Valence, mais je suis presque sûr que Gap était son terminus. Par contre il y a des trajets plus tôt dans l'après-midi qui passent par Grenoble, il peut-être bon de jeter un oeil aussi.

- Elle est bien rentrée le lundi soir, elle n'aurait pas pu arriver le lundi matin ou même le dimanche soir, ou faire une escale ?

- Ça Stéphane j'en sais rien, tout ce que je sais c'est qu'elle n'est arrivée à la maison que vers 23 heures, après pour les détails elle a effectivement très bien pu passer la journée sur Paris ou ailleurs...

- Mais d'habitude, elle rentrait direct ?

- J'en sais rien...

Stéphane marmonna...

- Putain ça va encore être facile si tu n'y mets pas de la bonne volonté...

Thomas le prend mal :

- Oh ! Ça va ! Je n'y mets pas de la mauvaise volonté, Seth ne me disait pas ce genre de chose, elle ne me racontait pas sa vie, OK ?

- Excuse-moi, mais rester presque quatre ans avec une inconnue en travaillant à la police, excuse-moi mais ça la fout mal.

- Je sais...

- Bon, tant pis, on fera sans, j'appelle Gap...

Jean-Luc arriva quelques minutes plus tard et Thomas lui expliqua où ils en étaient alors que Stéphane était toujours occupé à faxer les photos de Seth.

Ensuite les trois hommes réfléchirent ensemble. Mais ils avaient si peu d'éléments. Que feraient-ils si une des gares avaient vu Seth, leur faudrait-il parcourir la région pour trouver où elle avait bien pu aller ? Et rien ne leur prouvait que la clé se trouverait là-bas. Peut-être qu'un vagabon l'avait simplement surprise ou suivi depuis l'arrêt de bus jusqu'à chez elle. Pourtant Thomas certifia que rien n'avait disparu. Mais si elle n'avait pas été violée, et que rien n'avait été dérobé ? Pourquoi alors ? Crime passionnel, vengeance ? La recherche des personnes emprisonnées par Thomas n'avait donné que deux pistes, toute deux abandonnées quand les personnes en questions s'étaient révélé à l'autre bout de la France voire du monde le jour du crime.

- Mais qui alors, elle te trompait ?

- Je ne sais pas. Je l'ai suspectée quelque fois, mais je ne sais pas ni avec qui ni combien de temps. Elle allait de temps en temps sur Paris, chez une prétendue amie, mais pas assez fréquemment pour que ce soit un amant.

Stéphane qui révassait revint dans la discussion :

- Tu as le nom de cette amie ?

- Non, enfin elle avait dû me le dire mais je l'ai oublié.

Jean-luc s'intéressa à d'autres détails :

- Elle avait un mobile ?

- Non.

- Ah c'est bète, on aurait pu suivre son parcours.

- Elle t'a appelé des Alpes ? On peut peut-être retrouver les références de l'appel

- Non elle ne m'a pas appelé. Elle n'utilisait pratiquement jamais le téléphone, et à vrai dire quand elle n'était pas à la maison je ne sais jamais trop où elle se trouvait.

Stéphane doutait sérieusement de la suite de l'enquête :

- Finalement je me demande si le chef n'a pas raison, on va mettre ça sur le dos de n'importe quel vagabon du coin... Et même si ça se trouve on tombera juste...

Jean-Luc ne s'avouait pas vaincu :

- C'est quand même pas possible, on va bien trouver quelque chose, retrouver des amis d'enfances, des parents, là où elle a fait ses études, je ne sais pas, on ne peut pas avoir affaire à un fantôme quand même !

Stéphane demanda à Thomas :

- Oui à ce sujet avant que vous ne vous rencontriez, elle était à Nancy, c'est ça, et à Grenoble avant, tu sais si elle y faisait ses études ?

- Oui d'après ce quelle m'avait dit.

- Des études de quoi.

- La fac, je ne sais pas exactement quoi, sciences humaines ou quelque chose dans le genre.

- On peut déjà éplucher les inscriptions pour les années 1995 à 2000.

- 1999 suffira, je l'ai rencontré à l'automne 1999.

- Tu sais combien de temps elle est restée à Nancy ?

- Trois ou quatre ans il me semble, puisque je crois me rappeller qu'elle était à Grenoble en 1995.

- C'était quand sa date de naissance déja ?

- 27 juin 1976.

- Eh ! Elle était vachement plus jeune que toi !

- Bof, pas tant que ça, trois ans.

- Ah oui, je sais pas pourquoi mais dans ma tête on est toujours en 2000, j'ai dû mal à passé le millénaire on dirait, je dois regretter un truc...

Jean-luc revien dans la conversation :

- C'est pas en 2000 que Karine t'a largué ?

- Si, tu as raison, c'est sans doute la raison...

- Ça va avec Sonia ?

- Sans plus, on se supporte, je ne pense pas qu'on reste ensemble encore bien longtemps...

Stéphane resta silencieux quelques secondes :

- Bon revenons à nos moutons. Si elle est né en 1976 on devrait trouver des infos sur son passage au collège et au Lycée. Tu sais où elle était ?

- Dans les Alpes, peut-être à Gap, mais je ne crois pas qu'elle me l'ait dit.

- Bon, appelons, on peut déjà vérifier cette info, ça coute rien.

- Ok, moi je dois allé sur Gif pour le problème avec notre ami Polo. Thomas tu restes là ?

- Oui je vais tenter de mettre sur papier tout ce que nous avons déjà.

- Ok, d'autant que Gap et les autres rappelleront dans doute d'ici à midi.

Jean-Luc quitta le bureau alors que Stéphane discutait toujours avec le Lycée de Gap. Thomas remit dans l'ordre ce qu'il savait sur Seth. Elle venait de Gap ou les environs, avait étudié à Grenoble puis Nancy. Elle était sur Paris depuis septembre 1999. Elle avait fait depuis plusieurs séjours toujours dans les alpes, deux à New York en février 2000 et 2001, et à l'Île de Ré en novembre 2002, mais de quelques jours uniquement. Stéphane relu ses notes :

- L'Île de Ré c'est pas très grand, on pourra peut-être trouvé où elle est allée là-bas... Bon sur Gap, aucun des lycées n'a eut de Seth Imah dans les dix dernières années, c'est sûrement pas là. La personne m'a donné le nom des autres lycées du département, mais peut-être qu'elle a étudié à Grenoble depuis toute jeune, c'est possible ?

- Pas d'après ce qu'elle m'avait dit. Elle m'avait raconté qu'elle avait déprimée en arrivant à Grenoble à cause du manque de Soleil.

- Ah, ça peut être cohérent alors, il me semble que Gap est réputé pour son ensoleillement.

- Mais tu viens de dire que les lycées de Gap n'ont pas de trace d'elle.

- Oui, mais je n'ai pas encore appelé les autres lycées du département. Le temps ne doit pas y être très différent. Est-ce qu'elle aurait pu changer de nom ?

- Je ne sais pas.

- Ça expliquerait beaucoup de chose, déjà qu'on ne trouve absolument rien jusqu'à présent sous le nom de Seth Imah. C'est quoi comme origine d'ailleurs ? C'est pas plutôt un nom de mec Seth ?

- Si je crois, ça vient d'Égypte d'après ce qu'elle m'avait dit. Mais c'est vrai que Imah c'est pas vraiment un nom français.

- De quelle origine était-elle ?

- Je crois que sa famille venait d'Égypte.

- Mais elle n'était pas orpheline ?

- Si, si, mais elle avait été abandonnée ou un truc du genre.

Ils n'avancèrent pas beaucoup plus de la matinée ni même de la journée. L'interrogation des différentes gares où Seth avait été susceptible de passer n'avait rien donné et aucun des lycèes du département des Hautes Alpes n'avait eu de Seth Imah sur ses bancs. Autant dire que quand il rentra le soir chez sa mère il n'en savait pas beaucoup plus. Il supporta mal les incessantes questions de celle-ci et se demanda combien de temps il tiendrait ici avant de pêter les plombs. Il faisait bon dehors, il ressortit et alla marcher.

Il n'allait pas bien. Il ne savait pas ce qu'il voulait. Il voulait à la fois l'oublier, et tout aussi il était curieux de son passé. Comment avait-il pu rester quatre ans sans même se demander d'où elle venait vraiment ? Il ne comprenait pas lui-même comment il était resté si tolérant, si docile... L'avait elle hypnotiser à ce point ? Elle était fascinante, certes, mais au point de l'avoir aveuglé tout ce temps ?...

Il pleura, il était tellement seul... Qu'allait-il devenir ? Comment pourrait-il retrouver le calme et la paix ? Il ne le pourrait pas, il ne pourrait plus. Il ne comprenait pas et il voulait comprendre. Pourquoi lui manquait-elle tant ? Pourquoi était-il tellement démuni. Il se croyait fort, pourtant, mais c'était elle sa force, mais qui était-elle ?

Il marcha encore un peu, puis rentra. Il évita soigneusement le regard de sa mère et alla se coucher en lui souhaitant bonne nuit alors qu'elle regardait une emmission stupide à la télé, comme elle adorait le faire. Il dormit mal, encore et toujours, mais l'épuisement finissait par le faire tomber de fatigue. Sa brûlure toujours, toujours là pour lui rappeler la dure réalité, même dans ses rêves...

Mercredi 27 août 2003, journée étonnamment la copie de la précédente. Thomas tourna presque toute la journée dans son bureau à la recherches d'improbables pistes. Le procureur appela, mais il ne purent guêre le satisfaire, il n'avait rien, absolument rien... Et la presse locale voulait faire une une le lendemain sur l'impuissance de la police d'après les renseignements du procureur... Bref, il voulait avoir des éléments pour détromper ces rumeurs, et il n'aimait pas mentir...

Mais Thomas s'en moquait, Stéphane et Jean-Luc un peu moins, mais lui s'en moquait. Que le procureur aille au diable, il se moquait de sa carrière. Autant il aurait pu sans trop de remord trouver un coupable parfait dans d'autres occasions, autant dans celle-ci il prendrait le temps qu'il faudrait. Ce n'était pas la même chose, et il était confiant qu'on ne put pas confier facilement l'enquête à une autre personne, au vu des faibles éléments disponibles concernant Seth. Et il DEVAIT faire l'enquête, quoi qu'il arrive.

Il retrouverait peut-être des éléments chez lui, même si Seth avait si peu d'affaires, mais il devait attendre les compte-rendus des analyses avant de pouvoir être autoriser à rentrer de nouveau dans sa demeure. Il se sentait seul. Même au bureau avec ses collègues il se sentait seul, détaché du monde. Seth lui manquait, tellement.

Il partit tôt du travail, beaucoup plus tôt que d'habitude, mais il ne tenait plus en place, il lui fallait prendre l'air. Il sentait cette oppression, il se sentait à la fois de nouveau libre et tellement prisonnier. Que lui avait fait Seth ? Mon Dieu, que lui avait-elle fait ?

Finalement après avoir conduit plus d'une heure pour aller nulle part il revint à son travail et passa deux heures dans la salle de sport. Cette nuit là il prit finalement des médicaments pour dormir, il n'en pouvait plus de rêver et de subir l'enfer chaque nuit. Il dorma enfin d'un reposant sommeil pour la première fois depuis la mort de Seth.

Mais cela ne lui apporta pas pour autant de l'inspiration pour la journée du jeudi, pendant laquelle ils tournèrent encore et toujours en rond sans trouver la moindre piste. Il ne prit pas de médicament pour dormir le jeudi soir, il avait quelque remord à prendre le risque d'en devenir dépendant, mais sa nuit fut un cauchemar, comme il s'y attendait presque. Il avait l'impression de rêver, que tout n'était qu'une illusion, qu'il allait se réveiller. Il vivait comme dans un nuage, comme si la réalité s'effaçait. Comme si cette brûlure démoniaque transformait sa vie en supplice permanent.

Il quitta ses cauchemars, ce vendredi 29 août 2003, Sainte Sabine, pour, pensait-il, encore passer une journée sans intérêt. Il avait connu une Sabine autrefois. Pourtant Stéphane et Jean-Luc se donnaient du mal, ils cherchaient avec ferveur l'indice qui pourrait les mettre sur la voie... Il l'avait peut-être aimé, même, il ne savait plus trop. Mais quelle voie ? Quelle voie... La seule voie c'était à lui de la trouver, de la créer, de l'inventer... Peut-être qu'il pourrait la retrouver après tout ce temps... Peut-être qu'il pourrai oublier sa vie avec elle...

Mais il se trompait. Et, contre toute attente, les analyses semblait indiquer que quelqu'un était passé cette après-midi du mardi 19 août. Quelqu'un ? Mais qui ? C'était impossible ! Stéphane lui commentait les résultats :

- On a bien retrouvé des traces de toi, Seth, ta mère, mais aussi quelques cheveux d'une autre personne. Toutefois pas de trace d'empreintes suspectes. La personnes n'a soit rien touchée soit portait des gants. Nous n'avons pas de date avec certitude, mais si comme tu le dis tu n'as reçu personne d'une vingtaine d'années chez toi dans les deux semaines qui ont précédé, c'est probable que ce soit notre homme, d'autant qu'il n'y a pas de trace d'infraction, cette personne a donc dû rentrer alors que la porte était ouverte.

- Les cheveux ne peuvent pas simplement avoir été déposé parce que Seth ou moi les avions transportés sur nous ?

- Si c'est possible pour un ou deux, et c'est pour cela que les analyses sont longues, il en faut un certain nombre pour avoir une probabilité plus grande que la personne soit bien venue.

- Et comment serait venue cette personne ?

- Aucune idée, il y avait trop de traces de voiture dans la cours pour espérer y trouver quoi que ce soit. Toutefois plusieurs cheveux trouvés ont été prélevés dans la chambre, laissant suspecter que la personne y a passé du temps.

Une personne ? Mais qui... Comment savoir ?

- Les cheveux suffisent à trouver qui est cette personne ?

- Pas directement, sauf si nous avons la chance que son ADN soit déjà répertorié, mais dans la mesure ou elle n'a pas était violée c'est sans doute prémédité et ce n'est peut-être qu'un homme de main. Il nous faudra donc trouver des suspects et comparer.

- Ça ne nous avance pas beaucoup alors...

- C'est déjà pas si mal ! Nous n'avions rien jusqu'alors ! Désormais nous savons qu'une personne d'une vingtaine d'années, ne fumant pas, ne consommant pas de drogue, est sans doute passée dans l'après-midi du meurtre, et avec un peu de chance est peut-être le meutrier lui-même.

- Mais les voisins n'avaient rien remarqué pourtant.

- Oui, mais c'est l'occasion de refaire un tour, et en plus maintenant on pourra confondre des suspects plus facilement puisqu'on pourra comparer leur ADN.

- Ils ont trouvé autre chose ?

- Non, rien de notable.

- Il faudra faire d'autres prélèvements ou est-ce que je pourrai retourner chez moi ? J'aimerai chercher dans les affaires de Seth, j'y trouverai peut-être quelque chose.

- Tu ne l'as pas encore fait ! Je croyais que tu avais déjà regardé !

- À vrai dire j'avais un peu peur de retourner à l'intérieur. C'est con mais j'avais un mauvais pressentiment.

- Je comprends. Tu veux que je vielle avec toi ?

- Non c'est bon, je vais rentrer plus tôt ce soir et je fouillerai un peu.

- On pourrait plutôt y retourner tout de suite, moi j'interrogerai une fois de plus les environs, de toutes façons c'est notre seule piste, et à part rester à tourner en rond ici...

Ils prirent donc le chemin des Loges-en-Josas une nouvelles fois. Thomas conduisait. Et une fois de plus il manqua de renverser ce satané gamin qui trainait devant chez lui. Thomas s'énerva :

- Salle gosse, c'est pas possible ! Il n'a vraiment que ça à foutre venir trainer devant chez moi !

Thomas manque une fois de plus de renverser le même gamin en vélo à la sortie d'un virage à une centaine de mètre de sa maison.

- Tu le connais ?

- Non, sans doute un gosse du coin ou en vacances chez ses grand-parents pendant que ses parents sont bien tranquilles tous les deux.

Stéphane s'emballa tout d'un coup, posant ses questions plus vite.

- Il traîne souvent dans le coin ?

- Oh ! Trop souvent, pourqu...

- Fais demi-tour, rattrape-le, il a peut-être vu quelque chose !

Thomas réalisa enfin. Il pila et fit un demi-tour rapide sur la route. Comment n'y avait-il pas penser plus tôt, le gamin ! Il avait vraiment honte parfois d'avoir si peu de présence d'esprit. Il ne leur fallut que quelques minutes pour revenir à la hauteur du jeune qui ne devait pas avoir plus de dix ou douze ans. Quand la voiture s'arrêta et que Stéphane en sortit, le gamin effrayé pédala à toute vitesse pour partir. Stéphane lui cria :

- Attends, attends ! Nous voulons juste te demander un renseignement !...

Stéphane lui partit en courant après. Thomas voyant cela fit demi-tour rapidement et partit vers le gamin en voiture. Il le dépassa et se gara quelques dizaines de mètres en avant. Il sortit de la voiture pour l'interpeller. Le gamin était paniqué.

- Eh ! Oh ! Calme toi, n'ais pas peur. On veut juste te poser une ou deux questions. Nous sommes de la police.

Stéphane arriva par l'arrière, essouflé. Il resta à quelques mètres du gamin et sortit sa plaque.

- Nous sommes de la police. Ne t'inquiète pas. Nous voulons juste te poser quelques questions à propos de quelque chose qui s'est passé la semaine dernière.

Le gamin semblait se détendre un peu à la vue de la plaque de policier de Stéphane. Thomas avait aussi sorti la sienne. Ils se rapprochèrent de lui. Une voiture passa sur la route et dut presque s'arrêter devant eux. Ils se mirent sur le bord tous les trois. Le conducteur sembla reconnaître Thomas et avança doucement laissant voir son regard dans les rétroviseurs. Thomas s'appuiya contre le coffre de sa 307.

- Tu me reconnais, j'habite juste après.

Pour la première fois le gamin parla :

- Oui je vous connais, vous êtes le mari de la dame qui s'est faite tuer.

Stéphane devint plus détendu.

- Ah ben tu es au courant ! Et bien nous enquêtons sur ce meurtre. Et nous cherchons des gens qui auraient vu quelque chose.

- Oui mais j'ai rien vu. Je... Je dois rentré maintenant...

Thomas se força pour faire enfin preuve d'un peu d'initiative.

- Et oh n'ais pas peur. Tu habites à deux pas, ne t'inquiète pas on te ramènera si tu as peur de te faire gronder. Tu tournes tous les jours depuis au moins trois semaines dans le coin, tu es sûr que tu n'as rien vu ?

- Non... Je... J'étais pas là...

Stéphane trouva suspect cette hésitation, d'autant que le gamin regardait souvent à droite ou à gauche, comme s'il avait peur d'être vu.

- Tu sais si tu ne dis pas la vérité, ça pourrait te causer des ennuies. Nous sommes de la police, si tu as vu queqlue chose il faut nous le dire.

Le gamin le regarda dans les yeux et soutint son regard.

- Tu veux qu'on aille dans un endroit plus à l'abri des regards ? Thomas, ta mère est là ?

- Non elle dois sans doute être sortie. À moins qu'elle n'ait du monde, mais on peu trouver une salle tranquille.

Le gamin les coupa.

- Non pas la peine, de toute façon j'ai pas vu grand chose. Et puis je pense pas que ce type revienne dans le coin, je l'ai jamais vu avant. Et je ne pense pas qu'il m'ait vu, je suis partie avant qu'il ne puisse me voir.

Stéphane s'emballa :

- Tu as vu quelqu'un alors ! Est-ce que tu serais capable de le reconnaître ?

Thomas le coupa :

- Pour sa déposition il faut voir avec ses parents.

Cette réflexion appeura l'enfant :

- Non je veux pas aller à la police moi, sinon après je vais avoir des ennuis si jamais le gars s'évade.

Stéphane rattrapa la gaffe de Thomas :

- Non, non, ne t'inquiète pas, tout restera secret, pour l'instant est-ce que tu peux juste décrire ce que tu as vu ? Pour que nous ayons une piste ?

- Ben, c'était l'après-midi, comme d'hab ma soeur m'avait virer de la maison pour faire ses trucs avec son copain, alors je me faisais du vélo. Je me suis arrêter pour regarder la belle voiture qu'il y avait garer devant chez vous.

Le gamin se tourne vers Thomas, puis se retourne vers Stéphane, comme si Thomas lui faisait peur.

- J'ai posé mon vélo contre la grille, et j'ai regardé au travers de la haie. Puis l'homme est sortie de la maison, avant qu'il ne remonte dans sa voiture j'ai vite repris mon vélo et je suis partie. C'est tout ce que j'ai vue.

Stéphane chercha à en savoir un peu plus.

- Tu n'as pas vu l'homme arriver, il était déjà là quand tu es passé, c'est ça ?

- Oui.

- Tu sais quelle heure il était environ ?

- Non, je sais pas.

- Mais plutot en début d'après-midi, 1 heure ou 2 heures, ou plutôt en fin, 4 ou 5 heures ?

- Plutôt au milieu, 3 heures.

- L'homme était comment, grand, petit, il avait les cheveux de quelle couleur ?

- Je sais pas trop s'il était grand ou petit, il était normal. Il avait les cheveux foncé. Il avait des gants noirs, je m'en rappelle.

Thomas intervint :

- Et sa voiture, c'était quoi comme modèle.

Il ne se tourna qu'un fraction de seconde vers Thomas mais parla ensuite vers Stéphane :

- Une voiture de course. Elle était rouge, c'est pour ça que je l'ai vue. Mais je sais pas trop ce que c'était, une Ferrari peut-être.

- Tu n'as pas vu où elle était immatriculée ?

- Ça veut dire quoi ?

- Le dernier numéro sur la plaque, comme celle-là, tu vois, pousse-toi Thomas. Tu vois soixante-dix-huit par exemple.

- Euh, non j'ai pas vu.

Stéphane poursuivit, l'enfant s'agita :

- Et l'homme, quand il est sorti, il avait l'air pressé, content, pas content ?

- Je sais pas trop, mais je dois y aller maintenant...

- OK c'est bon, vas-y, merci beaucoup, peut-être que grâce à toi on va retrouver le meurtrier.

- Cool. Au revoir.

Le gamin enfourcha son vélo et partit sans se retourner.

- On verra avec ses parents pour une déposition plus détaillé.

Ils se dirigèrent vers la voiture et s'y installèrent. Thomas se répéta comme à lui-même.

- Une ferrari rouge... On est vachement avancé...

- Et encore, je suis sûr qu'il a dit Ferrari comme il aurait pu dire Porsche ou Lamborghini, à cet âge-là toutes les voitures de sport sont des Ferrari.

- Ça ne nous avance pas quoi...

- Au contraire ! Nous n'avions rien. Maintenant nous savons qu'une personne est venue à l'heure présumée du meurtre ! Tu n'imagines pas, il y a toutes les chances pour que cette personne soit le meurtrier.

Thomas ne répondit pas. Un homme, une Ferrari, vers 15 heures ? Qui pouvait-il bien être... Stéphane trouva son silence suspect.

- Tu n'as pas l'air très emballé. Quelque chose ne va pas, tu penses que ce n'est pas une bonne piste ?

La voiture entra et se gara devant la maison de la mère de Thomas. Il sortit de ses rêves :

- Non non, enfin si je pense que nous avons une bonne piste, je me demandais juste qui pouvait bien être cet homme. Je n'ai jamais vu Seth en compagnie d'homme, et encore moins en compagnie d'homme avec une Ferrari. C'était une fille simple, j'ai vraiment du mal à imaginer quels pouvaient être ses liens avec cet homme... Peut-être n'était-ce pas la première fois qu'il venait. Nous n'avons pas penser à demander au gamin, d'ailleurs.

- Si, il a dit au début qu'il ne l'avait jamais vu dans le coin.

- Ah oui c'est vrai.

- Mais...

Ils se dirigeait vers la maison de Thomas. Stéphane eut une hésitation.

- Je comprends que ça puisse être dur pour toi... Peut-être que nous allons découvrir que Seth avait des amants, ou trempait dans des histoires louches. C'est vrai que tu as peut-être plutôt envie d'oubli...

Thomas le coupa, presque autoritairement :

- Non. Je veux savoir, je veux savoir qui elle était. Qui elle était vraiment.

Ils rentrèrent tout d'eux dans la maison de Thomas. Thomas resta un instant immobile, voilà plus d'une semaine qu'il n'était pas rentré. Il lui semblait sentir l'odeur sucrée de la peau de Seth. Comme si les murs en transpiraient, en pleuraient. Stéphane avança doucement dans la pièce, rompit le silence :

- Elle avait beaucoup d'affaires ?

- Des habits, principalement, quand elle a emménagé ici elle n'avait rien qu'une valise d'habits.

- Elle n'avait pas de lettre, de courrier, de papiers, de livres ?

- Elle ne recevait pas de courrier. Elle n'en écrivait pas non plus, pas que je sache en tout cas. Quoi qu'il en soit je n'ai jamais lu sa correspondance. Je ne pense pas qu'elle en ait ici. À moins qu'elle les cachât.

- Elle ne recevait pas de courrier ? Aucune lettre ?

- Non aucune.

- Elle devait avoir une autre adresse ! C'est impossible que personne ne lui ait jamais écrit en quatre ans !

- Peut-être dans sa maison dans les Alpes, j'en sais rien, en tout cas ici elle n'a jamais reçu de lettres.

- Et ça t'a jamais paru bizarre ?

- Non, mais je me rends compte aujourd'hui que je suis resté peut-être un peu comme hypnotisé, à vrai dire quand j'étais avec elle je ne pensais à rien d'autre.

- Elle faisait quoi de ses journées, si elle ne travaillait pas, n'avait pas d'amis ? Elle sortait ?

- Avant oui. Elle passait presque toutes ses journées sur Paris, je ne sais pas trop ce qu'elle y faisait. Depuis le début de l'année elle était soucieuse. Elle ne sortait presque plus, et je la sentait plus faible, plus fatiguée.

- Depuis le début de l'année ? Elle a fait quelque chose de spécial à ce moment là, ou à la fin de l'année dernière ?

- Non, pas vraim... Mais si. En novembre ! Elle a passé quelques jours sur l'Île de Ré début novembre. C'est peut-être ça, oui, c'est peut-être là-bas qu'elle a appris quelque chose.

- Tu sais ce qu'elle est allée y faire, tu sais si elle logeait chez quelqu'un, à l'hôtel ?

- Non, elle m'avait dit avoir de vieilles connaissances qu'elle n'avait pas vues depuis bien longtemps. Elle n'y est resté que quelques jours, peut-être même pas une semaine.

Stéphane réfléchit un instant...

- Tu as encore des trucs à voir ?

Thomas referma l'armoire où il fouillait.

- Non, comme je le craignait il n'y a rien...

- Nous pouvons repartir au bureau alors. J'ai bien envie de faire une recherche sur les voitures de sport rouge de l'Île de Ré, si ça se trouve, c'est la solution.

- Tu penses ?

- Qu'est-ce qu'on à d'autre ?

- Rien...

Dit Thomas en refermant à double tours la porte de sa maison. Il reprit le volant et il repartirent pour Versailles. Trouver les voitures de sport rouges dans le soixante-dix-huit n'était pas très envisageable, par contre sur l'Île de Ré, moins d'une trentaine de personnes correspondrait au profil de jeune homme fortuné possédant une voiture de sport rouge, au moment de l'établissement de la carte grise, tout du moins. Le procureur ne se satisfit que difficilement de cette avancée. Savoir que le meurtrier n'était pas un pauvre diable mais potentiellement un fils d'une personne influente et fortunée ne rendrait pas la tâche facile. Quoi qu'il en soit, il félicité Thomas et Stéphane pour ce premier pas.

Vendredi, 19 heures 30. Thomas décida de rentrer. Ils n'avaient pas beaucoup plus avancer le reste de la journée. Ils avançaient à pas de fourmi. Pourtant Thomas était satisfait. Ils avaient découvert la visite de ce personnage le mardi après-midi, et il avait espoir de trouver une piste en se rendant sur l'Île de Ré. Il avait presque envie de sortir ce soir là. Il était fatigué de sa dure nuit précédente, mais enjouer à l'idée qu'une nouvelle vie commençait pour lui. Une nouvelle vie où il ne serait plus le même, où il ne serait plus faible. Où il ne se laisserait pas hypnotiser.

Mais une fois confortablement installé dans son fauteuil devant son grand poste de télévision 16/9 il eut même la flemme de se faire à dîner. Il commanda deux pizzas à se faire livrer. Il se moquait du prix et surtout des commentaires que lui fairait sa mère le lendemain, car il ne lui répondrait pas ce soir, sur le fait que s'il ne voulait pas cuisiner il aurait mieux fait de venir manger chez elle. Mais il ne voulait pas de la cuisine de sa mère, qu'elle soit bonne ou pas l'importait peu, il voulait deux grosses pizzas grasses qui parfumeraient son salon pendant deux jours.

Il regarda un téléfilm stupide. Il lui rappela son histoire avec Émmanuelle. Si seulement il n'avait pas fait l'idiot, elle ne l'aurait peut-être pas quitté, et toute cette histoire ne serait jamais arrivée. Il eut peur. Peur de la suite. Peur du futur, des conséquences de la mort de Seth. Il eut peur de ne jamais retrouver la paix de l'esprit, qu'à chaque illusion le souvenir de Seth lui revienne. Sa brûlure lui fit mal. Le Soleil se couchait. La nuit tombait. Il était épuisé mais il n'avait pas envie de dormir. Ou peut-être avait-il peur.

Après ses trois bières il décida de ne pas finir la demi pizza qui restait. Il but un verre de whisky en espérant qu'il faciliterait son endormissement. Il s'endormit en effet en quelques minutes devant le second téléfim de la soirée. Mais celui-ci terminé, il se réveilla, et la nuit tombée il n'eut pas la force d'aller dans la chambre à coucher, comme si le fantôme de Seth l'y attendrait. Il somnola les lumières allumées sur le canapé, son pistolet à portée de main.

Samedi 30 août 2003. 11 heures 20. Il se lèva enfin. Il avait mal dormi, encore plus mal que d'habitude. Et le dernier whisky n'était pas une bonne idée. Du bruit, on frappe à la porte. Il lui fallut quelques instants pour le réaliser, c'était sans doute la raison de son réveil. C'était sa mère, bien sûr... Non il ne voulait pas venir dîner avec elle, oui elle l'avait réveillé, non il ne voulait plus dormir chez elle. Il ne voulait plus dormir nulle part, d'ailleurs, il ne voulait plus dormir du tout. Non il ne voulait pas déjeuner avec elle, non il ne voulait pas aller faire des courses, non il ne voulait pas l'accompagner chez sa grande-tante...

Il lui dit finalement qu'elle l'avait réveillé, qu'il avait eu une dure semaine, et qu'il voulait juste rester tranquille ; qu'il irait la voir quand il se sentirait plus disposé. Elle partit blessée, il le savait, mais il n'avait pas la force d'en faire plus. Il ne pouvait pas tout supporter, il ne pouvait pas... Le jour entrant en grand dans la chambre, il put s'allonger sur le lit. Mais il se redressa brutalement dès qu'il fermit les yeux. Il la revit. Il sortit précipitemment de sa chambre et se demanda s'il pourrait jamais de nouveau y dormir... Peut-être valait-il mieux qu'il emménageât dans la chambre d'ami.

Il avait envie de sexe. Peut-être en fait se moquait-il auparavant de la vie de Seth parce que la seule chose qui l'intéressait c'était faire l'amour avec elle ? Non, tout de même. Il se rappella quand elle le prenait dans ses bras, quand il sentait cette chaleur, cette force qui l'appaisait. Il aurait donné tout pour pouvoir sentir encore ce réconfort...

Mon Dieu, mon Dieu... Mais qui était-elle ?...

Il devait aller à l'Île de Ré. Il n'attendrait pas un ordre de mission, il partirait ce week-end, sur le champ, même. Il prépara un sac rapidement, se connecta à son travail et imprima tous les documents dont il avait besoin, notamment les noms et adresses de propriétaires de voitures de sport rouges sur l'île. Il imprima aussi un itinéraire via iti.fr et il partit.

L'Île de Ré

Il ne roula pas si vite. Après tout être policier ne lui octroyait pas tous les droits, d'autant qu'il n'avait pas d'ordre de mission. iti.fr donnait quatre heures quarante pour le trajet, il y sera en quatre heures trente. Une fois le pont de l'Île de Ré traversé, il voulut aller jusqu'à l'extrémité de l'île, mais il lui fallut presque une heure pour parcourir les trente kilomètres, et une fois au phare des Baleines, il était déjà plus de 18 heures.

Il avait vu l'île beaucoup plus petite que cela, et sans plan il lui fallut plus de deux heures uniquement pour radier de sa liste deux des vingt-et-une personnes suspectes. Dépité il se chercha un hôtel. Il en profita dans les trois qu'il fit avant de trouver une chambre de libre, dans un hôtel d'Ars-en-Ré, pour demander si le visage de Seth leur était connu. Mais leurs réponses furent identiques, ils avaient tous vu des centaines de personnes qui ressemblaient à Seth, quant à savoir s'ils l'avaient vu vraiment, presque un an en arrière... Pourtant Thomas savait qu'on ne pouvait pas oublier Seth, et que quiconque la voyait gardait son image comme la beauté parfaite pour le restant de ses jours. Mais il y avait tellement de saisonniers travaillant dans ces hôtels, comment savoir qui avait bien pu la voir, et si même elle s'était arrêter dans un hôtel... Parfois il s'était demandé si elle ne pouvait pas rester des jours et des jours sans dormir...

Samedi soir à Ars-en-Ré, il dina dans le restaurant de l'hôtel. Il y avait du monde, malgré ce dernier dimanche d'août. Il ne savait pas trop quand était la rentrée des classes. À vrai dire il ne s'y intéressait guère. Il ne voulait pas d'enfants. Il n'en avait jamais voulu, et encore moins depuis qu'il était avec Seth, voulant profiter égoïstement d'elle. Elle ne lui avait d'ailleurs jamais parlé ni d'enfants ni de marriage. En un sens il avait trouvé ce statu quo plutôt réconfortant, même s'il tirait un peu d'aigreur qu'elle ne lui ait jamais parler de marriage, comme si elle ne s'était jamais vraiment attaché, comme si elle n'avait jamais vraiment voulu autre chose qu'un toit pour dormir et vivre tranquillement sa vie secrète. Sa vie secrète... Qu'avait-elle donc fait pendant ces quatre ans... Et lui ? Qu'avait-il donc fait, aveuglé par son amour, qu'avait-il donc laissé passer, sans même sans rendre compte ?...

Encore une mauvaise nuit. Il dormit de 23 heures à 1 heure du matin, puis tourna et retourna, jusqu'à ce recroqueviller dans une position foetale ou il serrait sa jambe de toutes ses forces contre sa brûlure pour en expudier le mal... Il pleura, encore, presque comme chaque nuit, et finalement s'endormit, épuisé, vers 6 heures du matin. C'est du bruit dans la chambre voisine qui le réveilla finalement et comme il n'avait pas fermé les volets, il ne put se rendormir ni se convaincre de se lever pour les rabattre. Dimanche 31 Août 2003, 9 heures 35. Il soupira puis se leva, prit une douche rapide et partit sans prendre de petit-déjeuner.

Mais à mesure que la journée avançait, et qu'il éliminait un à un les suspects de sa liste, il réalisa que cette recherche ne le mènerait à rien. La seule raison pour laquelle ils avaient cherché les propriétaires de voitures de sport sur l'Île de Ré n'avait pour fondement qu'un critère de faisabilité car les résultats étaient bien trop nombreux dans d'autres départements. Mais cette homme aurait pu venir de n'importe où. Les chanches qu'il vînt de l'Île de Ré ne reposait que sur une suspiscion infondée que Seth eût rencontrée presque un an en arrière certaines personnes lors de ses quelques jours sur l'Île. Mais pourquoi pas plutôt lors de son déplacement pour Gap, c'était beaucoup plus logique. Il n'y avait même pas pensé. C'était à Gap qu'il lui fallait mener son enquête, pas ici...

Il abandonna donc sa recherche après trois personnes interrogées, et sans petit-déjeuner dans le ventre il décida de se sustenter dans un restaurant sur le port de Saint-Martin-de-Ré, qu'il trouva charmant sous le Soleil. Les touristes ne manquaient pas, et s'il pesta quand le serveur le dirigea au milieu des tables bondées, il changea sa vision des choses une fois installé à côté d'une joli fille chatain en train d'écrire sur un petit cahier. Il n'était pas vraiment timide, et il avait toujours su impressionner un peu les filles, il se dit qu'après tout, c'était dimanche, et il oublia un peu son lien qu'il croyait devoir supporter pour l'éternité avec Seth ; il était célibataire désormais, après tout...

- Vous êtes journaliste ?

La jeune fille, sans doute la trentaine, il n'avait jamais su deviner l'âge des gens, termina méticuleusement la phrase qu'elle était en train d'écrire, puis posa et reboucha son stylo avant de se tourner vers lui. Il vit alors ses superbes yeux noisettes, et il fut séduit, il en oublia son enquête, Seth, son travail, et se dit qu'il voulait refaire sa vie avec elle, ou tout du moins quelques nuits.

- Non, écrivain.

Elle le regarda avec un regard soutenu, il en fut géné. Il se recula un peu sur son dossier, et gonfla impersceptiblement ses pectoraux. Il bafouilla :

- Ah, euh... Quoi... Quel genre... Vous écrivez des romans ?

Elle se redressa et écarta une mèche qui lui tombait dans les yeux et s'appuya contre le dossier de sa chaise, elle décroisa les jambes pour les recroiser de l'autre côté. Il n'en fallut pas beaucoup plus pour donner des idées à Thomas :

- Pour être franche je suis plus en passe de devenir écrivain. J'ai publié l'année dernière un livre documentaire sur l'Île de Ré, que j'habite depuis trois ans, mais c'est resté limité à un public restreint. Mon second livre, par contre, un roman, sera publié à la fin du mois prochain, j'espère alors avoir un peu plus de succès. Et je travaille en ce moment sur un nouveau roman.

Thomas se rendit compte qu'il n'avait pas écouté ce qu'elle disait, il se rappelait juste qu'elle écrivait un roman.

- Ah, et, c'est quel genre de roman ? Un histoire d'amour ?

Il se sentit bête de la cataloguer tout de suite dans les écrivains de romans à l'eau de rose... Mais elle ne le prit pas ainsi.

- Oh il y a un peu d'amour dans tous les romans vous savez, il y a un peu d'amour dans tous les hommes. C'est une histoire policière, d'aventure, je ne sais pas vraiment trop comment le cataloguer. C'est l'histoire d'un jeune homme à la vie maussade, qui, déprimé, décide de se noyer, mais il échoue et le choc produit lui fait revenir une parti de sa mémoire. Il s'avère en fait que suite à une perte partielle de mémoire il a été évincé par son ancienne femme qui lui a subtilisé toute sa fortune, et l'a laissé vivre comme un miséreux, il va alors décider de reconquérir son dû.

- Une noyade qui lui ramène sa mémoire, c'est original.

- Oui... Enfin j'avoue que l'idée n'est pas vraiment de moi. C'était en fait mon ex petit-ami, c'est d'ailleurs la goute qui a fait déborder le vase, qui s'était excusé de m'avoir posé un lapin en prétextant avec suivi un jeune qui ne semblait pas aller bien jusqu'à la plage de la Conche. C'est une plage vers l'extrémité Nord de l'île. Il avait soit disant empéché se jeune de se noyer en le repéchant des eaux. Malheureusement d'après lui le choc lui avait fait perdre une partie de la mémoire, et il avait passé toute la soirée à l'aider à retrouver son chemin. Je n'ai pas cru son histoire, toutefois son imagination débordante me donna l'idée d'un roman, j'ai juste changé la perte de mémoire par son contraire. Je lui ai toutefois rendu crédit dans les remerciements, même si cet événement marqua la fin de notre relation.

- Pourquoi ne l'avez-vous pas cru ?

Elle resta bouche bée un instant, s'énerva un peu puis dit d'un ton ironique :

- Bien, c'était le week-end du premier novembre, nous devions partir en week-end le jeudi soir. Il avait déjà prétexter je ne sais qu'elle chose urgente pour repousser notre départ au lendemain soir. Et le vendredi soir, plus de nouvelle, rien, même pas un mot, et je le retrouve le mardi matin avec comme seule excuse qu'il a passé le week-end à aider un malheureux qui a soit-disant fait une tentative de suicide et a perdu la mémoire ? Bien sûr pas un seul coup de fil du week-end, et pas la moindre trace du malheureux en question !

- C'est vrai que c'est un peu gros... Vous pensez qu'il est parti avec une autre ?

Elle ferma les yeux et lèva les mains comme pour repousser toute cette histoire, sa voix dérailla :

- Bah ! Je m'en moque ! Il peut bien faire ce qu'il veut avec qui il veut, ce n'est plus mon problème. Il était beaucoup trop compliqué pour moi de toute façon.

Elle se reprit :

- Enfin... Ça m'a tout de même inspiré un livre, c'est déjà ça... Mais parlons d'autres chose... Et vous ? Que faites-vous ?

Thomas ne sut pas trop si mentir ou pas, mais après tout il pouvait tenter de l'impressionner, et quoi de mieux pour une romancière que de rencontrer un policier dans une histoire bizarre :

- Je suis policier. Plus exactement j'enquête sur un meurtre...

Elle écarta les yeux de surprise.

- Oh ! Vraiment, un meurtre ici, sur l'Île de Ré ?

- Non, pas vraiment, dans la région parisienne, mais nous avions peut-être une piste sur l'Île de Ré. À vrai dire nous avons tellement peu d'éléments que la moindre piste est bonne.

- Vous pensez que le criminel peut se trouver sur l'Île ?

- J'ai cru à un moment peut-être, mais c'est plus parce qu'il est plus simple de chercher sur une petite île que dans la France entière...

Thomas se dit qu'il ne devait pas en dire plus, qu'il ferait mieux de partir, de rentrer à Paris. Ça ne servait à rien de vouloir la séduire, de toute façon il ne pourrait pas faire l'amour avec elle. Sa brûlure était toujours sa malédiction et elle le poursuivrait pour toujours. Elle sentit son hésitation, et celle-ci l'intrigua.

- Vous ne pouvez pas trop en parler, peut-être ? Et qui était la victime ?

Lui dire, pas lui dire. Elle était si belle. Après tout, peut-être qu'elle comprendrait ?

- Ma petite-amie...

- Oh !

Elle eut un soupir, ses yeux pétillèrent, elle se tourna légèrement, se rappochant de lui, il sentit son parfum :

- Mon Dieu, mais, c'est quelqu'un qui vous en veux vous croyez, un ancien bandit que vous aviez arrêté ?

C'était trop tard, il lui en avait trop dit. Le serveur passa pour lui demandé son choix. Il n'avait même pas regardé la carte, il commanda le plat du jour. Sa voisine s'écarta un peu, mais aussitôt le serveur reparti se retourna vers lui. Il décida de rester vague :

- Je ne sais pas. Nous avons tellement peu de pistes. Ça peut être n'importe qui. J'en viens à me demander moi-même si je la connaissais vraiment.

- Vous pensez qu'elle aurait pu trempé dans des histoires peu recommendable ? Vous la connaissiez depuis longtemps ?...

Elle se rétracta subitement, posa sa main sur la manche de Thomas :

- Je suis désolé si je suis si indiscrète, peut-être ne pouvez-vous ou ne voulez-vous pas vraiment en parler ? Je ne me suis même pas présentée, je m'appelle Carole Martès.

Après tout Thomas se dit qu'il avait l'effet escompté. Il lui serre sa main tendu :

- Thomas Berne, enchanté. Nous sortions ensemble depuis quatre ans, et elle est morte mardi de la semaine dernière...

Il soupira et laissa son regard aller dans le vide. Elle resta silencieuse un instant, n'imaginant sans doute pas que c'était aussi récent.

- Je, j'ai... Et... Vous restez longtemps sur l'île ?

- J'étais venu en tentant de trouver un indice, mais autant chercher une aiguille dans une botte de foin...

Le serveur amèna finalement le plat à Thomas, mais sa discussion lui avait surtout donné soif, il demanda une carafe. Carole s'éloigna un peu, le laissant gouter ses tagliatelles au saumon. Elle prit une cuillerée de sa crème brûlée qu'elle avait à peine touchée. Elle se rendit compte qu'après tout elle n'était pas si mauvaise. Elle sentait qu'il était gêné, et si au début elle avait cru encore, comme toujours, à un de ces ennuyeux Don Juan sans conversation, c'était maintenant presque professionnellement qu'elle avait envie de savoir ses sentiments, comment il vivait cette période, comment il pouvait décrire son envie d'avancer dans l'enquête et aussi sans doute de refermer la blessure, de l'oublier...

- Mais. Qu'est-ce qui vous a fait penser que vous pouviez trouver des indices sur l'île ?

- Et bien, le jour du meurtre, une personne a vue...

Il se rendit compte à quel point sa justification était risible. Le témoignage informel d'un gamin de dix ans, mis dehors parce que sa soeur crapahute avec son petit-ami, et sans doute en mal d'occupation, qui aurait vu une voiture de sport rouge devant chez lui... Et il se retrouve sur l'Île de Ré parce que presqu'un an plus tôt il n'avait pas dormi pendant trois nuit en l'imaginant dans les bras d'un autre sur cette maudite île... Ce n'est pas un coupable qu'il cherchait, c'est un amant...

- Hum. À vrai dire je pense qu'il est plus raisonnable que je ne vous en dise pas trop. Rien n'est encore suffisamment clair pour que je puisse vraiment en parler.

"Mince !" se dit-elle, je l'ai effrayé, j'aurais dû y aller avec plus de tact... Elle se tut un instant et prit une nouvelle bouchée de sa crême brûlée.

- Vous comptez rester longtemps sur l'île ?

- Non, je ne pense pas. Je n'ai pas vraiment d'ordre de mission je me disais juste que j'aurais peut-être trouvé des indices... Mais je pensais pas que l'île serait si grande, c'est pour ça que je suis un peu découragé.

Elle réalisa tout d'un coup que peut-être il la mener en bateau et cherchait juste à l'appater avec sa prétendu enquête.

- Mais, euh, excusez-moi d'insister, vous chercher quelqu'un, ou juste un témoin, un suspect ?

Thomas eut soudain envie qu'elle le prît dans ses bras et qu'il lui racontât ses malheurs. Il se resaisit :

- Il y a quelque mois mon amie a fait un voyage sur l'Île de Ré, et elle en est revenue changée, troublée. Je pense qu'il est possible qu'elle est rencontrée ici quelqu'un qui pourrait m'en dire un peu plus sur elle et son passé.

- Ah je comprends mieux. La personne qui a été vue dans les parrages le jour du meurtre pourrait être un habitant de l'Île, c'est bien ça ?

Elle était perspicace. Thomas se dit qu'elle serait sans doute beaucoup trop compliquée pour lui. Il acquiesça tout de même :

- Oui, on ne peut rien vous cacher.

Elle regarda sa montre et s'exclama soudain.

- Oh, mon Dieu ! Déjà 13 heures 30. J'ai rendez-vous à 14 heures. Je suis désolé je vais devoir vous laisser.

Elle se lève sans que Thomas ne puisse même dire un mot. Elle récupère sa veste et son sac, range en fouilli son cahier et ses notes à l'intérieur.

- Ravie d'avoir fait votre connaissance, bonne fin de journée.

- Eh, euh, attendez...

Elle se dirigeait déjà vers le bar pour régler sa note. Elle se retourna :

- Oui ?

Elle avait vraiment un jolie style, avec sa veste marron en mauvais état, son gros sac et ses mèches qui lui tombaient sur les yeux. Thomas n'osa pas lui demander son numéro.

- Bonne après-midi, content d'avoir discuté avec vous.

- Merci, au revoir...

De toute façon il pourrait découvrir son adresse et bien plus au bureau. Il regretta de ne pas lui avoir laissé une photo de Seth, peut-être aurait-elle pu demander à ses connaissances sur l'île si elle leur disait quelque chose. Il la regarda s'éloigner sur le port, en trottinant. Il finit son plat de tagliatelles se disant qu'il pourrait en dévorer deux autres avec le même appétit, mais il se contenta de la même crême brûlée que Carole, qui lui avait fait envie, et d'un café.

14 heures 5. Il ne savait pas quoi faire. Il n'avait plus envie de poursuivre ses recherches sur l'île, il n'avait pas pour autant envie de retourner à Paris. Il alluma son téléphone mobile, resté éteint depuis son départ. Trois messages de sa mère affolée. Il ne la rappela pas, après tout il avait bien le droit de partir en week-end où il voulait sans qu'elle le sache, il avait trente-deux ans, que diable !

Il ne savait pas quoi faire mais il n'avait pas vraiment envie de penser à cette histoire. Il se dit qu'il pourrait profiter d'être sur l'Île de Ré pour faire un tour à la plage, respirer un peu l'air de la mer, puis il rentrerait sur Paris le soir tombé. De toute façon il ne dormait pas, autant mettre à profit ses insomnies. Il paya, regagna sa voiture, et roula de nouveau vers le phare des Baleines. Il se gara à proximité et alla marcher au bord de la mer. C'était encore l'été mais le Soleil n'était plus aussi fort qu'il ne le fut pendant les quelques semaines de canicule début août. Il avait bien cru alors qu'il suffoquerait dans les bureaux non climatisés.

L'air de la mer le calma, il lui rappela sa balade avec Emmanuelle en Normandie. Oh il avait tant besoin de tendresse... Il s'assit sur la plage de galets. Il y avait quelques touristes qui cherchaient des coquillages. Seth était venue sur cette île... Mais pourquoi, qu'avait-elle fait... Qui avait-elle vu... Il y avait forcément quelqu'un sur cet île qui avait dû la voir, elle avait bien du loger quelque part, elle avait bien dû manger, croiser des gens... Si vraiment comme il le pensait on ne pouvait pas l'oublier des gens la reconnaîtraient sans doute, mais devrait-il parcourir l'île de part en part pour espérer avoir une réponse ?

Il pourrait simplement déjà laisser une photo à quelques endroits de passage, boulangeries, supermarchés, dans l'hypothèse où quelqu'un la reconnût. Ah il ne savait pas. Il était tellement perdu. Voulait-il continuer cette enquête ? Ou voulait-il tout oublier ? Mais comment oublier... Est-ce que sa vie sera changée pour toujours ? Seth, ô Seth... Il s'allongea tant bien que mal sur les galets et s'endormit. Il rêva de Carole et de Seth, comme si elle se mélangeaient en une seule et même personne...

Il dormit presque deux heures, il était épuisé, jusqu'à ce que son téléphone mobile le réveilla. Il regretta alors de l'avoir allumé :

- Salut c'est Stéphane, t'es où, je suis passé chez toi mais ta mère affolée m'a dit que tu avais disparu.

- Salut Stéf, non c'est bon c'est juste que je lui ais pas dis où j'étais. Je suis sur l'île de Ré.

- Sur l'Île de Ré ? Mais qu'est-ce que tu fous là-bas ? Tu cherches le proprio de la caisse rouge ? Tu aurais pu prévenir que tu y allais, en plus tu n'as pas d'ordre de mission, ça risque de barder pour toi si jamais quelqu'un...

- C'est bon, c'est bon, laisse béton, de toute façon j'ai même pas interrogé plus de cinq personne, j'en profite pour prendre un peu l'air, surtout.

- Ah, bon, mais, euh, tu rentres quand ? Parce que comme Stéphanie et moi on est un peu fâché, enfin, tu sais, je t'avais un peu raconté, et bien je suis passé au bureau, cette histoire de voiture rouge m'intriguée...

- Je rentre ce soir, j'étais juste là pour le week-end. Et donc tu as trouvé quelque chose ?

- Ben disons qu'à mon avis tu trouveras pas ton gus sur l'île de Ré, sauf s'il a décidé de prendre des vacances.

- Tu l'as retrouvé ?

- J'en suis pas encore sûr, mais je me suis dit, un mec qui vient de commettre un meurtre, le premier truc qu'il va chercher, c'est un alibi. Un premier alibi ça peut être de se trouver très loin du lieu du crime, alors j'ai cherché les mecs flashés à grande vitesse mardi après-midi.

- Tu en as trouvés ?

- Oui mais aucun ne semblait correspondre. Il aurait très bien pu changer de voiture ou partir avec un complice, mais ça compliquait un peu trop. J'ai cherché à savoir les infractions des jours suivants, mais rien non plus.

Thomas se demande bien pourquoi Stéphane le dérange s'il n'a rien trouvé.

- C'était une mauvaise piste alors ? C'était juste des suppositions où tu as trouvé autre chose ?

- À vrai dire je t'appelais pour savoir quand est-ce que Seth était partie dans les Alpes.

- Euh, c'était la première semaine d'août, un jeudi soir, vers le cinq ou six, elle devait y rester deux semaines mais est rentrée plus tôt que prévu.

- Bingo ! J'ai un excès de vitesse d'une Ferrari 575M Maranello rouge le vendredi 8 août entre Lyon et Grenoble, et un autre de la même voiture dans la nuit du 18 au 19 août, entre Lyon et Paris ! Comme je n'avais rien trouvé l'après-midi du 19, j'ai élargi la recherche, et bien sûr la Maranello a attiré mon attention. J'ai fait alors l'historique et j'ai trouvé cet autre excès le 8. Je voulais savoir la date du départ de Seth pour les Alpes pour être sûr, il la suivait, c'est évident.

- Mais ? C'était quoi comme excès, on l'a arrêté ou pas ?

- C'était du quatre points, mais il s'est fait sauter les deux, apparemment le bougre a des relations.

- C'est qui alors ?

- On n'a pas grand chose sur lui, Mathieu Tournalet, vingt-huit ans, sans profession, apparemment héritier d'une conséquente fortune, orphelin de père et de mère depuis l'âge de cinq ans. Il habite dans une grande demeure vers Chartre. Aucun antécédent à part un autre excès de vitesse en 1995.

- Tu as demandé au RG ?

- Ben c'est dimanche, je me suis dit qu'on pourrait voir ça demain. Je comptais pas repasser au boulot ce soir.

- OK non c'est bon, on verra ça demain matin. Bravo en tout cas.

- Ben merci, mais bon, c'est notre boulot après tout.

- Oui mais quand même... Allez, à demain.

- À demain, bye.

Mathieu Tournalet... Thomas y comprenait de moins en moins. Il aurait suivi Seth depuis début août... Depuis bien plus longtemps peut-être même... Mais alors, que voulait cet homme ? Il voulait la voir ? Il voulait la tuer ? Il voulait lui parler ? Qu'avait-elle fait ? Qui était-elle bon sang ! Il eut peur soudain. Et lui, lui ? Risquait-il aussi de se faire tuer ? Mon Dieu qu'avait-il fait ? Si seulement il l'avait laissé ce jour de septembre 1999...

Il n'avait pas envie de rentrer sur Paris, il aurait aimé passer quelques jours ici. Il avait peur de rentrer chez lui... Peur ? Mais Diable ! Il était policier, et son Beretta était toujours à portée de main. Il ne savait pas trop de quoi il avait peur. Peut-être simplement que Seth ne revînt, simplement que son fantôme ne le hantât.

Il se leva et se reprit. Depuis quand croyait-il aux fantômes ! Son manque de sommeil le rendait fou ! Il marcha encore quelques instants sur la plage, puis retourna vers sa voiture. Il dut passer à l'hôtel car il n'avait pas décommandé sa chambre pour le soir, et son sac était encore là-bas. Par chance il n'eut pas à payer la nuit supplémentaire malgré l'heure avancée, mais principalement parce que le gérant savait qu'il était policier. Sur le chemin du départ, il laissa la photo de Seth dans deux boulangeries qu'il croisa, en expliquant de le rappeler pour toute personne se rappelant avoir vu Seth. Il retraversa le pont et reprit le chemin de la Capitale. Il se dit qu'à part avoir débourser plus de deux cent cinquante euros entre l'essence, les péages et l'hotel, il n'y avait pas gagné grand chose... Et il en oublia même pour quelques temps Carole, seule rencontre intéressante qu'il fit ces deux jours.

Il dut s'arrêter, après trois heures de conduite, s'endormant presque au volant, pour se reposer un peu sur une aire d'autoroute. Il dormit deux heures puis son mal le réveilla. Il était rongé. Il rentra chez lui vers les une heure du matin, et s'endormit trois heures plus tard devant une rediffusion à la télévision. Il dormit de 4 à 7 heures 30 et c'est sa mère qui le réveilla en frappant à la porte. Il subit ses repproches jusque sous sa douche chaude qu'il fit durer en espérant qu'elle se lassât de parler fort à la porte de la salle de bain. Mais elle ne se lassa pas alors il partit sans déjeuner.

Stéphane et Jean-Luc étaient déjà arrivés, ils se moquèrent de lui et de son escapade Réènne, puis lui donnèrent le peu de renseignements qu'ils avaient récolté sur ce Mathieu Tournalet. Sous la pression du procureur, leur chef avait écourté ses vacances d'une semaine, autant dire que sa femme en fut très énervée, et lui par vases communicants. Il eut tout de même du mal à passer sa colère devant le travail de Stéphane et l'évidence quasi inébranlable de la culpabilité de ce Mathieu Tournalet. Quoi qu'il en soit le matin mème les trois compères se dirigèrent vers la superbe demeure du Mathieu en question, sans même avoir pris de croissants, mais deux cafés tout de même en moyenne, le lundi matin étant toujours une période délicate.

Ils se perdirent passablement trois fois avant de trouver enfin, isolée de tout au milieu de la forêt, l'entrèe du magistral domaine entourant la résidence en question. Il n'y avait pas de sonnette, et, à leur grand étonnement, un majordome vint leur ouvrir l'imposante grille au bout de dix minutes. Sans doute devait-il y avoir des caméras ou un système apparenté. Ils furent d'autant plus étonnés de s'apercevoir que le majordome les laissa entrer sans même leur demander la raison de leur venu, et que celui-ci était venu en voiture pour leur ouvrir. Ils suivèrent la classieuse Jaguar XJ6 de 1970 sur les un kilomètre trois cent d'allée avant de se garer devant l'immense maison qui tenait plus du chateau. Ils sortirent de la voiture et le marjordome s'excusa de ne pas avoir été assez pompt pour leur ouvrir les portières. Ils furent gênés et ne surent quoi répondre. Stéphane les présenta finalement et transmit au majordome leur ordre de mission. Ce dernier indiqua que Monsieur n'était pas présent mais devait revenir avant midi. Il était presque 11 heures, ils avaient beaucoup tourné avant de trouvé l'adresse, ils décidèrent d'attendre. Le majordome les installa dans une grande pièce, ils prirent chacun un fauteuil et se demandèrent si le majordome faisait le voyage vers la porte chaque fois qu'un curieux se garait devant la grille.

Le Monsieur en question n'arriva que vers 12 heures 45. Il avait vingt-huit ans mais faisait plus jeune que son âge par son physique, et plus vieux par ses manières, mais aucun des trois policiers n'avaient vraiment idées des manières du monde dans lequel vivait Mathieu Tournalet. Le majordome lui retira sa veste et prit sa casquette.

- Bonjour, désolé de vous avoir laisser patienter, mais j'avoue que sans mention préalable de votre passage, je n'ai pu que difficilement vous accueillir dignement.

Les trois policiers se levèrent pour une poignée de main, qu'il avait ferme et vigoureuse, avec Mathieu Tournalet. Il les invita ensuite à le suivre dans une pièce plus petite, sans doute son bureau. Il referma les portes derrière lui et, une fois ceux-ci assi sur trois confortables fauteuils, il s'installa lui-même derrière le grand bureau en bois précieux avant de demander :

- Alors, que me vaut l'honneur de la visite de trois policiers ? Voilà bien longtemps pourtant que je n'ai la joie d'en croiser quelques uns que lors du Noël annuel des orphelins de policiers de Chartre, que je parraine.

Jean-Luc détesta cet homme car pour lui le simple fait qu'il soit riche le rendait coupable, Stéphane car il le trouva prétentieux à se croire au-dessus des lois et des hommes, et Thomas par le simple fait qu'il existât. Stéphane posa la première question :

- Nous aimerions savoir votre emploi du temps du mois d'août.

Mathieu Tournalet s'exclama :

- Rien que cela ! J'ai un emploi du temps assez chargé d'une manière générale, ne pourriez-vous pas être plus précis ?

- Où étiez-vous entre le 8 août et le 19 août ?

Mathieu Tournalet regarda Stéphane un instant, sans rien dire, signifiant qu'il avait compris que Stéphane connassait la réponse, ou le penser en tout cas. Il répondit enfin :

- J'avais pris quelques jours de vacances, mais pourquoi donc ? Je ne sais toujours pas la raison de votre venu.

Stéphane ignora sa dernière remarque :

- À quel endroit ?

- En règle générale je préfère garder confidentiel mais lieu de séjour.

- Connaissez-vous cette personne ?

Jean-Luc se leva et déposa une photo de Seth sur le bureau. Mathieu Tournalet la regarda longuement.

- Non, pas du tout, pas que je me souvienne en tous les cas.

Dit-il en repoussant la photo vers les trois policiers, en relevant les sourcils pour paraître désolé de ne pouvoir leur venir en aide. Les trois hommes ne réagirent pas, Mathieu Tournalet poursuivit :

- Qui est cette jeune fille, elle a disparu ?

Stéphane lui précisa :

- Elle a été assassinée, et vous êtes le suspect numéro un.

Mathieu Tournalet se recula dans son fauteuil et prit un air étonné, il bafouilla.

- Suspect numéro un ? Mais ? Mais je ne l'ai jamais vu ? Mais ? Qu'est-ce qui vous fait penser que ? Comment pouvez-vous croire que je suis... Enfin...?

Stéphane lui répondit calmement :

- Qu'avez-vous fait la journée du mardi 19 août ?

Mathieu Tournalet réfléchit un instant, puis déclara d'une voix monotone :

- J'avoue que je n'ai pas mon emploi du temps en tête, c'est la journée où je suis revenu de vacances. J'ai roulé toute la nuit, j'ai donc dormi une partie de la matinée. J'ai déjeuner avec des amis, avec qui j'ai passé l'arpès-midi.

- Où ça ?

Mathieu Tournalet laissa tourner son siège et se leva, il s'avança vers la fenêtre. Stéphane se dit qu'il prenait le temps d'inventer son alibi, Thomas se demandait si cet homme avait couché avec Seth, Jean-Luc avait envie de se lever et de le frapper pour le faire répondre plus vite. Mathieu Tournalet poursuivit :

- Et bien si ma mémoire est bonne nous avons déjeuné dans un restaurant à Chartres, et ensuite nous avons passé l'arpès-midi dans leur propriété dans les environs de Nogent-le-Retrou.

Voilà sans doute l'adresse de son restaurant favori, se dit Stéphane, dont le gérant témoignera de l'avoir vu, facture à l'appui, ainsi que celle de ces plus fidèles amis, qui assureront sur leur vie d'avoir passé cette après-midi avec lui... Stéphane en fut découragé un instant, il se demande s'il valait vraiment la peine de s'attaquer à cet homme. Jean-Luc prit la relève :

- Il vous faudrait être un peu plus coopératif.

Mathieu Tournalet se retourna vers le jeune policier, le plus jeune des trois, et le défia :

- Plus coopératif ? Je vous signale qu'en bonne et dûe forme j'aurai pu simplement vous renvoyer devant mes avocats. Mais j'ai fait l'effort de vous recevoir et de répondre à vos questions. Je ne vais tout de même pas m'avouer coupable pour un meurtre que je n'ai pas commis.

Il revint vers le bureau et commença à le contourner :

- Messieurs, je fus ravi de vous accueillir, malheureusement d'autres obligations m'obligent à vous raccompagner. Je me tiens à votre disposition, en tout état de cause mes avocats suivront cette affaire.

Il se dirigea vers la porte et l'ouvrit, puis attendit que les trois policiers quittent la salle. Il leur serra la main, toujours de façon aussi énergétique, puis hela le majordome pour qu'ils les raccompagnât. Ils suivèrent de nouveau la Jaguar jusqu'aux grilles, puis prirent la route du retour. Thomas conduisait, Jean-Luc se retourna une dernière fois pour voir le majordome refermer les lourdes portes, puis il s'écria :

- Il est coupable, c'est clair comme de l'eau de roche !

Stéphane acquiesça :

- En tous les cas il a l'air dans le coup, vu comme il évitait les questions et le temps qu'il a mis pour trouver son excuse pour la journée du 19.

Thomas ne dit rien, Jean-Luc poursuivit :

- Il est malin, j'avais envie de lui filer des baffes à des moments pour le faire parler.

- Il est sans doute malin et il doit avoir pas mal de relation, je mettrai ma main à couper que ce restaurant de Chartres comme ses amis je sais plus où seraient prêts à dire n'importe quoi pour lui.

Thomas rajouta :

- Il a l'air d'avoir les moyens...

Jean-Luc en était malade :

- Tu parles, un peu ! Vous avez vu la barraque ! Et la Ferrari ! En plus je suis sûr qu'il en a plus d'une ! Salaud.

Stéphane le calma :

- On a le droit d'être riche dans ce pays.

- Ouais mais comme ça là, en se moquant de nous, en se croyant au-dessus des lois...

Stéphane continua :

- On n'a pas besoin d'être riche pour se croire au-dessus des lois... Mais quoi qu'il en soit, qu'il est menti ou pas, on saura en quelques jours s'il est coupable ou pas...

Jean-Luc parut interloqué, Thomas se demandait toujours s'il avait bien pu coucher avec Seth, il se demandait si elle était venu le voir dans cette demeure, certains jours où il la croyait tranquillement chez lui, ou en train de visiter je ne sais quel musée. Jean-Luc, assis à la place du passager, se retourna vers Stéphane :

- Qu'est-ce que tu veux dire, tu penses qu'il va avouer ?

- Non, mais avec ça on devrait pouvoir trouver la preuve qu'il est bien l'assassin.

Stéphane sortit de sous sa veste une écharppe. Jean-Luc écarquilla les yeux :

- Tu lui a schouré ! La vâche, c'est vrai qu'on a ses cheveux, j'y ai même pas pensé à lui taper sa casquette ! Bien joué !

- C'est pas sûr qu'on ait ses cheveux, mais j'espère que c'est ce que ceux qui traîne sur cette écharpe permettront de prouver, en ayant la chance quelle lui appartient bien et qu'il en reste quelques uns dessus.

Thomas regarda dans le rétroviseur avant de commenter :

- C'est pas très très légal tout ça, il peut casser le procès s'il prouve qu'on lui a piquer.

Jean-Luc ne fut pas d'accord :

- Si c'est vraiment les même cheveux, il est foutu, comment veux-tu qu'il s'en sorte ?

Thomas ne répondit pas. Il n'arrivait pas à s'enlever de l'esprit l'idée que cet homme jeune, beau et riche avait séduit Seth, et qu'elle n'avait pu que céder. Peut-être qu'elle voulait le quitter pour lui, même ? Oui, sans doute, c'était trop évident, elle voulait le quitter pour lui... Il en était malade. Il avait envie de s'arrêter pour aller pleurer dans les bois qu'ils traversaient encore.

Le reste de la journée ne fut guère productif, Thomas chercha en vain des informations sur ce Mathieu Tournalet, Jean-Luc alla travailler sur une autre affaire, et Stéphane trouva une excuse pour se rentre au laboratoire d'analyse et pouvoir demander discrètement l'analyse des cheveux trouver sur l'écharpe.

Il pleuvait quand Thomas rentra, plus tôt que d'habitude, ce lundi premier septembre. Il était épuisé, toujours, croulant de fatigue mais pourtant persuadé qu'il n'allait encore dormir que quelques courtes heures... Il regrettait de ne pas avoir demander à ce Mathieu Tournalet s'il avait couché avec Seth. Il aurait certainement répondu que non, mais, peut-être ses yeux auraient laissaient transparaître la vérité, ne serait-ce que pour lui lancer en plein figure un "Oui, j'ai baisé ta gonzesse, et plus d'une fois !"...

Il s'empêcha de boire, il voulait se calmer, faire le vide, oublier Seth comme cet homme, oublier tout, enfin pouvoir espérer repartir sur des bases saines... Mais il y beau passer plus de deux heures à faire de la musculation, c'était toujours et toujours la même image qui revenait, celle de Seth et cet homme, enlancés en encore et encore... Si seulement il savait, au moin, il pourrait avoir les idées claire, mais il ne savait pas, il ne pouvait qu'imaginer, supposer, inventer... Il brancha sa console de jeu et joua successivement à un jeu de combat, une simulation de conduite puis un autre jeu de combat, mais deux heures plus tard, à 23 heures 30, il en revint encore et toujours au même point...

Il s'allongea alors devant la télé, et somnola enfin vers les une heure du matin. Il dormit jusqu'à 5 heures, puis sa brûlure le réveilla... Elle était toujours bien là, comme une empreinte du passé... Il avait l'impression qu'elle grossisait, qu'elle pénétrait en lui, qu'elle le rongeait... Il réussit à dormir de nouveau entre six heures et sept heures trente, quand le réveil qui s'était mis en route depuis une demi-heure le réveilla enfin...

Mardi deux septembre, il arriva vers 8 heures trente à son travail, il était le premier dans son bureau. Il alla se chercher un café malgré les deux qu'il avait pris comme petit-déjeuner, et dû le terminer dans le bureau de son chez quand celui-ci l'aperçu. Mathieu Tournalet avait fait vite, le procureur avait déjà donné un coup de fil aux aurores, sous la pression des avocats, pour prévenir qu'il fallat agir avec le plus grand tact, et que toute suspicion injustifiée se terminerait de manière peu enviable pour à la fois le procureur et le commissaire.

Thomas accueilli avec la plus grande indifférence les remarques de son chef et retourna dans son bureau. Stéphane était arrivé entre temps et le salua. Thomas lui fit part des commentaires du commissaire et alla avec Stéphane chercher un nouveau café. Ils n'avancèrent pas beaucoup de la matinée, leur seule piste était l'espoir que les analyses révèlent bien une concordances entre les cheveux trouvés chez Thomas et ceux présents sur l'écharpe. Jean-Luc et Stéphane mirent alors à profit la matinée pour travailler sur un autre affaire, pas forcément plus joyeuse mais moins complexe, une sombre histoire de règlement de compte entre deux voisins ennemis depuis toujours. Thomas lui éplucha les hotêls des environs de Gap pour savoir si un Mathieu Tournalet avait séjourné là-bas durant le mois d'août. Il ne trouva rien, pas plus qu'il ne trouva de résidence secondaire à son nom dans la région. Il en avait une toutefois sur la côte d'azur, ainsi qu'une vers Biaritz et une dernière en Bretagne.

Dans l'après-midi Stéphane reçu un coup de fil du laboratoire pour le prévenir que le test des cheveux prendrait encore quelques jours car les cheveux trouvé étaient assez anciens et leur racines séchées, ce qui rendait la validation de l'inclusion, la concordance entre l'ADN des cheveux de l'écharpe et de ceux trouvés chez Thomas, plus difficile.

Les trois jours nécessaires pour l'obtention du résultat passèrent aux yeux de Thomas a une vitesse d'escargot. Il n'attendait que ce moment et vécut la validation de l'emploi du temps de Mathieu Tournalet la journée du 19 août avec désintéressement, même s'il conduit pour aller à Chartres, et ensuite dans cette petite ville de Nogent-le-Retrou. Bien sûr, comme l'avait prédit Thomas, le responsable du restaurant tout comme ce Monsieur de Senonchard, dont la propriété était digne de celle de Mathieu Tournalet, certifièrent de sa présence à leurs côtés le mardi 19 août. Stéphane était décidé de les faire condamner pour faut témoignage, Thomas s'en moquait.

Vendredi 5 septembre Stéphane eut confirmation que les cheveux de l'écharpe avait bien le même ADN que ceux trouvés chez Thomas. Il en avisa tout de suite son chef, qui lui réprimanda pour la forme le vol de l'écharpe, et le félicita pour son travail. Stéphane n'était pas très ambitieux, mais il était efficace tout comme perspicace, et le chef l'aimait bien ; c'était un peu le fils qu'il n'avait jamais eu, il avait trois filles.

Thomas accueillit mal cette nouvelle, il accueillit mal car elle confirmait pour lui un lien entre Seth et Mathieu Tournalet, mais il accueillit mal surtout car il avait peur de la vérité. Mais tout alla très vite, et Thomas fut presque soulagé d'apprendre que le procureur avait demandé au commissaire de classer l'affaire sans suite. Stéphane en fut enragé, et tout l'étage l'entendit hurler dans le bureau du commissaire. Mais rien ni fit, Mathieu Tournalet avait des moyens et des relations qui dépassaient largement ce que pouvaient initiallement imaginer Thomas et Stéphane. Mathieu Tournalet pouvait faire plier les lois. Mathieu Tournalet ne craignait rien de personne, et il était protégé par de nombreux appuis parmi les puissants.

Le procureur céda, le commissaire céda, et finalement Thomas pensa y trouver son compte. Il se sentit libre, libre de pouvoir reprendre une vie normale, libre de pouvoir oublier cette enquête, libre de la charge qu'il s'était imposer en l'acceptant. Il passa le reste de la journée à ranger et classer les documents, presque guilleret de reléguer tout ça dans des dossiers qui ne seraient plus jamais ouverts. Ils ne virent plus Stéphane de la journée.

Quand il rentra chez lui, Thomas eut envie de sortir, il alla au cinéma, puis en boîte de nuit. Il ne rencontra pas vraiment quelqu'un, mais dansa dans une proximité évocatrice avec plusieurs filles échauffées. Il rentra seul mais cela lui convint. Il voulut prendre des vacances, il voulut rejoindre Carole, sur l'Île de Ré, il se rappella d'elle. Il prit un somnifère pour fêter cette journée, et s'endormit rapidement pour une longue nuit qui marquerait, il espérait, le début de sa nouvelle vie...

Le lendemain matin il dormit jusqu'à 11 heures trente. Il alla voir sa mère, il ne l'avait pas vraiment vue depuis plusieurs jours, et il accepta son invitation à déjeuner. L'après-midi il alla au centre commercial de Velizy, il fit de nombreuses courses, il n'en avait pas faites depuis plusieurs semaines. Il alla chez le coiffeur et il s'acheta un nouveau jeu pour sa console. Il resta presque quatre heures à tourner dans le magazin, se trouva aussi de nouvelles chaussures, ainsi que deux DVD. Il appela des amis à lui, avec qui il sortait de temps en temps, pour leur proposer d'aller en boîte de nuit le soir, ils acceptèrent. Il repassa chez lui, fit une partie de son nouveau jeu, s'habilla avec ses nouvelles chaussures et partit rejoindre ses amis pour diner sur Paris. Il allèrent ensuite dans deux boîtes de nuit, et il ne rentra chez lui que vers 13 heures, qu'après avoir dormi quelques heures chez ses amis, qui habitent Paris, pour laisser passer son alcoolémie. Il mangea et dormit encore trois heures jusqu'à 17 heures, puis finit la journée en jouant à son nouveau jeu. Il se commanda une pizza et termina la soirée en regardant les deux films du dimanche soir sur TF1.

Il mangea un paquet de cookies avant de se coucher, il savait que c'était mal, et qu'il avait déjà dû allé deux fois au dentiste l'année précédente, mais pour ce soir il s'en moquait. Il alla se coucher dans sa chambre, celle où était morte Seth, en se disant que cette histoire était terminée, que ces cauchemars étaient passés, et que désormais il ne les laisseraient plus revenir...

Il la vit entrée, doucement, dans la chambre, dans le noir. Ses yeux brillèrent un instant. Elle était là, debout, le visage livides, sa blessure au cou comme une marque du démon. Il était paralysé par la peur, il se recula dans son lit, en sortit, elle s'avança vers lui. Il voulut saisir son arme, mais elle lui barra le passage. Quand il fut bloqué dans le coin de la pièce, elle lui saisit le bras, il sentit sa peau glaciale. Il voulut la frapper pour s'enfuir mais elle plaça sa main sur son flanc et il sentit une brûlure terrible, il cria mais la douleur ne s'arrêta pas, il cria encore mais il sentait son corps se consumait, brûler sous sa main.

Rêves

Il cria encore et se fut son propre cri qui le réveilla. Il était en sueur, il haletait, il se plia sous la douleur de sa brûlure, alluma la lumière avec difficulté et resta de longue minutes à s'assurer que c'était bien un cauchemar... Il tremblait de peur. Il sortit de son lit et alla chercher son pistolet. Il alluma toutes les pièces et vérouilla sa porte d'entrée. Quand il parvint enfin à se persuader que ce n'était qu'un rêve, il regarda l'heure, 3 heures 20 du matin, puis s'assit dans le canapé. Rien n'était passé, rien du tout, il l'avait cru, mais tout était encore là. Elle ne le quitterait pas, jamais... Mon Dieu dès qu'il fermait les yeux il revoyait son visage si blanc... Il pleura. Il resta là, plus d'une heure, puis finalement s'allongea, mais il garda les yeux ouvert, espérant simplement que le jour ne tarderait pas...

Il somnola de 5 heures à 7 heures, puis se leva, prit une longue douche chaude, et partit sans même prendre de café, en se disant que c'était peut-être aussi la cause de ses insomnies, et qu'il devrait arrêter d'en boire. Son chef lui apprit que Stéphane lui avait apporté le vendredi soir sa démission, mais que finalement il lui avait conseillé de prendre deux semaines de vacances pour réfléchir un peu. Jean-Luc pesta toute la journée contre ce Mathieu Tournalet et le manque de cran du chef et du procureur. Il tenta, en vain, de convaincre Thomas d'aller avec lui rendre visite au bougre pour lui faire comprendre qu'il n'était pas au-dessus des lois. Thomas garda un air désolé exprimant que cela ne rendrait les choses qu'encore plus compliqué, que bafouer la loi ne serait que rentrer dans son jeu, et qu'il leur fallait rester intègres et ne pas se rabaisser à son niveau. Il s'étonna lui-même par cette réflexion.

Le reste de sa journée fut tranquille, mais il n'en demandait pas plus car son manque de sommeil lui donnait une forte migraine. Il appréhenda le retour chez lui. Il dîna avec sa mère, puis il rentra chez lui. Cette nuit-là il rêva que Mathieu Tournalet lui tranchait la gorge. La nuit suivante il rêva que sa brûlure se transformait en gangraine et le ronger de l'intérieur, et la nuit suivante il ne se souvint pas de ses rêves car il prit un somnifère. Il avait reprit la routine à son travail, et n'avait pas de nouvelles de Stéphane depuis le vendredi précédent. Il lui laissa un message sur son portable jeudi dans la journée. Il avait peur que Stéphane ne cherchât tout de même à poursuivre l'enquête.

Il passa la soirée du jeudi en compagnie d'Emmanuelle. Elle avait trouvé un nouveau copain, mais il l'ennuyait déjà. Elle se demandait si elle ne devenait pas un peu trop exigente, à moins finalement qu'elle ne préfèrât rester seule. Depuis quelques temps, Thomas n'avait plus vraiment de désir sexuel, sa fatigue annihilait tout. Il perdait appétit, sommeil... Il avait maigri de quatre kilos depuis la mort de Seth. Il avait encore un peu de marge avec ses un mètre quatre-vingt deux pour soixante-dix-neuf kilos.

Jeudi 11 septembre 2003, les soirées se faisaient déjà plus fraîches, et les jours plus courts. Dans quelques jours se serait l'automne... Dans quelques jours se serait l'anniversaire de sa rencontre avec Seth, lundi 20 septembre 1999. Il ne rentra somme toute pas très tard, et se coucha dans la chambre d'ami, la lumière allumée, un peu après minuit trente. Il pensa. Il pensa que Stéphane ne l'avait pas rappelé, il s'en inquiéta. Il pensa à toute ses anciennes copines. Il chercha laquelle pourrait bien vouloir encore de lui. Sur les huit il n'en trouva aucune, Emmanuelle était la seule avec laquelle il était encore proche. Il regretta de ne pas avoir fait plus d'effort, de ne pas avoir pris la peine de les appeler, de savoir ce qu'elles devenaient. Il se sentit seul, dans ce grand lit dans lequel il avait pourtant fait l'amour avec presque chacune d'elle, sauf Virginie et Hélène, car il habitait encore chez ses parents, et sauf Seth, car il avait déjà alors changé pour son nouveau lit et relégué celui-ci dans la chambre d'ami. Quoi qu'il avait bien dû la surprendre une fois ou deux en train de faire la sieste dans cette chambre. Lui n'aimait pas trop cette chambre car elle était vraiment trop petite, Seth, elle, aimait bien cette chambre car l'après-midi le Soleil donnait dedans. Seth adorait le Soleil, au moindre rayon elle sortait. C'était presque sa seule source d'énergie. Il aurait lui aussi donné beaucoup pour pouvoir en ce moment se trouver dans une chaise longue sous un écrasant Soleil. Il avait l'impression que sa brûlure le travaillait moins quand il était sous le Soleil... Cette pensée le réconforta, il rêva à moitié être effectivement sur une chaise longue, puis s'endormit...

Il n'eut droit qu'à vingt-cinq minutes de sommeil, ensuite son téléphone mobile sonna. Qui pouvait bien l'appeler à cette heure-ci ? 1 heure 25 du matin ! Il se dit que ce devait être Stéphane, et tenta de récupérer son téléphone dans la poche de son jean sans quitter le lit, mais il manqua de tomber et finalement dû se dépécher et se lever complètement.

- Oui ?

- Bonsoir, je suis vraiment désolé d'appeler si tard, mais je n'ai pas pu m'en empécher.

Il ne reconnaissait pas la voix. Une voix féminine, elle lui disait bien quelque chose, mais il ne croyait pas l'avoir déjà entendu au téléphone...

- Ce n'est pas grave, je venais juste de me coucher.

Il tenta de faire en sorte de ne pas avoir la voix trop cassée.

- Tu dor... Vous dormiez, je suis vraiment désolé !

Il ne voyait toujours pas qui c'était. Ce n'était pas Emmanuelle, la seule personne qui pouvait l'appeler aussi tard qui lui vint à l'esprit, qui d'autre ?

- Pas grave...

Ne sachant pas qui c'était il ne sut pas vraiment quoi dire.

- Je vous appelle à propos des photos que vous aviez laissé à la boulangerie.

Les photos ? Carole !

- Ah ? Vous les aviez vu ? Oui en partant j'en avais laissé dans deux boulangeries.

- Oui, enfin je n'en ai vu que dans l'une d'entre elle, j'avoue que je ne me suis pas posé la question de savoir si vous en aviez mis ailleurs ou pas.

- Juste deux boulangeries, je n'ai pas eu le temps d'en donner plus.

- Oui, enfin bref, peu importe. Toujours est-il que depuis que vous l'aviez mise, je demandai régulièrement à la boulangère si quelqu'un l'avait abordé à propos de cette photo, et ce matin, enfin, hier matin, elle m'a dit qu'un vieux monsieur semblait sous-entendre qu'il avait déjà vu.

- Vraiment ?

Thomas qui ne pensait à ce moment-là qu'à comment pouvait bien être vêtue Carole à une heure pareille, se reconcentra sur la discussion.

- Oui, mais il si vous aviez laissé votre numéro, il n'a pas dû vous appeler pour autant.

- En effet, je n'ai eu aucun coup de fil.

- Oui et pour cause, il avait peur que vous ne lui vouliez du mal.

- Du mal ? Comment ça ?

- Et bien quand j'ai demandé à la boulangerie l'adresse du vieux monsieur, ils m'ont indiqué la vieille maison qu'il habitait. Ils semblait dire que c'était une personne très respecté dans le coin, qu'il avait fait beaucoup. Bref, je m'y suis rendue, trop curieuse d'en savoir plus. Le vieux monsieur m'a accueillie très gentiment. Je lui ai alors parlé de cette photo dans la boulangerie. Il m'a demandé si j'étais la personne qui recherché cette jeune-fille, je lui ai dit que non mais que je connaissais la personne en question.

- Et donc ?

- Oui, donc, au final j'ai discuté plus de deux heures avec lui, et de ce que j'en ai compris vers la fin du mois d'octobre de l'année dernière cette jeune fille, Seth, c'est bien son nom ? Son prénom ?

- Oui, oui c'est elle.

- C'est marrant comme prénom, vous savez que Seth était le Dieu égyptien de la vaillance, mais aussi celui représentant les forces du mal ? Dans la légende c'était le frère d'Osiris, qui était alors le roi d'Egypte. Seth le tua mais ce dernier ressucita et devint le Dieu des mort, celui qui sauve dans l'au-delà. Qu'elle étrange idée de nommer sa fille comme un Dieu du mal...

- Euh, oui, ah...

Thomas ne savait pas tout ça, mais à vrai dire il s'en moquait un peu.

- Oui oui je m'égare. Bref, fin octobre Seth est venue chez lui. Je n'ai pas très bien compris si elle le connaissait ou pas, mais il m'a semblait qu'il disait qu'il l'avait connue il y a très longtemps, mais... Je n'ai pas très bien compris des fois il parlait d'elle comme s'il l'avait connue, et des fois comme si c'était une nouvelle personne. Enfin, quoi qu'il en soit elle est venue simplement, demandant si elle pouvait rester quelques jours. Le vieux monsieur a accepté, et elle est resté d'après lui jusqu'au 5 novembre, ça correspond ?

- Oui, oui, c'est exact.

- À vrai dire il ne m'en a pas dit beaucoup plus, il parlait toujours avec des ellipses je n'ai peut-être pas tout compris. Toutefois il semblait dire qu'elle était là pour quelqu'un, quelqu'un qu'elle suivait, ou qu'elle voulait voir. Mais il ne voulait pas trop en parler à vrai dire. Il était un peu triste quand il parlait d'elle, il changeait tout le temps de conversation je n'ai pas trop voulu insister. Peut-être que si vous l'interrogiez vous saurez mieux que moi comment avoir plus d'information. Voilà, c'était simplement pour ça que je vous appelez.

- OK, c'est très gentil.

- Vous progressez sur l'enquête ?

Thomas ne sut trop s'il devait dire ce qu'il en était ou pas...

- Et bien, nous... Je...

- Parce que j'ai cherché un peu des informations sur internet, mais je n'ai absolument rien trouvé. Il y a deux semaines les journaux marquaient quelques mots régulièrement, mais depuis une semaine absolument plus rien, vous avez donné des consignes à la presse ?

- Euh, non... Non, non...

- Mais peut-être avez-vous résolu l'enquête et ai-je manqué l'information ? J'avoue que je suis souvent un peu isolée du monde quand je suis dans mes bouquins. Je n'achète pas le journal tous les jours et je n'ai pas de télévision, alors... Vous avez trouvé le coupable ?

Thomas était bien embêté, elle avait une si jolie voix, mais s'il lui disait que l'affaire avait été classée, il en aurait pour des heures au téléphone, il le sentait bien, et pour un fois qu'il sentait qu'il pourrait dormir un peu...

- Ah et bien non, l'affaire n'est pas encore résolue. Nous avons des pistes, mais je ne peux pas vraiment vous en dire plus pour l'instant...

- Je comprends. Bon il est tard je ne vais pas vous déranger plus longtemps. Mais est-ce que vous pensez que cette histoire avec le vieux monsieur peut avoir un rapport, vous pensez que quand Seth est venue sur l'Île de Ré elle a peut-être rencontré certaines personnes ? Vous allez venir l'interroger ?

- Et bien, euh, c'est possible, il faut dire que l'enquête progresse lentement, je ne pense pas que nous devons négliger une piste.

- Ah, et bien si jamais vous revenez sur l'Île, envoyez moi un mail, nous pourrons déjeuner ou diner ensemble un jour.

Thomas pesta car il dut sortir de son lit pour trouver de quoi noter. Mais après tout il se consola en se disant qu'il avait peut-être plu à Carole. Il nota le mail et se remit bien vite sous la couverture, même s'il ne faisait pas vraiment froid en-dehors. Il ne put pas beaucoup en rajouter plus, Carole s'excusa encore de l'avoir déranger et raccorcha. Il n'eut même pas le temps de lui demander comment elle allait et parler un peu d'autre chose maintenant qu'il était à peu près réveillé...

"C'est bête", se dit-il, puis il reposa son portable sur la table de nuit et s'enfouit sous les draps. Ah Carole ! Il l'avait presque oubliée. Il pourrait aller la voir le week-end prochain... Mais il devrait bien lui dire que l'enquêter est annulée. Et pour qui passera-t-il ? Abandonner la recherche sur l'assassinat de sa petite-amie ? Il ne serait pas forcer de lui dire toutefois. Il pourrait simplement interroger ce vieux... Thomas se demanda alors qui il pouvait être. Seth l'aurait connu ? Elle lui aurait dit qu'elle était allé sur l'Île de Ré pour quelqu'un ? Quelqu'un qu'elle suivait ? Mais qui pouvait-elle bien suivre ? Il était peu probable que ce fût ce Thomas Tournalet. Depuis quand le connaissait-elle celui-là, d'ailleurs. Depuis toujours ? Depuis qu'elle allait dans les Alpes ? Mais il n'était pas marié, pourquoi serait-elle restée avec lui tout ce temps si c'était son amant ? Il était riche et célibataire, ce n'était pas logique, elle ne devait le connaître que depuis peu, depuis juillet, début août peut-être. Pourtant elle avait changé depuis le début de l'année, et il était presque persuadé que c'était ce qu'elle avait vu ou fait à l'Île de Ré qui avait modifié son comportement. Aurait-elle pu le rencontrer là-bas et rester tous ces mois à le voir ? Elle aurait finalement décidé de le quitter qu'après que celui-ci eut réussi à la convaincre de quitter Thomas...

Il ne savait plus trop. Il ne savait plus trop s'il avait envie de savoir ou pas. Le classement de l'enquête lui avait laissé espérer qu'il pourrait oublier toute cette histoire, mais pourrait-il vraiment vivre sans savoir ? Peut-être attendre quelques mois, attendre que tout se tassât, et puis il verrait alors s'il en aurait encore la force. Il avait peur qu'elle ne lui manquât un peu en ce moment. Il soupira... Il se demanda si cette histoire finirait réellement un jour... Il s'imagina avec Carole, puis il s'endormit, sans éteindre la lumière...

Thomas est à l'Île de Ré, il est sur la plage. Il est assis. Carole est à-côté de lui. Elle lui parle. Elle lui parle du vieux monsieur, elle lui dit qu'il a vu Seth sur cette plage. Ils sont là pour l'attendre. Thomas lui dit qu'il se moque de Seth, il tente de lui dire qu'il la veut elle, mais il y a du vent, et il a du sable dans les yeux. Le sable le fait pleurer et cligner des yeux. Il n'arrive plus à voir ni à entendre Carole correctement. Elle continue pourtant à lui parler, mais il n'entends pas. Il essaie de s'enlever le sable des yeux mais il y voit de moins en moins. Carole lui repproche de ne pas l'écouter, elle lui repproche de ne penser qu'à Seth, alors qu'elle est là, elle. Elle se lève et s'éloigne. Il veut la suivre mais il s'aperçoit qu'il est nu. Il n'ose pas continuer. Il voit Thomas Tournalet rejoindre Carole et la prendre main par la main. Il voudrait aller récupérer Carole, mais il est nu et il a peur que Thomas Tournalet ne se moque de lui, alors il reste immobile, nu, sur la plage. Le vent s'est calmer, il voit bien désormais. Il n'a plus sa brûlure, c'est parce qu'il est encore dans le passé, oui, dans le passé, Seth n'est pas encore partie. Il a voulu trompé Seth avec Carole. Il se retourne, il voit Seth avancer vers lui. Elle lui demande qu'est qu'il fait là, elle lui demande pourquoi il est nu. Il ne sait pas quoi répondre, Seth lui demande alors s'il voulait la tromper avec Carole, il répond que non mais elle ne le croit pas. Elle lui demande pourquoi il veut la laisser, pourquoi est-ce qu'il veut la trahir. Non, non, il ne veut pas la trahir, il n'a jamais voulu la trahir. Elle pleure, elle s'avance vers lui, la main en avant. Non, non, il ne faut pas que cela se reproduise, il avait une chance de changer le passé, il ne peut pas échouer de nouveau, non Seth, non, repars, non, je ne veux pas te trahir, non, Seth, reste loin, ne t'approche pas, non, non...

Meurtre

Thomas se réveilla en hurlant quand il ressentit de nouveau la brûlure. Il fut content que la lumière fût allumer, pour ne pas voir le spectre de Seth. Il était couvert de sueur. Il réalisa que son mobile sonnait. Carole, encore ? Peut-être voulait-elle lui dire qu'elle avait envie de le voir ce week-end ?

- Allo.

- Bonjour, Thomas, c'est le commissaire Ober, désolé de vous réveiller, je sais qu'il n'est même pas 3 heures du matin, mais la police de Chartre vient de m'appeler, ils sont chez Thomas Tournalet, Stéphane l'a assassiné.

- Quoi !

- Oui, il s'est fait assomer par le majordome juste après avoir tiré une balle en plein coeur de Thomas Tournalet.

- Merde, putain... Mais on est sûr que c'est lui ? Est-ce qu'il n'était pas juste là par hasard ?

- Je n'ai pas les détails, mais je crois que le majordome a vu la scène, j'ai peur qu'il n'y ai pas de doute possible. C'est vraiment moche, c'était un bon policier... Je suis sur le point de partir, je pense que ce serait bien que vous veniez aussi.

- Oui, oui, je viens.

- OK, je ne sais pas vraiment où se trouve sa résidence, si vous pouviez passer par le SRPJ, on pourrait y aller ensemble.

- OK, pas de problème.

- Bien, faites vite, j'y serais dans quinze minutes. Il ne faut pas que le procureur arrive sur les lieux avant nous.

Le commissaire raccrocha.

Stéphane avait tué Thomas Tournalet... Il se leva en catastrophe, s'habilla, prit son Beretta et partit. Il plaça son gyrophare sur le toit et mis la sirène quand il grillait les feus rouges. Stéphane avait tué Thomas Tournalet, bordel, mais à quoi pensait-il ? Il roula vite, et ne s'arrêta qu'un instant devant le SRPJ de Versailles, le commissaire l'attendait dehors.

Ils parlèrent peu. Le commissaire n'avait jamais vraiment sympathiser avec Thomas. Par contre il aimait Stéphane, Thomas le savait. Thomas roulait vite mais il leur fallu tout de même près de cinquante minutes pour arriver à destination. Les grilles étaient ouvertes et des policiers gardaient l'entrée. Il laissèrent passer Thomas sans encombre, ils le connaissaient lui et le commissaire. Il y avait déjà cinq voitures de police et deux ambulances devant la résidence. Thomas se gara au plus vite et un policier vint leur faire un compte-rendu. Stéphane était menotté dans l'une des voitures. Le corps de Mathieu Tournalet avait déjà été transféré dans une ambulance. Mais il n'y avait aucune chance de le ranimer, la balle avait perforé le coeur.

Le commissaire somma Thomas d'aller voir Stéphane, lui se rendit dans la maison pour interroger le majordome. Thomas monta aux côtés de Stéphane à l'arrière de la voiture.

- Salut, Stéphane.

- Salut, Thomas.

Thomas ne sut quoi dire.

- C'est un coup monté, Thomas, je ne sais pas pourquoi il a fait ça, je ne sais pas s'il voulait mourir ou s'il était suffisament riche pour déguiser un faux cadavre ou faire un clone ou j'en sais rien, mais je ne l'ai pas tué.

- Mais alors ? Pourquoi t'accuse-t-il ?

- Il me fait porter le chapeau, il a réussi à me capturer et à me prendre mon arme, après ce fut un jeu d'enfant d'utiliser mon arme et de m'allonger endormi sur les lieux du crime, l'arme à la main. avec une belle bosse pour confirmer le témoignage du majordome.

- Mais Stéphane ! Comment ? Tu prétends qu'il s'est tué lui-même et qu'il t'a fait porter le chapeau ?

- Oui, je sais c'est dément, mais je n'ai pas tué ce type.

Thomas resta silencieux.

- Tu sais qu'elle est la dernière chose que m'a dit Mathieu Tournalet ?

- Non.

- Qu'elle était déjà morte quand il est passé.

- Déjà morte ?

- Oui déjà morte. Je ne sais pas si j'ai raison ou pas de le croire, mais je pense qu'il était sincère. C'était ce matin, enfin hier matin, un peu après qu'il m'ait attrapé...

- Tu le suivais ?

- Oui. À vrai dire quand le commissaire m'a donné deux semaines de vacances forcées, j'étais tellement énervé que peut-être alors si j'avais Thomas Tournalet en face de moi je l'aurais tué. Pour prendre un peu de recul je suis parti trois jours dans la maison de repos de mes parents, dans le Cantal. J'ai passé trois jours à tourner en rond. J'avais envie de tout plaquer, de démissionner et de partir je ne sais où, je ne voulais plus entendre parler ni de justice, ni de loi, ni d'égalité ou toutes ces choses que Thomas Tournalet avait bafoué simplement parce qu'il était puissant. Finalement je me suis dit que quitte à démissionner, autant le faire avec un bonne raison, et je me suis résolu à prouver que Mathieu Tournalet était le coupable, quitte à y perdre.

Stéphane fit une pose et se tourna vers Thomas :

- Tu vois, j'étais déjà un peu préparé à ça, même si je ne l'imaginais pas vraiment sous cette forme. Bref, je suis rentré le mardi matin bien décidé de faire la lumière sur cette histoire. Je suis resté tout le mardi à attendre, planqué dans le bois en face de l'entrée. J'avais pris de quoi bouffer pour deux jours. Le soir la Ferrari est sortie, je me suis magné de courir vers ma voiture pour la suivre. Je suis resté assez discret, une Ferrari rouge c'est pas la mer à boire à suivre. J'ai eu un peu plus de mal dans Paris, où il se rendait. Je l'ai perdu une fois mais j'ai eu la chance de le retrouver. Il était 18 heures passées, et ça bloquait pas mal. Finalement je me suis garé pour le suivre au pas de course, cela n'a pas été facile mais j'ai eu de la chance qu'il n'aille pas très loin. Je me suis garé dans le septième et il se rendait jusque dans le cinquième. Il a rejoints un homme au [[113 rue Mouffetard]], en face de l'entrée d'une petite maison de ville. À vrai dire il m'a semblait que l'homme était un serrurier, car ils sont restés tout deux un moment devant la porte, et l'homme avait tout une caisse à outil et s'afférait sur la serrure. Il a finalement réussit à ouvrir la porte, et Thomas Tournalet lui a donner un billet, ce devait être une grosse coupure, l'homme est parti sans faire d'histoire et Thomas Tournalet est entrée dans la maisonnette. Il y est resté longtemps, des heures.

Stéphane se reprit un instant puis poursuivit :

- Vers 23 heures un nouvel homme est arrivé et est entré dans la maisonnette, cinq minutes plus tard il fichait Mathieu Tournalet à la porte. J'ai pu entendre qu'il le menaçait, il lui a dit que s'il le revoyait, il le tuerait. J'ai hésité entre attendre que l'homme reparte pour jeter un oeil dans cette maison, la serrure était cassée j'aurais pu en profiter, mais j'ai préféré suivre Thomas Tournalet, remettant à plus tard l'inspection de la maison.

Stéphane fit un pause pour avaler sa salive avant de continuer :

- Tu devrais y aller jeter un oeil, c'est au [[113, rue Mouffetard, dans le cinquième]], à mon avis tu trouverais des choses.

Thomas acquiesça de la tête, Stéphane baissa ses yeux sur ses menottes et reprit son histoire :

- J'aurais mieux fait d'y aller à ce moment là. Car de toutes façons Thomas Tournalet avait sa voiture à proximité, la mienne était dans le septième. Bref je l'ai perdu, et je suis repartit direct en direction de Chartres, en espérant que ce soit aussi sa destination. Bref, il a dû me repérer à un moment où à un autre, parce que peu après que je sois arrivé et que je me sois de nouveau posté dans le bois en face de chez lui, son majordome est venu directement me chercher.

- Il y avait peut-être des caméras.

- Oui c'est possible, même si je n'en ai vu aucune. Le majordome m'a proposé de rentrer dans la résidence plutôt que de rester seul allongé dehors. J'étais repéré, je ne savais pas vraiment que faire. Je l'ai suivi, je n'aurais pas dû. Ils n'ont pas eu beaucoup de mal à m'endormir, j'ai bu leur thé sans me méfier, c'était mercredi matin très tôt vers une heure du matin, juste après que Thomas Tournalet m'ait dit qu'il n'avait pas tué Seth. Je me suis réveillé les menottes aux poignets et avec une grosse bosse il y a environ trois heures...

Stéphane s'interrompit un instant, puis se tourna vec Thomas :

- Voilà. C'est pas très glorieux mais c'est ce qu'il s'est passé... Tu me crois ?

Thomas qui regardait dehors ne se retourna pas vers Stéphane :

- Oui, je te crois.

Comment pouvait-il faire autrement ?

- Merci.

Stéphane se tut un instant, puis il dit d'une voix hésitante :

- La seule personne qui peut témoigner, désormais, c'est le majordome... Je ne te demande rien, je me suis mis dans la merde tout seul. Je savais que ça pouvait mal finir. Je ne pensais pas tomber aussi bas, mais bon, je n'ai rien fait de mal, et je ne regrette pas, quand on deale avec des salauds il faut s'attendre au pire. Si jamais tu vas à cette maison, dis-moi ce que tu y trouves, la clé du mystère est peut-être là-bas... Désolé de te laisser seul, Thomas...

Thomas eut envie de pleurer. Il ne put pas rester beaucoup plus longtemps dans la voiture.

- C'est pas de ta faute, Stéphane, c'est la mienne, tout est de ma faute...

Il sortit sans attendre de réponse, le commissaire vint vers lui.

- Comment va-t-il ?

- Ça va.

Des policiers s'approchèrent du commissaire, et lui demandèrent s'ils pouvaient partir. Il leur donna l'autorisation, et quelques minutes plus tard la voiture avec Stéphane à l'arrière s'éloignait sur l'allée.

Le commissaire se retourna vers Thomas, la dernière chose qu'il lui dit fut :

- Vous savez, Thomas, je me dis que si c'était vous qui aviez fait cela, nous aurions pu peut-être réouvrir cette affaire, et vous vous en seriez tiré avec un crime passionnel. L'opinion aurait été de votre côté contre ce salaud... Vous en auriez eu peut-être pour cinq ans, trois ans au mieux.... Stéphane en aura pour quinze au minimum...

Thomas ne dit rien. Le commissaire lui dit qu'il pouvait partir, qu'il rentrerait avec le procureur. Il lui dit que de toute façon il donnerait l'affaire à quelqu'un d'autre, quelqu'un qui connaissait moins Stéphane. Il lui dit aussi qu'il pouvait prendre quelques jours, s'il le désirait. Thomas accepta et partit, sans même regarder une dernière fois la maison où il était persuadé que Seth s'était donné mainte fois à Mathieu Tournalet...

Maintenant Mathieu Tournalet était mort. Il était vengé.

Il rentra en roulant doucement, il n'avait pas envie d'aller plus en avant, il n'avait pas envie d'aider Stéphane, pourtant il sentait qu'il le devait. Il n'avait pas envie d'aller voir cette maison, il avait peur d'y retrouver trop de choses. Trop de peine, il avait peur d'y retrouver Seth, encore et encore, comme un fantôme qui le poursuivrait pour toujours.

Mais si Stéphane était vraiment innocent, comment expliquer la mort de Mathieu Tournalet ? C'était incompréhensible. Stéphane devait mentir, il devait tenter de s'en sortir, comment pourrait-il en être autrement ? Un homme ne se suicidait pas pour faire accuser un autre, c'était illogique. Mathieu Tournalet n'avait rien à craindre de Stéphane, l'affaire était classée. Il n'avait qu'à prévenir la police pour harcellement et il aurait été débarassé de Stéphane. Stéphane devait avoir tué Mathieu Tournalet. Mais pourquoi Stéphane lui aurait-il menti ? Ils étaient proches, il pouvait lui faire confiance, il aurait compris... Thomas ne comprenait pas. Y aurait-il d'autres personnes impliquées ? Mathieu Tournalet était-il menacé ? Stéphane avait dit qu'il avait été menacé quand il s'était fait expulsé de la maison, mais ça ne pouvait pas être ça.

Le majordome ? Peut-être lui, c'était peut-être lui qui avait tué Mathieu Tournalet pour une raison quelconque et avait fait porter le chapeau à Stéphane. Peut-être que Mathieu Tournalet n'avait pas d'héritier et qu'il avait promis au majordome une partie de sa fortune ? Le majordome impatient aurait alors profiter de la situation ? C'est bien lui qui était allé cherché Stéphane dans le bois, après tout. Mais ce n'était pas crédible, le majordome avait au bas mot deux fois l'âge de Mathieu Tournalet, cette histoire de testament ne tenait pas. Peut-être avait-il simplement de la rancoeur, comme on pouvait en avoir après des années et des années à supporter les même repproches, les mêmes défauts de son maître.

Thomas ne se satisfit pas complètement de cette hypothèse, il avait du mal à considérer Stéphane complètement innocent. Pourtant il n'était pas du genre de Jean-Luc. Thomas n'aurait eu aucun problème à le croire si cela n'avait pas été Stéphane mais Jean-Luc ce soir, mais il ne savait que penser concernant Stéphane. Il avait toujours été réglo, il n'avait jamais abusé de son pouvoir, jamais mis sa sirène pour aller plus vite quand il n'y avait pas de raison, jamais sorti son pistolet pour épater la galerie quand Thomas lui l'avait fait. Stéphane était un mec bien, trop bien, énervant parfois, d'être si fort. C'était peut-être rassurant qu'il put avoir cédé, qu'il put avoir failli, avoir été faible. Thomas se rendit compte qu'il avait de la rancoeur, de la jalousie, envers Stéphane, qu'il aurait voulu être aussi fort que lui.

Maintenant Stéphane allait passer quinze ans de sa vie pour avoir tué l'ancien amant de Seth. Pourrait-il vivre avec cette idée ? Quand il sortirait il ne serait plus rien, il aurait plus de quarante ans et perdu sa vie. Pouvait-il vraiment le laisser ainsi ? Thomas ne bifurqua pas vers Versailles et continua vers Paris. Sa vie à lui était déjà foutue, Seth l'avait consummé avec elle, il n'avait plus grand chose à perdre, il n'avait déjà plus rien... Peut-être pourrait-il aider Stéphane, et à défaut au moins comprendre...

Il mit du temps à retrouver cette rue Mouffetard. Il y était déjà venu mais cela faisait tellement longtemps. Il n'aimait pas trop flaner dans Paris. Il se gara à proximité, il prit avec lui une paire de gant et une lampe de poche. Il faisait assez frais ce matin du vendredi 12 septembre 2003. Il était presque 7 heures du matin et le quartier passant ne tarderait pas à s'animer, il devait faire vite s'il voulait pourvoir entrer dans cette maison sans se faire remarquer.

Si d'après Stéphane la serrure avait était ouverte mardi soir, elle était désormais flambant neuve, il aurait du mal à la forcer. Il pouvait toujours se servir de son arme, mais c'en serait fini de la discrétion. Il serait sans doute plus facile de passer par une fenêtre. Toutefois les deux fenêtres de la petite maison étaient cloisonnées et rien n'était moins sûr qu'une fois au niveau de celles-ci, au premier étages, il n'allait pas rester coincé. D'autant qu'il fallait y monter, au premier étage, et il avait beau être policier il n'avait pas vraiment de notion d'escalade comme on pourrait se l'imaginer à voir tous les films de superflics. Bref les fenêtres ne semblaient pas non plus la meilleure option, et il avait peur que la porte ne fût blindée, et ne rendît même l'usage de son arme inutile. Il se dit alors qu'il pourrait tenter de passer par le toit, en enlevant quelques tuiles, il pourrait peut-être pénêtrer à l'intérieur. Mais pour arriver sur le toit il lui faudrait un échelle ou passer par le deuxième étage de l'immeuble contiguë.

Thomas resta cinq minutes dubitatif, se demandant s'il ne ferait pas mieux de laisser tomber. Puis il repensa à Stéphane... Il pourrait peut-être attendre que quelqu'un vint et rentrer en douce derrière lui ? Appeler lui-aussi un serrurier ? Aucune de ses idées ne lui convint. Il s'énerva alors un peu, et puis se dit "Oh et puis merde", sortit son arme et tira deux coups dans la serrure qui vola. La porte ne s'ouvrit pas mais il put passer les mains pour actionner le mécanisme. Il fit du plus vite qu'il put, entra et referma la porte derrière lui, en espérant que personne ne l'eut vu.

L'intérieur sentait le renfermé et le vieux, mais il planait comme un parfum. Il crut reconnaître l'odeur de Seth. Il n'y avait pratiquement pas de lumière à l'intérieur et même après quelques secondes ses yeux ne lui révélèrent pas beaucoup plus de la pièce. Il alluma alors sa lampe de poche. La pièce était toute petite, peut-être dix mètres carrés. Il prit une chaise et la calla contre la porte, au cas où. Il fit rapidement le tour du niveau, une petite pièce avec une petite cuisine, et une salle de bain préhistorique qui n'avait pas du servir depuis des dizaines d'années. Il ne resta pas longtemps au rez-de-chaussée, ne regarda même pas le contenu de la commode et monta directement au premier étage par le petit escalier.

La salle ne devait pas faire plus de quinze mètres-carrés. Le petit escalier arrivé dans un coin, sur la gauche de Thomas il y avait un petit lit en face, puis une armoire, une commode sous la premiere fenêtre, une autre armoire, deux étagères basses entourées un petit bureau sous la seconde fenêtre sur le mur en face de lui. La petite maison faisait l'angle de la rue. Il y avait à peine plus de lumière qu'au rez-de-chaussée, traversant les rares fentes dans les volets rabattus. La même odeur de vieux, de poussière hantait les lieux, toujours mêlée à ce parfum ennivrant qui lui rappelait la peau de Seth. Il y avait quelques livres mais surtout du courrier, des lettres, des centaines, des milliers peut-être. Une partie était archivée dans les armoires, mais traînait au sol dans un bac des tas de lettres non ouvertes. Thomas s'approcha et s'aperçut que quelques unes du dessus avaient néanmoins été décachettées, peut-être par Thomas Tournalet lors de sa visite. Il en prit une au hasard, elle n'était pas écrite en Français, en arabe sans doute, elle venait d'Egypte.

Il fouilla quelques instant avant d'en trouver une écrite en Français. Elle datait de 1997, elle venait de Marseilles. C'était une lettre écrite par une femme. Elle annonçait la mort de son mari, mort à l'âge de quatre-vingt quatorze ans. Elle remerciait la personne à qui elle s'adressait pour toutes les années de bonheur qu'elle avait vécues, elle lui souhaitait sa gratitude et sa reconnaissance. La lettre était adressée à Seth, au 113 rue Mouffetard. Thomas chercha d'autres lettres, il en venait de part le monde, beaucoup étaient plus anciennes. Ce bac devait être tout le courrier non ouvert de Seth. Mais depuis quand n'était-elle pas venue ? Était-ce bien la même Seth ? Il se dit que c'était impossible quand il commença à trouver des lettres qui dataient des années soixantes-dix, puis soixantes, cinquantes... La plus vieille qu'il trouva avait un tampon du 12 mai 1933. Elle était adressée à Seth, elle venait des États-Unis. Thomas parlait moyennement anglais mais il ouvrit tout de même.

C'était une lettre d'amour, c'est ce qu'il en déduit tout du moins. 1933 ? Mais à qui s'adressait cette personne ? C'était sans doute une erreur. Mathieu Tournalet avait cru trouvé la trace de Seth, mais il s'était trompé, il était tombé sur la trace d'une autre Seth, une autre Seth peut-être morte depuis longtemps, désormais...

Il remit les lettres dans le bac et regarda dans l'une des armoires. Des lettres, toujours des lettres, archivées par pile. La plus ancienne qu'il trouva datait de 1756, mais ne fit pas l'effort de déchiffrer cette écriture et ce langage d'un autre temps. Il remit tout en place et se dit qu'il ferait mieux de partir au plus vite, car se serait bien dommage de se faire attrapé pour une erreur. Il descendit, resortit, bloqua plus ou moins la porte avec le reste de serrure et repartir d'un pas pressé.

Il arriva chez lui vers 9 heures passées après être resté coincé dans les bouchons du matin. Il appela son chef pour lui confimer qu'il prennait quelques jours, puis s'effondra sur le canapé.

Il dormit trois bonnes heures, trois bonnes heures de sommeil, voilà longtemps qu'il n'avait pas connu cela. Il se réveilla satisfait mais il pensa à Stéphane et il se sentit coupable. Mais que pouvait-il faire de plus ? Après tout il ne serait pas charger de l'enquête, pourquoi devrait-il s'en mêler, d'autant que ce serait sans doute mal interpréter s'il mettait son grain de sel. Il se dit qu'il ferait mieux d'oublier un peu tout ça, il pourrait peut-être aller passer un week-end en Normandie avec Emmanuelle. L'idée lui plut, et il s'apprêta a appeler Emmanuelle mais il se retint, il avait une meilleure idée : il pourrait aller passer un week-end à l'île de Ré avec Carole ! Il fut séduit et s'imagina déjà enlacé avec elle.

Il n'avait pas son numéro mais il disposait de son mail, il lui envoya donc sans tarder un petit message le prévenant de sa venue pour le week-end, en lui proposant de la rencontrer. Il en profita pour aller voir les dernières nouveautés sur les sites de matériels informatiques, et répondu rapidement à quelques uns des dizaines de mails qu'il avait reçu depuis sa dernière consultation. Il releva son courrier toutes les cinq minutes voire moins pour vérifier si Carole avait répondu. Après une heure il en eu marre et alla se faire réchauffer un plat surgelé. Il en profita pour s'ouvrir une bierre. Il était satisfait.

Après son plat de lasagne du pécheur qu'il completa avec une mini-quiche, puis une crème au chocolat et un tiramisu, il s'endormit pour une sieste de plus d'une heure devant le journal de 13 heures. Il manqua le bref passage ou l'assassinat de Mathieu Tournalet et l'incarcération de Stéphane étaient évoqués.

Quand il se réveilla il se dépêcha d'aller vérifier si Carole avec répondu. Il avait un message d'elle ! Il en frémit et il eu même un serrement au ventre, de peur qu'elle ne soit pas disponible pour le week-end. Mais si, elle lui proposait même de loger chez elle. Il lui répondit sur le champ sans même lire son message en entier. Il se dit après coup qu'il aurait pu l'appeler au téléphone. Il chercha son numéro sur les pages blanche, mais fut rapidement stopper quand il se rendit compte qu'il ne connaissait pas son nom. Il aurait voulu partir tout de suite, mais aurait alors été dans l'incapacité de recevoir la réponse de Carole. Il occupa donc sont temps avec le jeu qu'il avait acheté pour sa console le samedi précédent. Toutes les demi-heures il retournait vérifier s'il n'avait pas de réponse.

Elle n'arriva qu'à 17 heures, après trois heures de jeu, deux autres bierres et un coca, elle lui donnait son adresse et son numéro de téléphone, lui disant qu'elle serait chez elle à partir de 23 heures au plus tard et qu'il pourrait arriver à n'importe quel moment à partir de cette heure-là. Il lui avait fallu la fois précédente presque cinq heures pour y arriver, ce qui devait le faire partir à 18 heures. Mais il se dit qu'il y aurait sans doute plus de monde en ce vendredi soir, et puis il avait quand même bu trois bierres. Il s'avisa alors d'attendre 21 heures pour partir, et peut-être de rouler un peu plus vite que la dernière fois, pour y être en quatre heures. D'autant que Carole habitait un peu avant Ars-en-Ré, et qu'il lui faudrait bien vingt minutes voire une demi-heure du pont pour y arriver.

Il tenta de dormir encore un peu, mais sans succès, il était bien trop exiter à l'idée d'aller retrouver Carole. Il alla alors prendre une longue et chaude douche. Il se massa longuement sa brûlure. Ce n'était plus vraiment une brûlure désormais, plus une sorte de marque, de tatouage. Il aurait moins de mal à trouver une explication s'il le devait, comme il espérait un peu. Il l'a sentait pourtant, il pouvait presque en décrire les contours juste par la sensation de chaleur qu'elle lui procurait. Il la sentait en lui. Il se demandait il elle ne grossisait pas à l'intérieur. Il y avait comme une activité autour. La marque de la main était un peu moins visible, elle était devenue un peu plus grosse et les contours était moins régulier. Peut-être était-elle en train de disparaître...

Il se rasa, prépara son sac, il prit de quoi rester au moins la semaine. Il regarda un jeu stupide à la télévision, puis passa voir sa mère. Il lui expliqua qu'il partait pour quelque jours chez une amie à l'Île de Ré. Il ne put refuser de diner avec elle. Il éluda autant qu'il le put mais sa mère était d'une efficacité redoutable dans le questionnement. Il se dit pour la première fois qu'elle aurait peut-être était très compétente comme policier. Bref, il s'en dêmela comme il put et vers 20 heures 45, ne pouvant plus attendre, il partit.

Il y avait encore du monde sur les routes mais moins qu'il ne le crut. Les gens ne partaient peut-être pas trop en vacances aussi loin. Il lui fallut tout de même cinq heures pour arriver au pont de l'Île de Ré, parce qu'il du s'arrêter pour prendre un café et qu'il y avait un peu d'attente au péage. Il mis d'autre part plus de quarante minutes avant de trouver la maison de Carole. Elle louait un petit appartement au premier étage d'une grande maison. Il y sonna à 2 heures 5.

- Je suis désolé d'arriver si tard, je ne pensais pas mettre autant de temps.

- Oh, ce n'est pas grave, pour tout vous dir je commençais à peine à m'inquiéter. Je vous aurais appelé dans une dizaine de minutes si vous n'étiez pas arrivé.

- Oui il y a toujours un peu de traffic le soir, et j'ai préféré attendre un peu avant de partir.

- Vous avez bien fait, c'est stupide de perdre du temps dans les embouteillages.

Thomas fut étonné de la trouver habillée normalement.

- Je ne vous réveille pas ?

- Non pas du tout, je me couche rarement avant trois heures du matin, c'est un peu l'inconvénient de ne pas avoir d'horaire de travail fixe, on laisse un peu durer le soir. Mais je trouve que je n'écris vraiment bien qu'entre minuit et trois heures du matin, alors...

Il acquiesça, elle le fit entrer.

- Vous avez diner ?

- Oui, oui, j'ai mangé avant de partir, vous ne m'avez pas attendu j'espère ?

- Non pas du tout, j'avais un dîner hier soir, c'est juste que je vous aurez proposer quelque chose si vous n'aviez rien mangé. Mais peut-être prendrez-vous avec moi une infusion ?

- Je veux bien.

- Je vais vous montrez votre chambre, elle n'est pas très rangée, je m'en sers un peu de débarras, mais ça vaut largement le confort des hôtels du coin.

Elle le dirigea dans le petit couloir avec la chambre au fond. c'était un chambre pas plus grande que la chambre d'ami de Thomas à Paris. Elle le laissa s'installer et alla faire chauffer de l'eau pour l'infusion. Thomas l'espace d'un instant fut déçu de ne pas dormir avec elle, mais il se ravisa en se disant qu'elle ne pouvait pas raisonnablement lui proposer directement de dormir avec elle, même si elle le voulait. Il posa ses affaires sur le lit, enleva son pull et la rejoint dans la petite cuisine.

- Alors, vous êtes venus pour interroger le vieux monsieur ? Où en êtes-vous de l'enquête ?

Thomas se dit qu'il n'allait pas lui cacher plus longtemps la vérité.

- En fait l'enquête a été classée, je ne susi pas censé continuer à travailler dessus.

- Classée ? Mais vous avez trouvez le coupable ?

Thomas lui expliqua sommairement leur suspicions sur Mathieu Tournalet, puis les pressions pour classer l'enquête, l'énervement de Stéphane, et l'assassinat de Mathieu Tournalet. Il ne lui dit rien sur sa conversation avec Stéphane dans la voiture. Ils s'étaient installés au salon, chacun dans un fauteuil se faisant face, se réchauffant les mains avec la tasse d'infusion.

- Mon Dieu ! Mais oui un ami m'a parlé de ce policier qui avait perdu la tête, c'est donc votre ami ? Vous pensez qu'il l'a réellement tué ?

- Tout témoigne contre lui, mais pourtant j'ai du mal à croire qu'il ait pu faire ça.

- Parfois nous faisons des choses bien stupides sous l'emprise de la colère.

- Oui peut-être, mais, enfin, je ne sais pas. Je ne croyais pas Stéphane capable de ça, mais c'est difficile de croire qui aurait pu monter le coup, le majordome peut-être, c'est la seule personne qui a peut-être à y gagner.

- Peut-être que ce Mathieu Tournalet avait des ennemis. Quand ils ont vu que Stéphane lui tournait autour, ils en ont profité pour monter cette mise en scène. Vous m'aviez dit que Mathieu Tournalet n'avait pas d'enfant, n'était pas marier, il faudra peut-être s'intéresser à qui hérite de ses biens.

- Oui, vous avez raison, ce sera sans doute un indice.

Décidemment Thomas ne se trouvait pas très perspicace, il aurait pu penser à cela lui-même !

- Mais que comptez-vous faire alors ?

La seule chose qu'il voulait vraiment en venant ici c'était coucher avec elle, mais cette histoire du vieux monsieur était une bonne excuse.

- Et bien principalement pour interroger ce vieux monsieur et tenter de rajouter quelques pièces au puzzle. Mon chef m'a conseillé de prendre quelques jours de vacances après l'arrestation de Stéphane. Je me suis dit que c'était le bon moment pour tenter d'en savoir un peu plus.

- Ah, vous comptez rester plus que le week-end ?

Thomas sentit qu'elle n'avait pas l'air très enchanté d'imaginer cette hypothèse.

- Je ne sais pas, tout dépendra du temps qu'il me faudra pour...

- Oh je ne pense pas qu'il vous faudra plus d'une après-midi pour l'interroger, il ne doit pas en savoir tant que ça, en espérant qu'il n'est pas fou.

Thomas resta silencieux, il avait la vague impression que ses suppositions concernant Carole étaient loin d'être vérifié. Elle n'avait sans doute pas vraiment envie de coucher avec lui...

- Je vois que vous êtes sans doute fatiguez, je vais arrêter de vous questionner et vous laissez aller vous coucher. Demain matin faites comme chez vous, vous pouvez vous levez quand vous voulez et vous servir dans le frigo pour votre petit-déjeuner. Personnellement je ne me lève que vres dix ou onze heures. Je vais vous notez l'adresse du vieux monsieur et comment se rendre chez lui, si vous voulez aller le voir dès demain matin. Il s'appelle Théodore Vivien.

- Peut-être devriez-vous venir avec moi, il vous connaît cela le mettra peut-être en confiance ?

- Où lui fera peur. Non je pense qu'il est préférable que vous y alliez seul. Mais par contre ne lui dîtes pas que vous êtes policier, simplement que Seth était votre petite-amie.

Carole s'était levée pour ramener les tasses vides à la cuisine. Thomas lui se voyait déjà avec sa plaque interroger le vieux monsieur comme un suspect. Mais Carole avait sans doute raison... Il se leva et s'étira, c'était vrai qu'il était fatigué. Il attendit que Carole revînt pour lui souhaiter bonne nuit. Il n'osa pas lui faire une bise. Elle ne le raccompagna pas jusqu'à sa chambre.

Il s'endormit rapidement dans le grand lit tout mou. Il dut dormir quatre heures d'affilées, un record, avant que Seth ne le réveille encore, ne lui repproche de vouloir sortir avec Carole, ne lui rappelle qu'elle ne le laisserait jamais en paix, ne lui remémore qu'elle l'avait marqué au fer, qu'il lui appartenait, désormais. Il se recroquevilla dans la position du foetus sous les couvertures pour se protéger. Tout tournait dans sa tête. Il se rappela de Stéphane, il l'imagina en prison, seul, peut-être innocent. Il se demanda ce qui allait se passer la journée suivante, il se demanda de quoi il avait envi. Il n'avait envi de rien, il n'avait même pas envi de Carole, il se dit que si elle venait le voir, là, pour finir la nuit avec lui, il la renverrait. Puis il se ravisa.

Il somnola entre rêves et cauchemars jusqu'au petit matin où il s'endormit de nouveau. Il dormit entre 7 heures et 9 heures. Il resta une demi-heure dans le lit chaud, puis se leva finalement. Il voulut prendre une douche mais se rendit compte qu'il avait oublier ses linges de bains. Il remit alors cela à plus tard, une fois Carole réveillée. Il prit son petit-déjeuner en silence, sans se presser. Et puis vers 10 heures vingt, comme Carole n'était pas encore levée, il s'habilla et sortit avec le plan pour aller chez Théodore en poche. Il habitait vers Portes-en-Ré. Il prit sa voiture, traversa dans le matin déjà bien avancé de ce samedi 13 septembre les marais qui occupaient une bonne partie de l'extrémité Est de l'île.

Théodore

Il mit un peu de temps à trouver la demeure du vieux Théodore, Carole n'avait pas vraiment la notion des distances sur son plan. Il se gara finalement devant la vieille maison en pierre un peu avant onze heures. Il faisait beau, Théodore était assis devant sa maison et se réchauffait à la lumière du Soleil. Thomas s'approcha et se dit qu'il ne savait pas réellement que lui demander. Il balbutia :

- Bonjour, euh... Excusez-moi de vous déranger, Théodore Vivien ?

- Oui, bonjour.

- Et bien voilà, je... Seth était ma petite-amie...

Théodore le regarda avec des yeux tristes.

- Ah... Mais je ne saurais trop que penser de vous alors...

- Je, une amie m'a dit que vous l'aviez vu, en novembre de l'année dernière, et...

- Oui, oui, elle est venue. Mais elle n'était déjà plus elle-même, depuis si longtemps en fait. Elle n'est jamais revenue, à vrai dire...

- Mais, euh... Je peux m'asseoir ?

- Oui, oui, prenez donc le Soleil, tenez, je me pousse un peu, asseyez-vous là...

Thomas s'assit à côté de Théodore sur un banc en bois et ferma les yeux en se réchauffant le visage. Il était bien. Il interrogea Théodore en restant dans cette position :

- Savez-vous pourquoi elle est venue à l'Île de Ré ?

- Vous êtes avec elle depuis longtemps ?

- Et bien, je, quatre ans, mais... Elle est décédée vous savez.

- Décédée ?...

Théodore parla d'une voix presque inaudible.

- Alors son temps est passé... Je dormirai moins serein, désormais... Tout redevient possible, alors. Savez-vous qui l'a tué ?

Thomas hésita.

- Et bien, non, je ne sais pas, en fait c'est un peu la raison de ma venue, je cherche à en savoir un peu plus sur elle, pour tenter de comprendre qui, ou pourquoi...

- Si c'est ce que je pense celui qui l'a tué est un héros. Il devra être honoré, et il sera notre guide, pendant bien longtemps je l'espère...

Thomas ne comprenait pas.

- Un héros ? Pourquoi donc ? Qui était Seth ?

- Oh ! Seth était beaucoup, tant dans un sens que dans l'autre.

- Je ne comprends pas, que saviez-vous d'elle, depuis quand la connaissiez-vous ?

- Je l'ai rencontrée le 13 juin 1931, j'allais avoir vingt ans.

- Mais ? Mais nous ne parlons pas de la même personne, je vous parle de la jeune fille qui est venue soit disant chez vous en novembre de l'année dernière, celle de la photo que vous avez vue à la boulangerie.

- Oui, elle était toujours aussi belle, mais avait changé pourtant, depuis si longtemps, depuis ces affreux jours de 1933. Depuis ces affreux jours où le monde est entré dans le chaos... Ah mon Dieu, je préfère ne pas y penser.

Thomas se dit que ce vieil homme avait perdu la raison. S'il prétendait avoir rencontré Seth à vingt ans en 1931, il avait alors quatre-vingt-douze ans, assez pour être devenu sénile. Thomas réfléchit un instant et concéda qu'il pouvait confondre Seth avec une de ses amours passées, qu'il regrettait. Mais peut-être tout de même pouvait-il en savoir un peu plus sur ce qu'avait fait Seth en novembre.

- Et... Seth, en novembre, savez-vous pourquoi elle est venue à l'île de Ré ?

- Saviez-vous si elle voyait toujours Alphonse ?

- Alphonse ? Je ne sais pas, qui était-ce ?

- Mon concurrent, si je puis dire. C'est lui qui l'a pervertit, en 1933. Après elle l'a vu souvent.

- Euh... Non, non, elle ne le voyait plus...

Thomas se demanda s'il pouvait vraiment croire le moindre mot de ce vieil homme.

- Et donc, euh, vous savez ce qu'elle voulait en venant ici en novembre ?

- Oh je n'en suis pas sûr. Je n'aurais pas dû la recevoir. J'espérais encore qu'elle puisse changer, redevenir comme avant, mais c'était peine perdue...

Il resta silencieux un instant, Thomas se dit qu'il allait lui poser la question une troisième fois puis qu'il laisserait tomber, mais il n'en eut pas le temps.

- Je pense qu'elle suivait son protégé.

- Son protégé ?

- Oui... C'est peut-être bien lui qui l'a tué d'ailleurs, un peu comme ces formes d'insectes parthénogénétiques.

- Parthénogénétiques ?

- Oui, ce sont des insectes dont les larves dévorent leur mère dans certaines conditions.

- Vraiment ?

- Cela parait surprenant au premier abord, mais c'est en fait tout à fait compréhensible quand on étudie le phénomène de plus près. Par exemple chez les mouches de la famille des cécidomyidés. Ce sont des mouches qui se nourrissent de champignons, principalement.

- Ah ?

Thomas se demande bien encore ce que va inventer le vieux.

- Ces mouches vivent dans un environnent où la principale source de nourriture est éphémère mais abondande ponctuellement. C'est à dire qu'il n'y a pas beaucoup de champignons et ceux-ci ne subsistent pas très longtemps. Ainsi, lors de la découverte d'un champignons, la stratégie la plus efficace est de le dévorer le plus rapidement possible pour générer le maximum de descendants. Vous comprenez ?

- Euh, oui oui...

- Or, le développement d'une mouche sexuée classique, du stade de larve à celui de mouche ailée, prends des jours et des jours. Alors l'évolution a conduit ces mouches à avoir deux modes de reproduction, un premier mode classique de reproduction sexuée, et un autre mode, de reproduction assexuée où les mouches pas encore adultes, toujours au stade de larves, commencent déjà à produire des larves à l'intérieur même de leur corps. Ainsi en quelques jours une première larve peut donner naissance à des dizaines d'autres larves qui la dévorent de l'intérieur, puis dévorent le champignon où elle a élu résidence. Ensuite elles donnent elle-même naissance rapidement à des dizaines d'autres larves assexuées. En quelques jours des milliers de larves prennent donc naissance. Le champignon est alors consommé à une vitesse record alors qu'il aurait fallu des dizaines de fois plus de temps si chaque génération avait dû attendre la majorité sexuelle.

- Ah.

Thomas de demanda qu'est-ce qu'il pouvait bien avoir à faire de ses mouches, au vieux....

- Mais il y a un problème, vous voyez lequel ?

- Euh, non...

- Et bien, me direz-vous, une fois le champignon consommé, si elles sont restées au stade de larves, elles ne pourront pas trouver de nouveau champignon, et elles vont toute mourir ?

- Euh, oui.

- Et bien, c'est là que la nature est remarquable. Quand la nourriture est abondande, les larves ne donnent naissances qu'à des larves femelles capables de se reproduire de manière assexuée, mais quand la nourriture devient plus rare, et bien des mâles commencent à apparaître ainsi que des larves qui vont aller jusqu'au bout de leur développement, avec des ailes, et qui pourront partir à la recherche d'un nouveau champignon, n'est-ce pas magnifique comme optimisation de l'utilisation des ressources ?

- Oui, c'est intéressant... Mais, euh... Quel est le rapport avec Seth ?

- Vous ne comprenez pas ? Si Seth a bien été tuée par son protégé, celui-ci a dû lui prendre son énergie pour croire plus vite, parce que l'environnement est favorable. Ne trouviez-vous pas que Seth était de plus en plus faible depuis son retour de l'Île de Ré ?

Cette phrase résonna dans la tête de Thomas : "Ne trouviez-vous pas que Seth était de plus en plus faible depuis son retour de l'Île de Ré ?"... Il resta silencieux... Puis il se reprit. Ce vieil homme avait tord, de toute manière... Mais qui pouvait bien être la personne que ce vieil homme appelait le "protégé" de Seth ? Son amant, Mathieu Tournalet ?

- Mais savez-vous qui était le protégé de Seth ?

- Ce ne sont que des suppositions, jeune homme, je ne sais rien. Si je le savais, je ne serais pas aujourd'hui là à attendre.

- Ah ? Et... Vous seriez où ?

- Je ferais tout mon possible pour le tuer...

"Il est complètement fou" se dit Thomas.

- Mais, vous ne l'avez pas vu, ce protégé ? Est-ce que vous avez vu quelqu'un en compagnie de Seth ?

- Non, bien sûr que non, elle était trop prudente, trop maligne... Vous savez jeune homme. En un sens je suis heureux qu'elle soit partie, elle n'était plus elle-même, de toute façon, mais ce qui m'inquiète, c'est que je ne sais pas si c'est bon ou mauvais signe...

Thomas conclut qu'il n'apprendrait rien, que le vieux délirait et qu'il vallait mieux qu'il allât occuper son temps à draguer Carole.

- Vous travaillez ?

- Euh, oui, bien sûr.

- Oh, ce n'est pas si évident, tellement de gens passe leur temps aujourd'hui à jouer en bourse. Et ils croient qu'ils travaillent ! Ils le disent eux-même, ils jouent en bourse. Jouer n'est pas travailler. Ils ne créent pas de valeur, ils ne font que profiter d'un système imparfait. Vous ne travaillez pas dans la bourse, au moins ?

- Non, non.

- Bien. Ne vous laisser jamais prendre à ce jeu. C'est contre toute les valeurs de l'homme, c'est utiliser les vices des autres pour s'enrichir, c'est honteux et dégradant.

Thomas se rappela qu'il y a bien longtemps un ami à lui lui avait fait acheter des actions France Telecom, il se demanda bien ce qu'il en était devenu, depuis le temps. Il avait un peu suivi au début, puis les valeurs avaient beaucoup baissé, et depuis il avait oublier tout ça, il serait peut-être temps de s'en débarrasser... Le Soleil se voilà, Thomas rouvrit les yeux. Il se leva.

- Et bien monsieur, merci beaucoup de m'avoir raconter tout ça.

- De rien, jeune-homme. N'hésitez pas à venir me voir si vous avez d'autres questions.

- J'y penserai.

Thomas le remercia encore, puis le salua et regagna sa voiture. Il resta quelques secondes sans démarrer, puis secoua la tête et partit. Il était midi passé.