Le Patriarche

Le Premier Monde : Le Bien

Florent (Warly) Villard

Janvier 2003 - Juin 2003


Version: 0.6.2, 21 novembre 2003 - 18
Copyright 2003 Florent Villard




Remerciements

Toujours à Monsieur Yves Gueniffey, sans lequel ces écrits n'auraient peut-être jamais commencé.

À Zborg pour m'avoir relu, corrigé et critiqué.

À Manu pour m'avoir critiqué.

À Aline, Titi, Poulpy, Pterjan, Pixel, Anne pour m'avoir relu.

À Vanessa pour m'avoir inspiré quelque peu.

Table des matières L'Au-delà
Stycchia



L'Au-delà

Jour 130

J'arrive enfin à me servir de ce maudit bracelet.

Du temps a passé, combien, je ne suis sûr de rien, j'ai compté cent vingt-cinq jours, mais ce peut être plus. Voilà donc maintenant longtemps que nous sommes ici, plusieurs semaines, plusieurs mois, incapable de savoir si je suis si loin de la vérité.

Mais gardons nos vieilles habitudes, soumettons nous au temps, et contentons-nous d'ordonner nos souvenirs.

Jour 131

Nous sommes donc chez Martin, dans son attente. Erik sommeille profondément, se remettant de ses blessures. Quant à moi je termine l'écriture de mes aventures et discute avec Naoma, résistant à ses indécentes propositions d'aller faire un somme, même si l'envie ne m'en manque pas. Du bruit parvient d'en bas, nous pensons que Martin revient avec, nous l'espérons, de quoi au moins bander correctement les blessures d'Erik, et les miennes tant que nous y sommes.

Ce n'était pas lui. Quelques secondes plus tard, alors que j'ai à peine eu le temps de me lever de ma chaise, six hommes entrent subitement dans la pièce. Six hommes, immenses, de vraies armoires à glace, armés de nombreux couteaux et sabres. Six hommes habillés de façon très étrange, type touristes allemands égarés, le tout saupoudré de ponchos, sans doute pour cacher leurs armes blanches. Chacun porte soit un couteau soit une épée. Nous comprenons à leurs mines que ce ne sont pas de grands enfants nostalgiques de Halloween. Ils nous font signe de les suivre. Ils ne disent pas un mot. Naoma est pétrifiée.

- Qui sont ces gens... Ylraw... Tu les connais ?

- Je n'en ai aucune idée, jamais vu des Conan le barbare pareils.

Vu mon état il m'est difficile de tenter une quelconque rébellion, d'autant que Naoma ou Erik pourraient en souffrir si ces hommes la réprimaient avec leurs épées. Deux hommes nous tirent violemment par le bras Naoma et moi, alors que deux autres réveillent Erik et lui retirent sans mesure le boîtier que j'avais installé pour tenter de limiter les émissions électromagnétiques de l'émetteur dans son mollet. Ce réveil brutal ne manque pas de le faire sursauter et surtout crier de douleur. Il est bien sûr complètement déboussolé.

- Mais qu'est-ce que... Qui sont ces gens, François ?!

Alors que je suis déjà dans la pièce voisine entraîné par ces hommes, je lui crie :

- Je ne sais pas Erik ! Nous n'avons rien vu venir ! Je suis désolé !

Désolé de vous attirer avec moi dans ces histoires. Désolé de ne pas avoir eu le courage et la force de rester seul... J'ai du mal à marcher, mais Erik d'autant plus et je ne mérite pas de me plaindre. Je me rapproche de lui pour l'aider à descendre les escaliers. Sa blessure à la jambe saigne, tout comme ma blessure au bras. Nous arrivons péniblement dans la rue. Il doit être 18 heures passées, il fait encore grand jour et très chaud.

Les hommes se sont recouverts de leurs ponchos, masquant leurs couteaux et épées. Je suis tenu en respect par l'un d'eux à mes côtés, qui maintient collé à mon bras droit, sous son poncho, un couteau près à trancher au moindre geste non conforme. J'aide tant bien que mal Erik à marcher en le soutenant sur mon épaule gauche. Il est lui-même accompagné à sa gauche par un autre homme. Deux autres se tiennent derrière nous, encore un accompagne Naoma devant, et la marche est dirigée par le sixième, qui avance avec quelques mètres d'avance sur nous, faisant office d'éclaireur.

Un petit car nous attend au coin de la rue, une personne se trouve déjà au volant. Nous montons, nous trois accompagnés des six hommes, et le véhicule démarre aussitôt. L'intérieur est composé de trois rangées de trois sièges, deux d'un côté et un de l'autre, terminé par une rangée de quatre sièges. Nous sommes chacun, Erik, Naoma et moi, assis sur le siège presque central, entourés de deux des hommes. Personne n'a dit un mot depuis le départ. Ces hommes sont étranges. Ils laissent dégager une impression dérangeante, quelque chose que je n'arrive pas à décrire. Le chauffeur lui est plus conforme à l'idée de baroudeur filou que l'on engage au forfait pour quelques mauvaises besognes.

J'ai du mal à supporter cette soumission, et à défaut de pouvoir physiquement leur tenir tête, étant bien trop faible, je tente d'engager la conversation avec le chauffeur.

- Il fait plutôt beau vous ne trouvez pas ? On va faire une balade ? Vous nous emmenez où comme ça ?

- À l'aérop...

Il est coupé par l'homme assis juste derrière lui qui lui fait signe de se taire. Naoma laisse échapper un cri de douleur. L'homme à mes côtés me soulève pour me forcer à me tourner et voir la lame du couteau du voisin de Naoma lui entailler légèrement le bras. Je serre le poing, je bouillonne de colère. L'homme à la gauche de Naoma le sent et il lui saisit le poignet et lui place un couteau sous la gorge. Elle est en plus plaquée contre le siège par l'homme à sa droite qui lui tord le bras droit. Il me fait un signe de la tête signifiant sûrement qu'au moindre écart supplémentaire ils n'hésiteront pas. La peur qu'il lui fasse le moindre mal me fait redevenir raisonnable ; mais malgré mes tentatives de leur faire comprendre que je vais rester sage, ils laissent Naoma dans cette position très inconfortable pendant pratiquement tout le trajet.

L'aéroport de Melbourne est à une dizaine de kilomètres du centre, et nous y sommes en moins de vingt minutes. Notre petite compagnie traverse rapidement l'aéroport pour se retrouver sur les pistes. Les six hommes, le chauffeur n'étant plus avec nous, nous dirigent jusqu'à un jet à bord duquel nous montons. Il y a une vingtaine de places et les hommes nous répartissent loin les uns des autres. Je me trouve au fond, je vois Naoma quelques sièges en avant et Erik juste devant le poste de pilotage. S'ensuit une longue attente, où la parole nous est toujours interdite. Le pilote doit sans doute attendre l'autorisation de la tour de contrôle. Je n'ai toujours pas de montre mais plus d'une heure doit s'écouler. Erik semble s'être assoupi, et je ne vais pas tarder à faire de même, nous sommes tous deux épuisés de notre journée. Naoma pleure en silence ; je vois sur ses joues couler des larmes. Mais elle ne dit rien, attendant patiemment. Je ne sais vraiment que faire, pas plus qu'où nous emmènent ces hommes. Mais je ne suis pas de taille. Erik est très mal en point et ne pourra pas m'aider, Naoma n'en a de toute évidence pas les moyens, et les miens sont tellement limités... Je suis contraint de prendre mon mal en patience, et le désespoir et la fatigue prennent petit à petit le dessus.

Nous décollons finalement, une heure ou deux plus tard, et je prends la résolution de mettre à profit le vol pour récupérer des forces. Il nous sera de toute façon difficile de mettre en oeuvre quoi que ce soit avant l'atterrissage. La décision prise je m'endors en quelques secondes, mon éveil ne tenant qu'à la tension que je m'imposais, mon corps mourant de fatigue.

Je serais incapable de dire combien de temps à duré le vol, profondément endormi je ne suis réveillé que par quelques perturbations qui secouent l'avion à l'approche de notre arrivée. Sydney ! Voilà notre destination. Une fois de plus bien des efforts qui s'avèrent vains... Plus d'un mois de cavale pour me retrouver au même endroit. Ah... Lassitude... Je me dégourdis tant bien que mal les membres sentant qu'approche de nouveau le moment où une action sera possible. Mais que puis-je réellement risquer ? Ils se vengeraient sur Naoma et Erik à la moindre tentative. Il me faudrait les éliminer tous d'un coup, c'est impossible ! D'autant que je n'ai aucune arme et au mieux je ne pourrai que leur subtiliser une de leurs épées. Mon espoir serait que nous passions dans un lieu public où la foule protégerait une initiative de ma part ; je ne pense pas qu'ils oseraient se servir de leurs armes dans une telle situation. L'avion roule pendant d'interminables minutes avant de se garer à distance raisonnable des halls de l'aéroport. Nous descendons sur la piste toujours encadrés chacun par deux des hommes.

Un homme me tient par le bras droit, j'y ai une blessure à peine soignée et l'épaule m'est très douloureuse. Mais j'ai l'impression qu'au plus la douleur perdure, au plus la rage de me révolter monte en moi. Je serre les dents pour garder mon calme, pour chercher le moment opportun. J'attends difficilement que nous arrivions dans le hall de l'aéroport après une longue série de couloirs trop calmes pour qu'une action porte ses fruits. Nous avançons aussi vite que ces hommes parviennent à faire marcher Erik, qui a beaucoup de mal. Naoma ne dit pas un mot. Je pensais au premier abord que le passage des détecteurs de métaux serait une barrière, mais venant d'un avion privé sur une ligne intérieure nous n'en avons traversés aucun. Le hall contient beaucoup de monde, sans pour autant que ce soit une foule suffisamment dense pour qu'une personne se débattant puisse passer inaperçue ; de plus plusieurs policiers patrouillent.

Je suis parcouru de quelques frissons, quelques contractions musculaires fruits de ma colère montante, colère physique, comme si mon corps voulait outrepasser mon esprit. Pourtant je ne m'emporte pas habituellement, et j'ai toujours une assez forte capacité à garder mon calme, mais peut-être toutes ces aventures finissent-elles par me pousser à bout. Peut-être mes blessures, ces douleurs qui me minent, tapent sur mes nerfs depuis trop longtemps ; peut-être encore cette impuissance, cette incompréhension, cette exténuation emplie de désespoir viennent-elles à bout de mes limites. J'ai peur en effet que sous peu je ne puisse plus contrôler mon envie de révolte. Je suis entouré de deux personnes, l'homme à ma droite maintient mon bras sous son poncho avec la lame de son couteau prête à me tailler les veines tandis que l'homme à ma gauche cache lui une épée d'une main, et a l'autre posée sur mon épaule.

Je souffle, ferme les yeux un court instant et récupère ma pierre dans la main gauche. Ma pierre, mon soulagement, ma folie sans doute, ma force aussi... Tout change, mes douleurs semblent s'atténuer, et cette brûlure, presque connue, presque réconfortante, qui écrase de son poids l'ensemble des autres souffrances. Trouver du réconfort dans une douleur plus grande, quelle démence ! Je la conserve quelques minutes, quelques minutes pour reprendre des forces et du courage. Trop peut-être, peut-être ne fait-elle qu'attiser ma colère. Mais qu'importe, il suffit ! Je m'arrête de marcher et la range dans ma poche. Les deux hommes m'accompagnant s'arrêtent.

Je reste immobile, ils s'impatientent. L'homme à ma droite me tire par le bras, celui à ma gauche me pousse. Je me laisse aller et tombe en avant, l'homme à ma droite me retient et je retrouve suspendu par le bras, je ne suis guère étonné qu'il soit assez fort pour y parvenir, mais le tiraillement de l'épaule m'arrache des cris de douleur, qui font leurs premiers effets sur la foule. Dans le même temps celui à ma gauche se baisse pour me relever, mais, toujours soutenu par mon bras droit, je me retourne et m'agrippe au poncho du premier pour prendre de l'élan et donner un puissant coup de pied dans la tête de l'autre. L'homme qui me tient est déstabilisé en avant et tente de se retenir mais ne me lâche pas. L'homme à qui j'ai donné le coup de pied est projeté en arrière mais ne laisse pas tomber son épée. Après ce coup de pied, voyant que l'homme ne m'avait pas lâché, je bloque avec ma jambe son pied et pousse fortement tout en tirant avec mon bras et tentant de pivoter. Cette fois-ci il part en avant et laisse mon poignet pour parer sa chute. Je me retourne, tombe sur lui et me jette sans attendre sur l'homme à qui j'ai donné un coup de pied alors que les quatre autres hommes s'apprêtent à intervenir. Naoma hurle, la foule s'espace. Il est gêné par son poncho et hésite à sortir son épée. Hésitation fâcheuse pour lui car je lui saute dessus par sa gauche et place ma jambe derrière la sienne et la tirant en avant, il perd l'équilibre et tombe en arrière. Je tombe lourdement sur lui. À travers le poncho je saisis l'épée, la fait pivoter pour placer le tranchant contre lui et la remonte tout en m'appuyant de tout mon corps. Il laisse échapper un cri étouffé. Je pars tout de suite en avant en emportant le poncho avec moi de façon à ce que celui-ci lui recouvre le visage. Deux des quatre hommes restants qui hésitaient à agir jusqu'à présent, pensant sans doute que deux seraient assez pour me maîtriser, se lancent vers moi et soulèvent leur poncho pour sortir leurs épées au grand jour. Je récupère sans trop de mal celle de l'homme que j'ai envoyé à terre et pare tout juste un coup impressionnant de l'un d'eux. Elle pèse des tonnes ! Je suis projeté en arrière par la puissance du coup. Trois policiers crient à tout le monde de lever les mains en l'air. Les hommes s'en moquent et ne relèvent même pas. Les deux hommes manient leurs épées d'une seule main avec une dextérité remarquable alors que je ne peux guère, malgré toute ma rage, que parer difficilement avec la mienne, tenue à grande peine à deux mains, les coups qu'ils me portent. Mais le jeu ne dure pas longtemps, en moins de quelques secondes ils se coordonnent et attaquent simultanément, et alors que je soulève mon épée pour me protéger d'un tranchant du haut de l'un, je ne peux éviter un coup pointant de l'autre, je suis transpercé de part en part au niveau du ventre...

La tension retombe... Je lâche mon épée... Elle n'a même pas le temps d'atteindre le sol, un des hommes la récupère alors que l'autre, une fois son épée retirée de mon ventre, se rapproche et me prend sur son épaule. Les policiers continuent de crier, tout comme la foule. Tout tourne... Ils partent en courant. Je suis ballotté... Je ne vois plus clair, pas plus que je n'entends... Je ne crois pas que les policiers aient tiré de coups de feu... Je ne sais pas... J'ai une absence... Je reprends connaissance quand je suis allongé sur le sol d'un fourgon... Je crois qu'Erik et Naoma sont proches de moi... Je leur demande pardon... Erik répond que c'était de toute façon le moment ou jamais, et s'excuse de n'avoir pas pu réagir... Naoma pleure...Elle me parle, je crois... Je perds de nouveau connaissance quelques minutes plus tard.

Quand j'ouvre les yeux je me trouve allongé dans une sorte de demi-tube penché en arrière. Je suis nu. Je suis dans une pièce circulaire, composée de cinq tubes identiques au mien, vides. Une sorte de table métallique leur fait suite puis cinq sièges, le tout disposé le long de la paroi. Paroi qui est elle aussi d'apparence métallique, lisse. Il se dessine néanmoins ce qui semble être une porte, et ce que je pense être un placard. J'ai un peu de mal à me lever, mais je me sens plutôt bien. Je suis engourdi, il me faut quelques minutes avant de marcher correctement. Je fais rapidement le tour de la salle mais ne trouve rien de supplémentaire. J'ai peur que la porte soit fermée, mais en cherchant le mécanisme d'ouverture, je mets naturellement la main sur une tablette, à même le mur, qui se révèle être le bouton d'ouverture. En sortant j'arrive dans une autre pièce entourant la première, une sorte de grand anneau. Il n'y a toujours personne. Je reste prudent et tente de ne pas faire trop de bruit, mais tout parait désert. Soudain j'aperçois Naoma et Erik au travers d'une fenêtre. Ils se trouvent à l'extérieur. Je sors alors rapidement par une porte plus grande que la première, mais au mécanisme d'ouverture identique. Naoma se précipite vers moi.

- Franck ! Franck !

Elle me saute au cou. Elle me harcèle de questions :

- Franck, mais qu'est-ce que tu fais là, mais comment c'est possible ? C'était donc toi dans le dernier tube ? Ils t'ont ressuscité ? C'est toi qui est entré quand nous étions en train de partir ? C'est Bakorel qui t'a aidé ? Et où est-il, lui ? Oh je suis si contente ! Ça va ?

- Euh et bien oui je crois. Mais je comprends rien à tes questions, où sommes-nous ?

- Mon Dieu Franck, mais, tu ne te rappelles de rien ?

- Ben non, je comprends absolument rien, c'est qui Bakotruc ?

- Oh Franck ! Je suis tellement contente de te retrouver enfin ! Je vais tout te raconter, ça te rafraîchira la mémoire !

Elle me tire encore vers elle et me prend dans ses bras. Erik est à côté d'elle, lui aussi me salue :

- Bienvenue parmi nous, Ylraw, c'est vrai que ça fait plaisir de te revoir enfin ! Franchement je n'y comptais plus trop...

Je ne comprends rien. Mais je ne suis pas normal, mon esprit est comme embrumé. C'est alors que je m'aperçois que je n'ai plus de blessures, mon ventre n'a presque rien, plus de marque d'épée, juste une cicatrice qui ne semble qu'un reste d'un passé lointain. Il en va de même pour mes autres marques, ma brûlure au poignet, mes cicatrices aux jambes, aux bras, il n'en reste que des taches diffuses.

- Mais qu'est ce qu'il se passe, où sommes-nous ? Au paradis ? Pourquoi n'ai-je plus de blessures ? Qu'est-ce que...

Erik est amusé par cette idée :

- Au paradis ? Ah ! Oui peut-être après l'enfer ! Pour être francs nous ne savons pas encore où nous sommes. Je me suis réveillé il y a à peine une heure ou deux, et Naoma quelques heures auparavant.

- Oui c'est comme la première fois j'étais encore la première.

- Quelle première fois, et pour les blessures ?

J'ai soudain un flash. Paniqué.

- Et ma pierre, où est ma pierre ? Où sont nos affaires, nos habits ?

Erik me répond :

- J'ai bien peur qu'il ne faille quelques temps pour que nous retrouvions, si on les retrouve, nos affaires. Ne compte pas trop dessus en tous les cas...

Je ne comprends strictement rien à ce qu'il se passe. Je suis perdu... Je peux sans doute désormais me passer de ma pierre, les effets du bracelet s'étant dissipés, mais j'ai tout de même peine à l'accepter. Je fais la moue, Erik et Naoma rigolent. Naoma me serre de nouveau dans ses bras.

- Ah mon Franck ne t'inquiète pas nous allons tout te raconter, mais nous ne comprenons pas tout nous non plus ! Mais va donc te chercher un habit, je vais me faire des idées si tu restes ainsi !

Nous retournons à l'intérieur de la pièce comportant les tubes, et Naoma m'accompagne jusqu'à une paroi où, après avoir placé ma main contre un détecteur identique à ceux commandant l'ouverture des portes, une petite trappe que j'avais identifiée comme celle d'un placard s'ouvre. Je trouve à l'intérieur d'un petit espace une combinaison pliée, similaire à celles de Naoma et Erik. Je l'enfile. Elle est tout à fait à ma taille. C'est une sorte de matière extensible avec une seule ouverture au niveau du cou, assez lourde, plus qu'on l'imaginerait. La combinaison comporte aussi des renforts au niveau des pieds et permet de se passer de chaussures. Elle a de plus une sorte de couche au niveau de la culotte. C'est très agréable à porter et on ne se sent pas du tout serré comme on pourrait le croire de prime abord. Erik m'explique la situation :

- En attendant nous sommes sortis jeter un oeil, Ylraw. Il semble que nous soyons en plein milieu d'une forêt.

- Au milieu d'une forêt ? Mais c'est quoi ce délire ? Vous ne voulez vraiment pas m'expliquer ce qu'il s'est passé, même dans les grandes lignes ?

- Je pense que nous allons avoir pas mal de temps avant de nous sortir de ce nouveau pétrin, nous allons te raconter.

Naoma se propose :

- Oui, je vais tout te raconter depuis le début. Quel est ton dernier souvenir ?

Mon dernier souvenir date de l'instant précédent mon évanouissement dans le fourgon à la sortie de l'aéroport de Sydney, après mon coup d'épée dans le ventre. Naoma et Erik semblent trouver cela logique. Naoma prend alors la parole pour raconter ce dont elle se souvient.

" J'étais alors affolée, m'imaginant qu'ils allaient te laisser mourir sur place. Je pleurais tellement, je ne voyais presque plus rien ! "

Naoma fait une parenthèse :

- Je dois aussi avouer que j'ai tendance à pleurer pour un rien. Il ne faut généralement pas trop y faire attention, la moindre émotion se traduit souvent sur moi par des larmes. Ce n'est pas pour autant un signe grave ou inquiétant. Ça me joue souvent des tours, à la première colère je verse assez rapidement des pleurs, ce qui a le don de déstabiliser mes interlocuteurs.

Elle reprend :

" Mais à bien y réfléchir, en t'imaginant en train de mourir, déjà mort peut-être, je crois que j'étais vraiment triste. C'est vrai que nous ne nous connaissions pas tant que cela après tout, et depuis pas très longtemps en fait, mais tu sais j'étais déjà très attachée à toi et puis tu avais été tellement en Australie, quand j'allais pas bien. J'avais tellement envie de t'aider ! Mais j'étais tellement démunie ! Je tentais tant bien que mal de te venir en aide en suppliant les hommes de me laisser bouger. Mais ils ne voulaient rien savoir et ils continuaient à nous plaquer tous les trois au sol, j'étais complètement écrasée. Ils avaient sûrement peur qu'on tente de nouveau de nous évader. Je ne savais vraiment pas quoi faire, j'étais découragée mais je me débattais tellement que les hommes ont dû me maintenir à trois pour m'empêcher de bouger !

Mais je ne voulais pas me laisser faire, pas cette fois-là, pas encore ! Je me suis encore plus énervée. Mais manque de chance ils en ont eu vite marre et le conducteur a dû leur donner un somnifère ou quelque chose comme ça. Il m'ont mis un mouchoir devant la bouche, et j'ai eu beau bougé dans tous les sens je n'ai pas résisté et je me suis endormie en quelques secondes. Il ne restait plus qu'Erik de réveillé, mais il ne se rappelle pas trop de ces moments. Quand il m'avait raconté il m'avait dit qu'il était lui aussi en piteux état et tout ce qu'il a pu me dire c'est que le trajet a duré près d'une heure. Ensuite les hommes nous ont descendus à côté d'un grand bâtiment et ils nous ont portés pendant de longues minutes dans un dédale de couloirs et d'escaliers, et encore et encore. Ils ont fini par nous installer dans des compartiments un peu comme ceux dans lesquels nous nous sommes réveillés tout à l'heure, ces sortes de tubes. "

Naoma fait une pause alors que nous nous apprêtons à ressortir. La pièce dans laquelle nous nous trouvons ne doit pas faire plus d'une trentaine de mètres carrés, environ six mètres de diamètre. La lumière provient d'une sorte de lampe diffuse au plafond, peut-être un ensemble de petites loupiotes ou diodes. Une lumière presque réconfortante. Je demande à Naoma et Erik s'ils ont fait un tour approfondi de la pièce.

- J'ai fait un tour de cette pièce rapidement, oui, mais nous avons pu manquer des choses. Il y a plusieurs pièces. Celle-ci se trouve au centre de l'autre pièce circulaire que tu as traversée pour sortir, qui donne elle-même sur encore d'autres pièces, mais nous allons te montrer. C'est Naoma qui a trouvé pour les combi, ne sois pas jaloux je n'ai pas eu la chance de la voir toute nue...

Naoma se sent visée par cette remarque :

- Pfff ! Je n'en ai pas vu beaucoup plus, avant que vous ne vous réveilliez le tube reste fermé de toute façon, et je t'ai montré pour les combinaisons juste après. En attendant j'ai aussi fait un tour, mais toute seule j'avais un peu peur et j'ai préféré attendre que l'un de vous se réveille. Dans cette pièce à part les combis je n'ai rien vu d'autre.

Erik s'apprête à sortir, en déclenchant l'ouverture de la porte il commente :

- Il semble que toutes les portes fonctionnent avec des détecteurs d'empreintes. La bonne nouvelle c'est que ça marche pour Naoma et pour moi, et apparemment pour toi puisque tu es sorti.

- Oui c'est vrai. Mais plus logiquement ce n'est peut-être pas un détecteur d'empreintes, juste un bouton, et ça marche pour tout le monde, vous ne pensez pas ? Comment sinon pouvaient-ils avoir nos empreintes ?

- Hum, c'est vrai, je ne sais pas... Toutefois ça ne ressemble pas tellement à un bouton, et étant donné ce que nous avons déjà vu auparavant je suis bien prêt à croire n'importe quoi. Tu changeras peut-être d'avis quand nous continuerons de te raconter.

Tous ces mystères m'énervent.

Nous sortons de la pièce pour arriver dans celle qui englobe la précédente. Cette configuration ressemble un peu à la structure du bâtiment secret du Pentagone dans lequel j'étais enfermé. À ce propos je m'imagine que ce doit être les mêmes personnes qui en sont à l'origine. Je reste de nouveau impressionné par la luxuriante forêt visible au travers des fenêtres. La pièce comporte une série de tables arrangées contre les parois. Une seule porte permet de sortir vers l'extérieur. Nous avançons sur la gauche. Une nouvelle pièce, séparée de celle où nous nous trouvons par une grande porte, se trouve accolée à la première à quatre-vingt-dix degrés environ par rapport à la porte de sortie. Toujours de forme circulaire, seule une table centrale avec des sortes de cages et de tiges métalliques sur le pourtour attirent notre attention. Elle possède une grande baie vitrée qui dévoile un peu plus de la superbe végétation extérieure. Une porte sur le côté donne sur ce que je qualifierais d'un couloir, qui s'ouvre lui-même sur quatre portes, cinq en comptant celle d'où nous arrivons, et deux sortes d'ouvertures, de trous, qui laissent supposer la présence d'un sous-sol. Ces deux ouvertures se trouvent de part et d'autre d'une porte centrale. La configuration nous paraît passablement dangereuse, d'autant qu'il n'y a aucune barrière pour prévenir une éventuelle chute. La première porte à gauche redonne sur la pièce principale. La seconde, en face, permet d'accéder à une nouvelle pièce circulaire, meublée uniquement de trois tables, elle aussi fournie en grandes baies vitrées donnant vue sur la forêt. La troisième porte, sur la droite, donne sur un petit espace, avec un étrange tube muni d'une sorte de coussin au bout, plus exactement une sorte de couche-culotte, qui a la forme pour épouser un fessier. Je reste perplexe, tout comme Erik, face à l'utilité de cet élément :

- C'est peut-être pour se reposer, il n'y a presque aucune chaise dans ces trucs.

Naoma est plus pragmatique.

- À mon avis ce sont les toilettes, un videur de combi quoi.

Erik est d'accord :

- Ah oui, bien sûr ! Tu as sans doute raison.

Je suis pour ma part perplexe :

- Un videur de combi ?

- Je t'expliquerai...

Ce serait en effet logique que ce soient des toilettes, dans la mesure où à part le sous-sol, nous n'en avons trouvées aucune pour l'instant, et que les gens qui vivent ou vivaient ici devaient bien avoir des besoins. Je ne comprends par contre pas ce que Naoma sous-entend par "videur de combi" ? Celles-ci se comportent peut-être effectivement comme des couches-culottes ? Je suis impatient que Naoma et Erik me racontent ce qu'ils savent, je reste vraiment pour l'instant complètement dans le flou. La quatrième porte, toujours sur la droite, celle au centre des deux ouvertures, est fermée, le capteur d'empreintes ne nous permet pas de l'ouvrir, et comme toutes les autres portes elle ne comporte aucune poignée manuelle. Erik, qui commentait la visite, termine :

- Voilà, c'est le tour rapide que nous avons fait tout à l'heure, ensuite nous sommes allés voir dehors. Retournons-y au moins ça te donnera une vision d'ensemble sur les bâtiments. On tentera d'aller dans ces trous un peu plus tard, ils ne m'inspirent pas confiance.

La forêt est vraiment magnifique, de puissants arbres immenses le tout baigné dans une abondante végétation, parsemée de fleurs, de lianes et de plantes grimpant le long des troncs. La structure dans laquelle nous nous trouvions est composée de quatre dômes, imbriqués les uns dans les autres. Le premier, le principal, est le plus grand, et les trois autres, plus petits, lui sont accolés autour. Chacun devant correspondre à l'une des pièces visitées. La construction se trouve au centre d'une clairière, où étrangement aucun arbre ne pousse, simplement une pelouse rase, laissant supposer que le lieu est entretenu. Je remarque que le dôme principal est beaucoup plus grand que ne le laissait suggérer la hauteur du plafond.

- Il doit y avoir une autre pièce au-dessus, le dôme fait au moins six mètres de haut et le plafond était à tout casser à trois mètres dans la pièce principale.

En effet dans les autres pièces le plafond épousait les formes sphériques de leur dôme respectif, contrairement à celui, plat, du dôme principal. En levant la tête je suis interpellé par la couleur du ciel, d'un bleu si profond que jamais mes multiples randonnées aux sommets des montagnes ne m'avaient permis de voir. Je reste rêveur un instant, Erik regarde comme moi le ciel si pur :

- Oui c'est vrai, je me demande bien où nous sommes...

Un brin de nostalgie se laisse deviner dans sa voix.

- On doit se trouver dans une forêt tropicale sûrement, en Afrique sans doute. Peut-être que c'est Etiola qui nous a fait venir ici. La température et l'humidité ont l'air élevées. Cela dit c'est étrange car si je sens bien qu'il fait chaud sur mon visage la combi semble être toute fraîche. Vous ressentez la même impression ?

Erik et Naoma rigolent. Naoma répond :

- Ah mon Franck il faut que je continue mon histoire !

Erik poursuit :

- J'espère que nous sommes en Afrique... Quoique je n'en sais rien après tout...

Naoma reprend donc la suite de l'histoire alors que nous nous éloignons un peu des bâtiments pour explorer les environs :

" Quand je me suis réveillée j'étais allongée dans un tube, une sorte de tube penché, je pense que c'était un peut le même que ceux dans lesquels nous nous sommes retrouvés en arrivant ici. Tout d'un coup plusieurs hommes sont rapidement venus vers moi et ils m'ont tirée, presque traînée, hors de la pièce dans laquelle je suis arrivée. Je ne comprenais rien, j'étais toute engourdie, j'avais du mal à marcher et les hommes devaient presque me porter. Il m'a fallu plusieurs minutes avant de voir clairement. Je n'étais pas encore complètement réveillée et j'ai mis un petit moment avant de faire le point dans ma tête, me rappeler de Sydney, l'enlèvement et le reste. Mais je m'attendais à trouver les mêmes hommes qui nous avaient enlevés à Sydney, mais je ne les reconnaissais pas. En tous cas ils n'étaient plus habillés avec leur ponchos et leurs habits ridicules. Une chose de sûre c'était qu'ils étaient beaucoup plus nombreux, et beaucoup plus exités, il y avait beaucoup de bruit, les gens criaient, d'autres courraient dans tous les sens, mais je ne comprenais absolument rien à ce qu'ils disaient. En fait sans doute trois ou quatre hommes m'accompagnaient, et ils devaient repousser d'autres qui se pressaient pour me voir. C'est à ce moment que je me suis aperçue que j'étais toute nue, et j'ai compris que c'était sûrement l'origine de tout ce remue-ménage. C'était affreux je ne pouvais même pas cacher ma poitrine et mon sexe avec mes mains, ils me traînaient presque par terre par les bras, j'étais obligée de courir presque pour ne pas tomber ! C'était vraiment horrible... Et puis ils me serraient si fort, j'avais terriblement mal. Je ne pouvais même pas me débattre tellement il fallait que je marche vite pour ne pas tomber ! Et il y avait toujours cette cohue qui nous suivait. Ça a duré très longtemps, peut-être vingt minute, une demi-heure, je ne sais pas trop.

Nous avons marché dans plein de couloirs et d'escaliers, puis enfin nous avons fait une pause devant l'entrée d'une zone qui devait avoir un accès restreint parce qu'à partir de là, enfin, seuls quatre hommes sont restés avec moi. Je me sentais déjà un peu mieux, et nous avons pu marcher un peu moins vite. Nous avons marché jusqu'à un ascenseur, puis nous avons changé encore une fois ou deux d'ascenseur. C'était si long, je grelottais de froid, sans compter que j'avais aussi du mal à respirer, je ne sais pas si c'était le froid, ou si j'étais essouflée parce que nous avions courru. Nous ne faisions que descendre et descendre encore, toujours plus profond. Finalement les hommes m'ont laissée dans une cellule. Il y avait juste une petite lumière c'était terrible. J'ai bien cru qu'ils allaient me laisser mourir de froid. Mais quelques minutes plus tard, peut-être dix minutes, ils se sont enfin décidé à me lancer une combinaison pour m'habiller. C'était une combinaison d'un seul tenant, qui ressemblait beaucoup à celle que nous avons désormais, plus légère il me semble, mais je n'en suis pas certaine. Je l'ai enfilée rapidement en passant par le col, qui était aussi la seule ouverture, ne sachant pas comment faire autrement. Je me suis sentie un peu mieux, j'avais déjà moins froid, mais ce n'est pas pour autant que je n'étais pas pétrifiée de peur. Je me trouvais dans une petite salle sans fenêtre, à peine éclairée par une toute petite lampe. Les parois étaient métalliques, toutes grises, c'était vraiment triste. Il faisait si froid ! Mais une fois la combinaison enfilée j'allais quand même beaucoup mieux, même si je sentais encore un peu le froid. La pièce était fermée par une grosse grille. J'étais vraiment dans une cellule de prison. J'ai un peu secoué la grille mais il n'y avait rien à faire, elle n'a même pas vascillé. Il n'y avait absolument personne dehors, et je n'entendais pratiquement aucun bruit, juste le souffle léger de la ventilation, et des échos lointains que j'étais incapable d'identifier, des sortes de bruits sourds, comme un peu des machines, ou je ne sais pas. J'ai passé les longues heures qui ont suivi à pleurer en me demandant ce qu'ils allaient bien pouvoir faire de moi. Je m'étais callée, prostrée dans un coin. Je ne savais vraiment pas qu'espérer, je me pensais séparée de vous pour de bon. Je crois que je ne n'ai jamais eu autant peur, que je n'ai jamais été aussi désespérée.

Je suis restée toute seule pendant plusieurs heures, c'était interminable. Enfin j'ai entendu des hommes venir, je ne savais pas trop si être rassurée ou pas, mais au moins j'allais peut-être être fixée sur mon sort. Ils ramenaient Erik. Je ne savais pas trop alors si j'étais contente de le revoir vraiment, c'était surtout toi que j'attendais. Mais bon j'étais quand même bien rassurée de ne plus être toute seule. Même si depuis le début je ne lui avais jamais vraiment fait confiance, l'imaginant plus comme un bandit sans scrupule qu'autre chose. Je ne comprenais vraiment pas pourquoi tu étais resté avec lui. Il était tout nu lui aussi et comme pour moi il lui ont lancé une combinaison quelques minutes plus tard. Mais avant de l'enfiler il est resté un moment à s'observer. Je n'osais pas trop regarder, mais voyant qu'il ne s'habillait pas je lui ai finalement demandé pourquoi il ne s'habillait pas. Et en fait il était déboussolé de s'apercevoir que toutes ses blessures étaient cicatrisées. Et j'ai réalisé que c'était vrai pour moi aussi, la coupure au bras que l'homme m'avait faite dans le car, à cause de toi d'ailleurs, se remarquait à peine, parfaitement soignée. Mais c'était encore plus spectaculaire chez Erik, sa jambe qui était encore complètement ensanglantée par la blessure par balle, quand les hommes sont arrivés chez Martin et nous avaient emmenés, et son épaule aussi, étaient complètement guéries, comme si des mois s'étaient écoulés. Il ne restait que des petites marques et il ne ressentait plus aucune douleur. C'est à ce moment que nous nous sommes demandés si ces tubes n'étaient pas une sorte de méthode de soins accélérés. Mais ça voulait dire que nous y étions resté plusieurs jours, plusieurs semaines peut-être, ou plus encore !

Je dois quand même bien avouer que je me sentais un peu mieux de ne plus être seule. Mais je m'inquiétais énormément pour toi. Nous ne savions toujours pas si tu étais encore vivant ou pas ! Tu avais quand même reçu un coup d'épée dans le ventre, et déjà dans le fourgon j'avais eu peur que ça ne te tuât. Mais nous avons eu la réponse quelques heures plus tard quand enfin tu nous as rejoins à ton tour. "

J'interromps l'histoire de Naoma.

- Moi ? Mais... Je ne me souviens de rien, ce n'était pas dans les mêmes tubes où je me suis réveillé tout à l'heure ?

Naoma sourit.

- Non pas du tout, mais ne sois pas si impatient. Je crois que nous ne comprenons pas tout nous-mêmes, mais il faut que je te raconte toute l'histoire si tu veux espérer saisir quelque chose.

J'accepte de ne plus l'interrompre, alors que nous suivons Erik dans l'exploration de la forêt aux alentours des bâtiments. Naoma reprend son histoire :

" Tu étais tout nu, toi aussi, ce qui n'avait plus rien de vraiment étonnant pour nous. Mais je n'ai pas eu la patience d'attendre qu'ils te fassent parvenir une combinaison pour te serrer dans mes bras. J'étais si contente de te revoir en vie. Et comme Erik tu es resté perplexe en regardant ton ventre, étonné de n'y voir qu'une légère marque. J'avoue que ton air bêta m'a fait sourire, et je n'ai pas pu m'empêcher de te prendre encore dans mes bras pendant de nombreuses secondes. Erik t'as expliqué que lui aussi était guéri de ses blessures. Tu nous as posé une foule de questions mais malheureusement nous n'en savions pas beaucoups plus que toi. J'étais vraiment rassurée de nous voir à nouveau réunis, même si rien ne nous expliquait encore où nous étions et surtout ce qu'il se passait. Mais je crois bien que d'être avec toi était tout ce qui m'importait, je te faisais confiance pour le reste.

Quand vous avez, à chacun votre tour, bien regardé que ce que je disais sur la grille était vrai, parce que bien sûr ni l'un ni l'autre vous ne m'aviez cru, et qu'il était impossible de trouver un moyen de l'ouvrir, nous avons tenté de réfléchir un peu plus à la situation. Une de tes premières suppositions a été de faire référence à Matrix, le film. Le plus fou c'est que tu avais vraiment l'air sérieux quand tu racontais que nous nous étions réveillés de notre monde antérieur qui n'était en réalité qu'un rêve, et que c'était le vrai monde dans lequel nous nous trouvions à présent. Mais Erik a été plus terre-à-terre et il t'a rappelé qu'il se souvenait que les hommes nous avaient transportés dans des tubes après de longs couloirs et escaliers, et qu'ils venaient de nous déplacer de nouveau de tubes identiques à travers d'autres couloirs, laissant supposer que nous étions toujours dans la banlieue de Sydney, là même où ils nous avaient conduits avec le fourgon. D'après lui ces couchettes ne devaient être qu'un moyen pour nous soigner. Mais tu nous as fait remarqué que cette hypothèse n'expliquait pas vraiment tout :

- C'est sûrement le plus proche de la réalité, mais combien de temps sommes-nous restés à l'intérieur ? Pour que nos blessures disparaissent, même en considérant que cette technique permette une accélération des activités biologiques du corps humains, il faudrait plusieurs semaines pour qu'il ne reste que des marques si insignifiantes de nos blessures. J'étais quand même presque mort. Je n'ai pas fait attention, mais vous n'auriez pas vu une horloge ou un truc du genre entre la salle des tubes et ici ?

Je t'ai avoué tout comme Erik que j'étais bien trop préoccupée pour penser à ce genre de détails. Tu a poursuivi :

- Si ces hommes voulaient faire quelque chose de nous, je ne pense pas qu'ils auraient eu la patience de nous laisser croupir pendant des semaines dans ces tubes. Sauf s'ils voulaient juste nous empêcher de nuire, enfin m'empêcher de nuire, parce que je ne pense pas que vous ayez quoi que ce soit à voir dans cette histoire.

Erik a continué le raisonnement :

- Et même s'ils voulaient juste t'éloigner pourquoi te soigner ? Pourquoi ne pas t'avoir simplement laissé mourir de tes blessures ?

- Oui tu as raison. Ils veulent forcément quelque chose de nous, ou de moi. Ça tendrait donc à soutenir que nous ne sommes pas restés trop longtemps dans ces tubes. Mais nous n'avons absolument aucun élément qui nous permette de déterminer ni l'heure ni la date. Il ne fait pas très chaud, mais même en plein été étant à plusieurs dizaines ou centaines de mètres sous terre il est impossible de faire la différence entre l'été et l'hiver.

Pour être francs nous n'avions Erik et moi pas beaucoup plus d'idées. Tu as jeté à nouveau un coup d'oeil à la fermeture de la grille, mais elle était solidement maintenue par une sorte de serrure électronique, un gros boitier avec des lumières. Même en nous y mettant tous les trois nous n'avions aucun espoir de la faire bouger. Il ne nous restait guère plus qu'à attendre. J'ai même commencé à douter un peu de toi, avec toutes ces histoires :

- Mais que te veulent ces hommes ? Qui es-tu pour eux ? Qu'est-ce que tu as fait ? Ou à eux, qu'est ce que tu leur as fait ? Est-ce que tu m'as vraiment tout raconté ?

- Je ne crois pas avoir oublié de choses importantes. Pourquoi ? Tu penses que je te cache des choses ? C'est vrai que je suis profondément désolé de vous avoir entraînés dans ces histoires, même si je suis bien content de ne pas me retrouver seul ici.

Erik a tenté de nous remonter un peu le moral.

- De toute façon ma vie était merdique, alors...

J'ai repris un peu confiance en toi :

- Je ne sais pas trop Frank, enfin Ylraw... Il faut que je m'habitue à t'appeler comme ça ! Mais tu comprends je suis un peu perdue... Et puis tu m'as déjà menti, justement, sur ton nom, sur ton histoire.

- Oui c'est vrai. Mais je ne t'ai menti presque que sur mon nom. C'est juste que j'ai gardé mon histoire pour moi au début. Je n'aurais peut-être pas dû aller chez toi ce jour-là, finalement, tu serais peut-être tranquille avec Martin à l'heure qu'il est...

J'ai eu des remordet l'impression de t'avoir blessé. Je me suis approchée et je t'ai dans mes bras :

- Non ne dis pas ça. Je suis désolée si j'ai douté. Je suis contente que tu m'aies raconté ton histoire. Et puis qu'aurais-tu pu faire de plus ? Comment prévoir ? C'est peut-être une chance pour nous, après tout. Peut-être allons-nous sauver la planète d'un dangereux complot !

Tu m'as décoché un sourire.

Erik est resté plus pragmatique, comme d'habitude :

- Complot ou pas, en attendant c'est mes fesses que je voudrais sauver.

Nous avons passé un peu de temps à regarder plus en détail la salle dans laquelle nous étions, mais à part des petits trous dans le plafond, sûrement l'aération d'après Erik, il n'y avait pas grand chose. Mais en fait nous n'avons pas vraiment eu le temps de nous impatienter, quelques minutes plus tard des voix se sont faites entendre dans le couloir, et rapidement plusieurs hommes sont apparus à la grille. Ils l'ont ouverte et sont entrés dans la pièce, bien en rangs. Ils n'avaient vraiment pas l'air gentils et vu leur nombre je ne pense pas qu'aucun de nous n'a eu l'envie de tenter quelque chose, je me suis serrée contre toi, je t'ai pris par le bras.

Ils sont restés immobiles pendant un petit moment, puis ils se sont écartés, pour laisser la place à un homme, enfin... Je ne sais pas trop ce que c'était, il avait l'apparence d'un homme en tous cas.

Samedi 29 janvier 2005 jour 648

Une exception, je m'accorde une exception en rajoutant ce paragraphe alors que je me relis, en bafouant l'ordre chronologique.

Jour 648, 29 janvier 2005. Je ne me rappelle de rien et c'était Naoma qui racontait, mais je sais que c'était lui, lui que je voyais pour la première fois. Il est entré, majestueux sûrement, si grand, légèrement bleuté, ne conservant que la perfection du corps humain, sans défaut, sans d'autres courbes que de lisses et douces lignes, et prenant plaisir à provoquer les pauvres hommes de leur laideur. Il m'a parlé sans doute, comme il le fera encore plus tard. Il s'est adressé à moi, rien qu'à moi, dans mon esprit. Ni Naoma ni Erik ne pourront me dire ce qu'il m'a confié. J'avoue que je serais curieux de savoir ce que tu m'as dit, alors...

Fin de l'exception

Jour 131

Naoma continue son histoire :

" Il était très grand, plus grand qu'Erik, plus grand que tous les autres, il devait mesurer largement plus de deux mètres. Il n'avait pas vraiment de visage, comme s'il portait un masque. Son corps entier était bleu, tout lisse. Il n'avait pas de sexe, pas d'yeux, pas d'oreilles, pas de poils. Je ne sais pas trop en fait s'il portait une combinaison, ou une armure... Mais je ne pense pas, c'était trop, je sais pas, trop unis pour être un habit ? À vrai dire c'est un peu comme si toutes les parties habituellement peu harmonieuses du corps humain étaient remplacées par des courbes douces et parfaites. De plus, mais je ne sais pas trop comment te décrire, il y avait comme une lumière, comme un rayonnement, une sorte d'aura bleutée qui l'enveloppait, ou qui se dégageait de lui. Quand il est arrivé les hommes ont mis un genou à terre. Je sentais de la force qui émanait de lui, et je crois que l'espace d'un instant je pensai être devant Dieu... Je suis tombée à genoux, sans le vouloir, toi tu es resté debout. Je... Je ne sais pas trop ce que je croyais, peut-être que je voulais me faire pardonner, comme si nous étions morts et dans l'attente du jugement... J'ai pensé à tellement de chose en si peu de temps...

Personne n'a dit un mot, peut-être cinq minutes, peut-être plus, puis soudain le silence s'est brisé. Il est brisé par un cri, un hurlement même. J'étais quasi hypnotisée et il m'a fallu quelques instants avant de revenir à la réalité, avant de comprendre que c'était toi, c'était toi qui criais, hurlais même. Tu est tombé à genoux puis sur le côté au sol. Tu te tenais la tête entre les mains, tu semblais souffrir affreusement. J'ai voulu m'approcher de toi mais je ne pouvais pas, j'étais paralysée. Je ne suis parvenue que difficilement à tourner la tête pour te voir agoniser... C'était terrible... Terrible... "

Naoma s'arrête de raconter. Depuis qu'elle a commencé ce passage de grosses larmes coulent sur ses joues. Je tente de la réconforter, même si j'ai beaucoup de mal à comprendre pourquoi je ne me rappelle de rien. Je la prends dans mes bras.

- Allons, c'est pas grave, je suis là non ? Tout s'est bien terminé finalement.

- Oui, enfin pas tout à fait comme tu le penses. Mais il ne faut pas trop t'inquiéter si je pleure. Dès que j'ai une émotion ou me rappelle un moment fort, je ne peux rien contre, je fonds en larmes.

- Je crois que j'ai trouvé des fruits !

Erik, qui était un peu en avant, moins intéressé par l'histoire de Naoma, nous interpelle près d'une sorte de grand buisson, un arbuste, recouvert d'un type de fruit jaune orangé, de forme ovoïde, de la taille d'une petite pomme. Je prends un fruit dans ma main :

- C'est comme une sorte de mangue, mais en plus petit.

- C'est vrai, mais quant à savoir s'ils sont comestibles ?

Naoma est toujours un peu prudente.

Erik est plus pragmatique :

- Il faudra bien que l'on se débrouille pour manger, de toute façon... Je goûte.

Il essuie son fruit sur sa combinaison et mord à pleines dents à l'intérieur.

- Hum, c'est plutôt bon, c'est vachement sucré.

- Tu devrais faire attention, tu ne devrais en manger qu'un petit bout et attendre pour voir si ça ne te fait pas mal...

- Naoma a raison, Erik.

Erik acquiesce et ne termine pas, à regret, son fruit. Il le jette alors au loin, en direction d'un fourré. Bien mal lui en a pris, car en bondit alors un fauve, une sorte de léopard. Nous paniquons, je crie à Naoma :

- Attention, il nous fonce dessus, Naoma, cours !

Naoma part en courant en direction des bâtiments, mais nous avons marché une bonne vingtaine de minutes, et la clairière n'est pas toute proche. Le léopard se lance à la poursuite d'Erik qui se fait rapidement rattraper, mais il a au passage réussi à casser une branche morte et le léopard se voit asséner un violent coup au moment où il saute sur Erik. Il se retrouve propulsé au sol où il roule habilement pour se remettre en position d'attaque. Malheureusement pour Erik sa branche s'est brisée au moment du choc et il ne lui reste plus qu'un court bâton avec lequel il tente désespérément de tenir en respect le léopard qui tourne autour de lui, s'apprêtant à lui sauter dessus. Je fais de mon mieux pour ramasser une grosse pierre enfouie sous la mousse que je lance de toutes mes forces sur le léopard. Il est sévèrement touché au garrot, tombe mais se redresse aussitôt et se prépare à se lancer vers moi. Erik, qui s'est trouvé une nouvelle branche, prends son élan et le frappe de toutes ses forces sur la tête. Sa branche est sans doute beaucoup plus solide que la précédente mais le léopard n'en est pas assommé pour autant, il recule simplement de rage en boitant légèrement du côté où je l'ai blessé. Je trouve alors moi aussi un solide morceau de bois. Le léopard observe tête baissée, en crachant de rage vers Erik et moi. Notre dernier assaut simultané est vain, il ne demande pas son reste et se retourne pour bondir dans les profondeurs de la forêt.

Erik et moi retournons en courant en direction des bâtiments, en espérant que Naoma est saine et sauve et n'aura pas fait de mauvaises rencontres. Nous la retrouvons en chemin, alors qu'elle revient avec une barre de métal qu'elle a trouvée là-bas dans l'espoir de nous venir en aide.

- Vous allez bien, que s'est-il passé ? J'ai trouvé cette barre, mais vous avez réussi à le tuer ? Vous n'êtes pas blessés ?

Erik lui détaille la situation :

- Non, nous avons réussi à le faire fuir sans qu'il ne nous fasse de mal. Mais nous allons devoir être beaucoup plus prudents à l'avenir. Ce n'est pas pour arranger nos affaires si en plus d'être perdus et sans rien à manger nous devons nous prémunir de bêtes sauvages

Cette simple évocation me rappelle que mon ventre me tiraille.

- C'est vrai que je commence à avoir faim. Dommage qu'on ne l'ait pas assommé, on aurait pu faire un petit méchoui de léopard.

Naoma protectrice des animaux dans les situations extrêmes :

- Le pauvre, il était joli quand même. On aurait dit un gros chaton.

La remarque de Naoma me semble un peu déplacée :

- Le pauvre ? Je te rappelle qu'il a bien failli nous bouffer ton chaton.

- Oui c'est vrai, tu as raison... Et que fait-on maintenant ?

- En attendant, retournons aux bâtiments pour les fouiller un peu plus, peut-être trouverons-nous des armes ou au moins de quoi nous protéger.

- Tu as raison, Franck. Tu crois que c'est le fruit qu'a lancé Erik qui l'a réveillé ? Ou alors nous observait-il depuis un moment ?

- Je pense qu'il nous observait, mais ça n'a pas beaucoup d'importance.

Erik n'est pas très enchanté par notre plan :

- J'aimerais bien continuer à faire le tour des environs. Je n'ai pas envie de moisir ici pour le reste de mes jours, et je suis pas spécialement du type boy-scout. Retournez aux bâtiments si vous voulez, je vais prendre la barre de Naoma et continuer mon inspection.

Je n'apprécie guère la proposition d'Erik :

- Je ne pense pas que ce soit super prudent qu'on se sépare, tu ne veux pas que nous allions juste au moins chercher chacun une barre comme Naoma, histoire d'être un peu plus protégés ? En plus nous pourrions essayer de trouver un sac ou un panier pour ramasser des fruits et d'autres trucs qu'on pourrait manger. Il y avait d'autres barres comme la tienne, Naoma, si je me rappelle bien, non ?

- Oui oui, il y en avait plusieurs, je n'en ai pris qu'une car je voulais faire vite.

Erik se laisse convaincre de nous accompagner. Naoma a trouvé les barres dans la salle sous le deuxième dôme, là où se trouve la grande table et la baie vitrée. Ces locaux pourraient bien être une sorte de poste d'étude ou d'observation des animaux et de la forêt. Les cages devaient servir à enfermer des petits animaux pour les étudier. Elles peuvent être transportées car elles sont munies d'une poignée. Nous en prenons une chacun Naoma et moi, en plus d'une barre en métal. Je me demande à quoi elles pouvaient être utiles :

- Peut-être que ces barres servent bien à se protéger des animaux, par exemple en lançant de petites décharges électriques, toutefois il ne semble y avoir aucun bouton ni mécanisme dans ce but.

- Oui c'est vrai qu'elles sont étranges, elles ont l'air très solides mais en même temps elles sont si légères. Elles sont faites de quoi à votre avis, d'aluminium ?

- C'est peut-être un alliage spécial, mais je dirais plutôt du titane en ce qui me concerne, c'est un métal plus léger et plus solide que l'acier, et la couleur ressemble.

- Tu connais la couleur du titane ?

Erik nous coupe :

- On s'en moque un peu de savoir en quoi sont ces barres, ne traînons pas, je ne sais pas quelle heure il est mais nous ne sommes pas spécialement dans de beaux draps, et si ça se trouve de nouveaux copains sont à notre recherche et peuvent nous tomber dessus d'une minute à l'autre.

Cette réflexion d'Erik me fait froid dans le dos. Certes je ne me considère pas comme sorti d'affaire, mais depuis ce matin tout est tellement étrange. Le fait que je m'évanouisse presque mort avec une entaille dans le ventre, et que je me réveille, à deux doigts de ce que je considère comme le jardin d'Eden... J'ai du mal à imaginer le lien, à faire la connexion, un peu comme si tout n'était, depuis le début, qu'un immense rêve... À vrai dire je pense que j'attends beaucoup du récit de Naoma. Il me manque tellement d'éléments que je n'essaye même pas de vraiment comprendre ce qu'il se passe. Mais Erik a raison, le monde ne s'est pas arrêté de tourner, et si je ne sais pas comment j'ai atterri ici, rien n'empêche pour autant mes poursuivants d'être sans doute toujours à mes trousses.

- Je suis d'accord avec toi, Erik, mais je suis encore un peu perdu, peut-être que j'y verrai un peu plus clair quand Naoma aura fini de me raconter ce qu'il s'est passé avant que nous n'arrivions ici. Repartons dans la forêt, nous devons trouver comment partir d'ici, tu as raison. Pendant ce temps Naoma tu peux continuer à raconter ?

- Oui si tu veux.

Nous repartons, avec nos barres et nos cages, en direction de la forêt, et Naoma reprend son récit :

" Je ne saurais dire pendant combien de temps tu as crié, plusieurs dizaines de secondes, et puis plus rien. Tu ne faisais plus un bruit, ne disais plus un mot, tu es resté allongé au sol. Tu tremblais un peu, comme après une décharge électrique. L'être bleu est resté encore un instant, tu as eu un soubresaut, puis il a fait demi-tour et il est reparti. Je suis parvenue enfin à me lever. Je me suis précipitée vers toi, mais... Je ne sais pas vraiment comment expliquer, ce que t'avait fait cette chose... Quelques minutes se sont écoulées et puis tes tremblements ont passé. Erik a profité que le groupe d'hommes était en train de sortir, hypnotisé par la présence de l'être, pour tenter une évasion. Il s'est précipité vers le dernier d'entre eux et l'a pris en étranglement. Celui-ci a été surpris mais il a réussit à l'empêcher de crier. Ensuite Erik est parvenu rapidement à quitter la cellule. Aussitôt dehors, il a lâcher l'homme et il a pris la fuite en courant. J'ai entendu ses pas dans le couloir. Je suis resté là, j'étais perdue, toi, qui semblait sans vie, Erik qui s'échappait tout seul, et moi, toute seule, démunie... Il y a eu une grande agitation chez les hommes, certains sont partis à la poursuite d'Erik, d'autres ont gardé la cellule. Ils parlaient tous entre eux, une langue que je ne comprenais pas, une sorte d'arabe ou plutôt la sorte d'hébreu dont tu m'avais parlé, la même langue que parlaient tous les hommes que tu avais rencontrés au long de tes aventures...

Je suis restée seule avec toi. Tu n'étais pas mort, mais tu ne bougeais plus. Je me suis mise à pleurer de nouveau, toujours désespérée que rien ne te faisait réagir. Pourtant tu respirais, tu clignais des yeux... Je ne savais vraiment pas quoi faire, je me suis levée, je t'ai tournée autour, j'en ai même été jusqu'à te secouer violemment, en te criant de me parler, de me dire ne serait-ce qu'un mot... Mais rien... J'avais tellement peur qu'il ne t'eût détruit le cerveau, volé ton esprit ou une atrocité similaire... Je suis restée sans doute une vingtaine de minutes, recroquevillée sur toi, à pleurer en répétant ton nom, te suppliant de me répondre...

Erik est finalement revenu au bout de quelques temps, vingt minutes peut-être. Il s'est fait ramené par plusieurs hommes, qui le tenaient solidement les bras bloqués dans le dos. Ils l'ont poussé comme un malpropre dans la cellule et ils ont refermé la grille en lui envoyant des regards. Il est rentré sans dire mot et je lui ai moi aussi lancé des regards noirs de colère de nous avoir abandonnés. Il est allé s'asseoir contre une paroi sans même venir te voir. Au bout de quelques instants il a quand même demandé après toi :

- Qu'est-ce qu'il a ?

Je n'avais pas vraiment envie de lui parler :

- Qu'est-ce que ça peut te faire ?

Je crois que ma remarque ne lui a pas plu :

- Qu'est-ce qu'il y a ? Tu m'en veux parce que j'ai tenté de m'évader, tu crois que c'est mieux de rester là à pleurnicher ?

Cette réflexion m'a mise hors de moi, j'ai hurlé en pleurant :

- Je t'en veux parce que tu nous as laissés sans même t'en préoccuper ! Tu n'en as rien à faire de nous, tout ce qui t'intéresse c'est sauver ta peau !

- Oh calme-toi petite ! Depuis quand on est potes toi et moi ? Ylraw m'a sauvé la vie et j'ai une dette envers lui, OK. Mais ce n'est pas parce qu'il est mal en point que je n'ai pas le droit de tenter quelque chose. C'est bien aussi ce qu'il avait fait à l'aéroport, non ? Et c'est pas pour autant que je vous aurais laissés tomber, même si je ne vois pas trop à quoi tu nous sers.

Je n'ai même pas eu la force de lui répondre, tellement il me dégoûtait. Et je crois qu'il m'a fait un peu peur, et j'ai préféré l'ignorer. Oh mon Dieu j'aurais tant aimé pouvoir te réveiller et partir rien qu'avec toi... Mais tu n'avais pas bougé depuis que cette chose t'avais jeté son sort ou son maléfice. Après quelques temps Erik s'en est aussi inquiété.

- Il a parlé depuis ?

- Non.

- Tu as essayé de le bouger ?

Erik s'est approché et s'est agenouillé près de toi pour prendre ton pouls et tenter de te faire réagir, mais rien, bien sûr. Il t'a ensuite tourné pour t'allonger sur le dos. Je n'étais pas très confiante dans ce qu'il faisait, c'était plus une persone qui devait tuer les gens plutôt que les soigner.

- Il ne faut peut-être pas le bouger.

- Et tu veux qu'on le laisse crever dans cette position ? Et arrête de chialer bordel !

Sa remarque n'a fait que provoquer le redoublement de mes larmoiements. J'en avais trop marre, je me suis levée en m'éloignant un peu, au cas où il s'énerve, pour lui crier dessus.

- Je pleure si j'ai envie ! OK ! Je pleure pour un rien, c'est comme ça ! Alors m'embête pas avec ça !

Il m'a regardé d'un air curieux, puis s'est retourné vers toi, me prenant sans doute pour une folle ou une hystérique

- C'est bon, c'est bon, fais pas un cake, pleure si tu veux... Il a vraiment l'air dans un sale état, il ne réagit plus à rien. Merde, putain, mais qu'est-ce que lui a fait ce machin ?...

Je me suis un peu calmée et je me suis rapprochée :

- Il avait raconté que lorsqu'il était prisonnier au Pentagone puis à Sydney il avait ressenti une douleur terrible au cerveau, et que c'est grâce à sa pierre qu'il s'en était sorti. C'est peut-être la même chose ?

- J'ai pas vraiment cru à ces histoires, mais finalement, c'était peut-être vrai... Aide moi, nous allons l'appuyer contre le mur, peut-être n'est-ce juste qu'un état comateux qui va passer.

J'ai aidé Erik à te tirer et t'appuyer dos à la paroi. Ensuite je t'ai parlé, mais tu avais toujours le même regard vide. Je ne sais pas du tout combien de temps nous sommes restés à te parler. Nous n'avions vraiment aucune idée de l'heure. Nous étions toujours dans la même faible pénombre transpercée seulement par une petite lumière au plafond. C'était un peu comme si le temps s'était arrêté.

Il a dû s'écouler plusieurs heures. Plusieurs heures où je suis restée près de toi, mais rien. Tu n'as même pas bougé, et seule ta respiration me rappellait que tu étais encore en vie. J'ai fini par m'endormir quelques heures sur tes jambes, rêvant que tout ceci n'était qu'un cauchemar et que je me réveillerais le matin dans tes bras, comme si ce n'avait été que la fin de la seule nuit que nous avions passée ensemble, et que toutes ces histoires n'avaient été que le fruit de mon imagination suite au récit de tes aventures...

Mais bien sûr que non ! Ça aurait été trop beau ! Quand je me suis réveillée tu n'avais toujours pas bougé ; Erik dormait profondément dans un coin, et on n'entendait juste le ronronnement d'une machine, sûrement le système de ventilation. Je t'ai murmuré doucement à l'oreille, en laissant glisser des larmes sur ma joue. Je t'ai pris le bras pour le lever, mais il est retombé sans susciter la moindre étincelle d'espoir. J'ai pleuré encore et encore, mais je crois que j'étais vraiment triste, ce n'était pas juste des larmes d'émotion. J'étais tellement perdue. Qu'allais-je bien pouvoir faire ? Qu'allions-nous devenir ? Maintenant qu'ils t'avaient fait tout ce mal, allaient-ils nous laisser mourir de faim ? J'étais vraiment désespérée.

Je n'ai pas réussi à me rendormir, j'avais trop peur, j'étais trop triste... J'ai attendu, presque résolue à me laisser mourir, pour que tout ça finisse...

Mais en fait nous n'étions pas vraiment abandonnés, et le matin des hommes nous ont apporté à manger. Ils ont glissé au travers de la grille des sortes de galettes. Erik a été moins méfiant que moi et je pense qu'il avait très faim, tout comme moi. Il en a mangées avidement plusieurs d'affilée. J'avais très faim aussi, et si j'ai mordu timidement dedans au début, rapidement j'ai imité Erik. Elles avaient un goût plutôt bon, légèrement salées, assez dures, de couleur jaune orangée. C'était un peu entre une galette et un paim. Elles collaient un peu aux dents mais on pouvait aussi les laisser fondre dans la bouche. Vers la fin on trouvait un petit goût sucré, c'était très bon. Je n'avais jamais mangé de trucs pareils. Les galettes étaient accompagnées de sortes de "pains" d'eau. C'était très marrant c'était comme des petits pains un peu mous, un peu flasques, un peu transparents, et quand on mordait dedans ils fondaient dans la bouche. Mais ils n'avaient pas vraiment de goût, c'était vraiment comme de l'eau. Le fait de boire me rappela qu'il n'y avait pas de toilettes dans la cellule, et que ce n'était pas génial si nous devions faire nos besoins dans un coin. J'ai demandé à Erik :

- Tu sais comment faire si on a envie de faire pipi ?

- Non, je ne sais pas comment faire, il faut peut-être leur demander.

- Mais s'ils ne parlent pas anglais comment est-ce qu'on peut faire ?

- Et bien je ne sais pas, on peut leur mimer, ils devraient comprendre.

Je me suis rendu compte que ces préoccupations étaient bien futiles par rapport à ton état. Je me suis retournée vers toi, tu n'avais toujours pas bougé, tu étais encore appuyé au mur. Et j'ai eu de la peine rien que de savoir que j'avais mangé sans même penser à toi. Je t'ai apporté un bout de galette, mais bien sûr tu n'as pas plus réagi. J'en ai coupé un petit morceau et te l'ai mis dans la bouche, mais rien. J'ai fondu en larme en te voyant ainsi, je me suis retournée vers Erik, en espérant sans doute qu'il puisse faire quelque chose de plus que moi, qu'il puisse te ramener, qu'il puisse te sauver...

Mais deux hommes sont passés dans le couloir, ils avaient sans doute fini la tournée des cellules pour distribuer la nourriture. Erik les a interpellés. Il a tenté de leur demander pour les toilettes ; il a parler en disant quelques mots en différentes langues ; je lui ai soufflé comment on dit toilettes en français, je croyais m'en rappeler, mais les hommes n'ont pas compris. Finalement Erik se décida à miner l'action de faire pipi et je crois qu'ils ont saisi. Ils se sont éloignés,et nous avons pensé avec Erik qu'ils étaient allés sans doute chercher la clé de la cellule. Mais un seul homme est revenu et il a tendu à travers la grille une combinaison à Erik. Erik l'a récupérée par réflexe mais l'homme ne l'a pas lâchée, et par ses signes nous avons compris qu'il demandait à Erik de se changer et de lui donner la combinaison qu'il portait en échange de la nouvelle. Nous nous sommes demandés si en fait ils n'avaient pas compris notre demande, ou s'il nous était nécessaire de revêtir une combinaison spéciale pour sortir, mais la nouvelle ressemblait comme deux gouttes d'eau à l'ancienne. Finalement Erik s'est changé et il a donné son ancienne combinaison en échange de la nouvelle, mais l'homme est reparti tout de suite. Erik l'a rappelé, mais celui-ci n'a répondu qu'en nous lançant ce qui devait être un juron, il était sûrement énervé de nos manières, puis il a disparu.

- Tu crois qu'il n'a pas compris, pourtant j'ai été assez clair, comment auraient-ils pu comprendre que je voulais une nouvelle combi ?

- Peut-être que ces combis ont des sortes de couches-culottes intégrées ? Et quand tu lui as dit, il a compris que la tienne était utilisée et devait être changée ?

- Ah c'est pas bête ! C'est peut-être bien ça. C'est vrai qu'elles ont l'air assez épaisses, quand même.

Avant d'enfiler sa combinaison, Erik a jeté un coup d'oeil à l'intérieur. Il était recouvert de micro-alvéoles un peu gluante qui auraient très bien pu recueillir la transpiration ou le reste. Pour s'en convaincre, Erik a retourné le col et il a craché dessus. Je me suis levée pour venir voir, et effectivement le tissus avait l'air comme vivant, et la bave a été aspirée par la combinaison. Il me semble qu'il y avait une oeuvre de science-fiction qui exposait ce concept :

- Ça me rappelle un film où ils avaient aussi des combinaisons qui recyclaient la transpiration, c'est peut-être pareil.

- C'était un livre, non ?

- Je sais plus, peut-être.

- Enfin peu importe, toujours est-il que si on n'essaie pas on ne saura pas...

Erik a alors enfilé la combinaison. Et quelques secondes plus tard la preuve semblait concluante, il était toujours au sec. J'étais un peu plus réticente mais rien que le fait d'y penser j'avais une envie terrible de faire pipi. J'ai essayé de faire juste un tout petit peu, mais je n'ai pas pu me retenir et j'en suis même allée jusqu'à pousser un soupir de soulagement, ce qui a fait sourire Erik, bien sûr. Et c'est vrai que la combinaison semblait tout absorber.

- Mais, Erik, à ton avis comment fait-on pour savoir quand elle est pleine ? Tu crois qu'elle absorbe vraiment tout ?

- Je ne sais pas, peut-être y a-t-il un voyant, ou une marque qui apparaît ? Et je pense que cela absorbe tout, oui.

- Comment tu peux en être aussi sûr ?

- Parce que...

J'ai compris par son sous-entendu qu'Érik était plus téméraire que moi.

- Ah... Et, euh, tu crois que ça permet aussi de ne pas avoir à se laver ? Ou qu'ils vont nous emmener aux douches à un moment ?

- J'en sais rien ! Comment veux-tu que je le sache, je n'en sais pas plus que toi !

Je me rendis bien compte que je l'énervais avec mes questions, et qu'il se serait bien passé de moi. Je me suis excusée et je suis retournée près de toi. J'ai essayé de nouveau de te faire manger un peu de la galette, mais tu étais toujours amorphe. "

- Bon à propos de manger, on peut les manger ces fruits alors ?

Je coupe Naoma alors que nous nous retrouvons à côté de l'arbuste où nous avions trouvé les fruits, juste avant que le léopard ne nous attaque. Erik mord déjà dans l'un d'eux :

- Vous faites comme vous voulez, mais moi cette fois-ci je le mange en entier.

Naoma se rappelle notre malheureuse première tentative :

- Ça vaut mieux de toute façon, si tu le lances ça risquerait de réveiller une autre bête.

- Bof ce ne serait pas pour me déplaire de faire un petit barbecue !

- Toi Franck ça va bien, je croyais que tu ne mangeais que du soja.

- Je varie mes apports protidiques, c'est très différent, et ça fait très longtemps que je n'ai pas mangé de léopard grillé, donc pas de problème !

- Ha ! T'es bête !

Naoma me file une tape, puis nous recopions Erik en mangeant chacun deux ou trois fruits. C'est vrai qu'ils sont fameux. Mais quelques fruits ne nous nourriront toutefois pas suffisamment, et nous serons bien obligés, si nous devons rester ici longtemps, de piéger quelques animaux. Toutefois si je me rappelle bien ce que disait Pixel, la société du temps où l'homme vivait de cueillette et de chasse était celle où les gens travaillaient le moins. En effet quelques heures par jour, pas plus de trois ou quatre, suffisant à assouvir leurs besoins alimentaires, ils pouvaient consacrer le reste de leur temps à se reposer et s'amuser. Je me demande quand même si j'arriverai à subsister sans ne plus jamais aller sur Google News ou linuxfr.org ? Il s'est déjà sans doute passé une éternité depuis mon départ de France, et je serai vraisemblablement à mon retour incapable de comprendre quoi que ce soit suite aux révolutions quotidiennes du monde linux... En attendant ce moment, finalement pas tellement redouté s'il marque mon retour au pays, où je serai bon à aller dans un musée, je donne un coup de main à Naoma et Erik pour remplir un des paniers avec des fruits. Nous reprenons notre exploration. En ce qui concerne les animaux, il semble y en avoir beaucoup même si ceux-ci sont apeurés par notre présence. De nombreux et bruyants oiseaux occupent également la coiffe de la forêt, mais la hauteur des arbres est quelque peu rebutante à tout espoir de vouloir y grimper. Les barres de fer nous permettent de progresser plus rapidement en écartant les plantes et lianes qui barrent le passage, même si Erik, qui ouvre la voie, répète à plusieurs reprises qu'il donnerait cher pour avoir une machette. Nous n'avons pas trop d'inquiétudes de nous perdre, la forêt est tellement dense que notre piste pourrait être suivie les yeux fermés.

Nous progressons encore un peu, plus dans l'espoir de trouver quelque chose à manger que d'une issue ; ces quelques fruits nous ont ouvert l'appétit. La forêt semble interminable et il est impossible de savoir quelle direction permettrait de trouver autre chose que des arbres encore des arbres et toujours des arbres. Quand je pense que certains se lamentent de la disparition des forêts tropicales, il est évident qu'il n'ont jamais été perdus au beau milieu !

Mais notre progression est vite stoppée par une pluie soudaine et intense. Et si la cime des arbres nous évite la douche froide, nous décidons rapidement de remettre à plus tard notre exploration, tant la très forte humidité et la végétation de plus en plus mouillée nous procurent une sensation de chaleur humide étouffante très désagréable. Naoma me montre comment utiliser la combinaison pour créer une capuche ; il suffit pour cet usage d'étirer au niveau du col pour s'en recouvrir la tête, c'est ingénieux et efficace. Elle m'explique que cette capuche à l'avantage supplémentaire de laver les cheveux. Nous trottinons alors avec nos paniers et nos barres jusqu'aux bâtiments. Les combinaisons sont bien imperméables, et nous n'avons somme toute que quelques rafraîchissantes grosses gouttes sur le visage ; la température devant toujours friser les trente degrés, ce qui devrait nous mettre à l'abri d'un rhume, qui reste j'en ai peur le pire de mes cauchemars, ou le second, après le sable...

L'intérieur du bâtiment aurait tout pour être glauque pourtant il y règne une ambiance réconfortante. La douce lumière doit sans doute y contribuer, ou peut-être la vision de la luxuriante forêt. Nous retournons dans un premier temps à l'intérieur de la pièce avec les tubes, la seule comportant de quoi nous asseoir. Nous nous reposons de notre course en mangeant encore un fruit ou deux. Alors qu'Erik entreprend l'exploration méticuleuse de la pièce, Naoma reprend son histoire :

" Donc, nous venions tout juste de découvrir le fonctionnement des combinaisons, et j'étais toujours terriblement inquiete de ne pas parvenir à te faire manger. Tous nos efforts avec Erik pour te faire avaler quelque chose étaient vains, ou presque. Tout ce que nous espérions, c'était que la galette, qui avait la propriété de fondre quand on la gardait dans la bouche, te permette de récupérer un peu d'énergie, mais nous avions peur de t'étouffer si tu n'avalais pas correctement. C'était tellement désespérant que le simple fait de te voir me faisait pleurer. Je me sentais tellement démunie... "

Naoma soupire.

- Je crois que je n'ai pas tellement l'envie ni la force de raconter la suite, Erik le voudra peut-être ?

Je me retourne vers Erik, qui tâte la paroi millimètre par millimètre à la recherche d'une trappe, ou un bouton quelconque. Il prend la suite de l'histoire :

" Naoma péta les plombs. Personnellement je sentais bien ce qui allait se passer, dans l'état dans lequel tu étais, sans manger ni boire, je ne donnais pas cher de ta peau. Je passais le plus clair de mon temps à la regarder, j'avais déjà abandonné l'idée d'ouvrir la grille ; et depuis ma tentative d'évasion, ils ne l'avaient ouverte à aucun moment. Nous ne revîmes personne de ce qui devait être notre deuxième jour en cellule, et j'en déduisis que les galettes et les pains d'eau devaient être notre seule ration quotidienne, suffisante cela dit. Je restais sans grand espoir d'évolution plusieurs heures durant à regarder Naoma sangloter, tenter de voir à travers la grille ou encore d'en comprendre le fonctionnement. Lors de ma fuite, juste après le départ du clown en bleu, j'avais parcouru une bonne centaine de mètres dans les couloirs. Ceux-ci étaient composés exclusivement de cellules, vides pour la plupart, à l'exception d'une ou deux. L'extrémité de la section dans laquelle nous nous trouvions semblait donner sur une zone condamnée. J'avais réussi à enfoncer une première porte mais je m'étais retrouvé dans une pièce sans lumière remplie de caisses, de barres de métal et autres débarras. Tout ce que j'avais remarqué c'était que les deux autres portes de cette salle étaient bloquées avec des barres de métal soudées ou fixées, et une trappe, sans doute d'aération, où un homme pouvait, je pense, se glisser. Mais je n'étais resté que quelques secondes avant l'arrivée de mes poursuivants. Mes yeux s'étaient à peine accoutumés au noir et je n'avais pas pu en découvrir davantage. Je ne savais donc pas encore si nous pouvions aller plus loin ou pas. Bref seul face à une dizaine je n'avais aucune chance, et j'avais préféré la jouer conciliant en rentrant sagement dans la cellule.

Pour en revenir à Naoma son état empira de manière progressive. Elle pleurait sans arrêt, te suppliant de boire ou manger, mais tu restais toujours sans bouger. Je tentai à un moment de l'éloigner un peu de toi, pour lui parler et lui faire comprendre que ce n'était plus vraiment toi, que tu étais déjà parti, mais elle ne voulut rien entendre, rétorquant que bien sûr pour moi c'était déjà la fin, mais qu'elle ne t'abandonnerait pas, qu'elle ne devait pas s'éloigner, et qu'elle devait continuer à tenter de te faire boire et manger. Je la laissais faire, je n'aurais peut-être pas dû.

La nuit fut calme, et au petit matin nous retrouvâmes des galettes et de l'eau comme la veille. Nous t'avions allongé le soir pour la nuit, sans que cela change grand chose, tu restais toujours immobile et le regard dans le vide. Naoma n'avais sûrement pas beaucoup plus dormi cette nuit là aux vu des cernes sous ses yeux. Elle était sans cesse contre toi, te parlant, tentant toujours de te faire avaler un peu de galette. Elle était complètement perdue. Et franchement j'étais perdu moi aussi, et je ne savais pas du tout combien de temps il nous faudrait attendre avant qu'il se passât quelque chose. Son état allait en empirant, tellement qu'à un moment, tentant de nouveau de l'éloigner, j'en devins violent allant jusqu'à la gifler pour lui faire revenir à la raison. Elle se mit alors à sangloter dans mes bras, répétant qu'elle ne voulait pas que tu meures, qu'elle ne voulait pas te laisser là...

Ce matin là tu gardas les yeux fermés, la fatigue t'avais peut-être finalement endormi, à moins que tu n'eus sombré dans le coma. Quand Naoma s'en aperçu son état empira encore. Je vins moi-aussi tenter de te réveiller, mais rien n'y fit. J'avais déjà accepté depuis longtemps que tu finirais de cette façon, que petit à petit les réserves de ton corps s'épuiseraient, et que tu mourrais de faim ou de déshydratation. Mais je crois que Naoma ne pouvait même pas ne serait-ce qu'envisager que ta fin pût être telle, à côté de nous, sans que nous ne pussions rien faire. Ne réussissant pas à te ranimer, elle se leva pour marcher nerveusement de long en large dans la pièce, en réfléchissant tout haut à un moyen de nous sortir de là. Mais les moyens étaient limités, sans aucun outil, avec une grille digne d'un coffre fort, nous n'avions guère de possibilités. Elle finit par s'acharner sur la grille, la tirant, poussant, secouant sans que celle-ci ne vacille. J'intervins alors que les hommes, attirés par ses cris, approchaient. Une fois de plus, blottie dans mes bras, elle passa de longues minutes à sangloter. Elle avait refusé de manger mais je parvins à lui faire avaler doucement une galette, et lui faire accepter qu'il ne fallait pas craquer, qu'il nous fallait rester calmes car sinon nous allions nous aussi finir comme toi.

Elle s'endormit finalement, sans doute épuisée. Je décidais de la conserver dans mes bras, assis contre la paroi. Je n'avais rien d'autre à faire, de toute façon. Mais elle ne dormit que quelques heures, et aussitôt réveillée repris son manège frénétique entre tenter de te réveiller, tenter de te faire manger, tourner en rond dans la pièce et secouer la grille. Je crois qu'elle s'approchait aussi de ma limite de tolérance, commençant significativement à me taper sur le système. Je savais que je devais rester calme et attendre une opportunité, mais l'enfermement et les phrases que répétait sans cesse Naoma me faisait petit à petit moi aussi sombrer dans un état d'énervement dangereux.

Je pris alors la décision de faire des pompes et des abdos pour me calmer et passer mon énervement. Mais tout allait en empirant, et Naoma commença à s'en prendre à moi. Je ne relevai même pas ses premières remarques, de simples sous-entendus sur mon incapacité à avoir réagi avec toi à l'aéroport, et surtout d'avoir voulu te vendre pour de l'argent. Mais ses attaques étaient de plus en plus claires, et si je continuais, indifférent, à faire mes exercices physiques, elle en vint bientôt à me crier dessus, à me demander de répondre, de m'expliquer. Je me contentais alors de dire que cela ne servait à rien de parler du passé.

La journée passa, et elle ne me laissait même plus m'approcher de toi, criant que je ne voulais que ta mort depuis le début, et qu'elle te protégerait.

La pire journée fut la suivante. Je dormis très peu, et Naoma pas du tout. Elle parlait constamment à voie basse, et je ne pouvais en faire abstraction. Au matin, à bout de nerf, je décidais finalement de la calmer avec une paire de gifles. Je haussais considérablement la voix en lui disant de se taire et de reprendre ses esprits. Mais elle tenta de se défendre. Elle me griffa, ce qui me mis dans une colère noire et rapidement je l'envoyai au sol avec un coup sûrement beaucoup trop fort. Mais j'étais à la limite, moi-aussi, de perdre les pédales. Étourdie par le choc, elle se traîna et alla se prostrer dans un coin à pleurnicher. J'espérais ne pas lui avoir fait trop mal et je regrettais de m'être emporté. Mais elle prit alors peur de moi et je ne pus l'approcher pour m'excuser. Je me résolus à ne pas tenter quoi que ce soit. Je pus toutefois constater ton état, alors qu'elle était enfin loin de toi. État qui n'était pas fameux, ton pouls ne devait pas dépasser trente battements par minute. Je retournai moi-aussi dans mon coin et pus enfin dormir quelques heures.

Quand je me réveillai, Naoma t'avais emporté avec elle dans un coin, me menaçant de me tuer si je m'approchais d'elle ou de toi. Franchement je ne pensais pas qu'on pouvait casser un câble à ce point. Elle refusa même la galette que je lui tendis, en gage d'apaisement, prétextant que je l'avais sans doute empoisonnée. Elle se précipita par contre sur la ration du jour pour sûrement s'assurer de la récupérer avant que je n'ai le temps de la toucher.

C'est ce jour là que je fis la connaissance de Bakorel. J'avais repris comme la veille ma séance d'exercices physiques quand j'entendis un sifflement inhabituel. Il ne me fallut pas longtemps pour trouver l'origine du sifflement, elle était aussi celle de la chute de petit bout de métal ou de sable : l'une des trappes d'aération au plafond. Les trappes en elles-mêmes étaient petites, pas plus de dix centimètres, mais elles devaient donner sur un conduit beaucoup plus large, du même genre que celui que j'avais vu lors de ma tentative de fuite. Le plafond était assez haut, mais je distinguais tout de même un visage. Cette personne me parlait, mais je ne comprenais rien. Je lui parlai à mon tour, pour qu'il s'aperçoivent que je ne parlais ni connaissais sa langue. Après un instant je compris qu'il tentait de se présenter. Il répétait quelque chose comme "Bakorel". Je ne savais pas du tout qui était ce type, mais après tout il pouvait peut-être nous aider à nous sortir d'affaire. Je répétai moi aussi mon nom, en me désignant, puis le sien, en pointant le doigt vers lui. Mais causer avec une bouche d'aération a vite ses limites, et si je distinguais plus ou moins son visage, il ne pouvait faire de gestes pour que je puisse apprendre un peu plus de sa langue.

Je devais être fatigué car il me fallut une bonne heure avant d'avoir l'idée non pas d'apprendre sa langue, mais de lui apprendre la mienne. J'en oubliais Naoma, qui restait dans son coin, pour mimer diverses actions en énonçant le nom ou le verbe correspondant : marcher, manger, parler, droite, gauche... Au bout de quelques heures mon interlocuteur savait compter jusqu'à dix, et reconnaissait la plupart des membres de mon corps. Je lui faisais réciter en pointant du doigt l'objet ou en mimant l'action, et en attendant qu'il donnât le nom correct. Puis il disparut, sans doute plus préoccupé alors à trouver de quoi manger, ou déjà lassé de son nouvel ami. Je fis encore quelques pompes, puis je m'endormis enfin pour une bonne et longue nuit, alors que Naoma restait invariablement au même endroit.

La journée suivante ne fut qu'une répétition de la précédente, Naoma ne m'adressait plus la parole. Je ne pense pas qu'elle avait dormi, toujours à pleurer en tentant de te soigner. Dans l'après-midi Bakorel revint, et je tentais cette fois-ci de lui faire comprendre que je voulais sortir, en mimant l'ouverture des grilles. Il avait l'air d'avoir retenu de manière impressionnante tous les mots de la veille. La seule chose que j'avais retenu pour ma part, c'était la façon de dire "bonjour" ou "salut" ; cela ressemblait à quelque chose comme "moyoto", ou "mioto". Nous parlâmes quelques heures, et j'espérais qu'il avait saisi que je lui demandais des outils, un couteau, ou des tiges métalliques. Il me réveilla un peu plus tard, en laissant tomber par la bouche d'aération plusieurs petites barres en métal. Certaines restèrent coincées par la grille, mais je pus récupérer deux tiges suffisamment solides pour servir d'armes. Je tentai ensuite de les utiliser pour ouvrir la grille, mais le système était trop résistant pour que je réussisse quoi que ce soit. J'avais déjà pensé tenter d'attraper l'homme qui nous apportait la nourriture en étranglement, mais celui-ci était méfiant et nous demanda de nous reculer avant de faire passer les galettes au travers de la grille. En me couchant, j'imaginai un plan où nous ferions tous les morts, pour les inciter à entrer dans la pièce.

Mais je n'eus même pas besoin de ça. Le lendemain matin Naoma n'était pas éveillée. Je m'en inquiétai et fut rassuré de constater qu'elle dormait profondément. Toi tu étais mort. Et sans doute depuis déjà longtemps, un jour, peut-être plus. Tu étais glacé comme le métal des parois, et tes muscles commençaient déjà à perdre de leur rigidité. Tu n'avais toutefois pas encore ces tâches vertes sur le ventre qui apparaissent généralement après deux ou trois jours. J'emportais Naoma, qui dormais toujours aussi profondément, et la couchais de l'autre côté de la pièce.

Quand elle se réveilla finalement elle allait un peu mieux. Je dus lui faire comprendre que tu étais mort. J'imaginais qu'elle allait de nouveau faire un crise et devenir hystérique, mais elle ne dit pas un mot et sombra en sanglot dans mes bras. À bien y réfléchir je me dis qu'elle devait déjà le savoir, mais qu'elle ne l'avait pas encore accepté. De dormir enfin lui avait fait reprendre le sens des réalités. Elle réfléchit alors qu'il était peut-être toujours temps de te renvoyer dans les tubes pour te soigner, et pris l'initiative de crier pour faire venir quelqu'un. Pensant que cela pouvait servir mon idée et qu'ils ouvrissent la grille, je me joignis à elle pour appeler de l'aide.

Un homme ne tarda pas à arriver. Je tentai de pousser Naoma de la grille ; elle parlait à toute vitesse en anglais. Elle recommença à faire une crise, mais je pus m'intercaler et mimer plus calmement à l'homme, en te désignant, que tu étais mort. Je faisais semblant d'abord de laisser pendre ma tête en tirant la langue, puis je signifiai l'arrêt du coeur avec mes deux mains sur la poitrine qui simuler les battements qui ralentissaient puis stoppaient. L'homme me demanda de me reculer pour qu'il pût observer. Je tirai Naoma avec moi et il jeta un oeil vers ton corps sur le côté. Il fit un signe de la tête laissant supposer qu'il avait compris et partit. Naoma me bombarda de question, savoir s'il avait compris, ce qu'il allait faire, s'il allait revenir. Elle m'énervait plus qu'autre chose et je tentais de la rassurer en répondant positivement à ses questions pour qu'elle se calmât enfin.

Nous attendîmes facilement une demi-heure avant qu'un petit régiment ne revînt. Ils se méfiaient sans doute et ne voulaient pas répéter le même scénario que la première fois. Naoma était près de toi, quant à moi je dus me reculer jusqu'au fond de la cellule avant qu'ils fussent suffisamment confiants pour ouvrir et entrer. Mais ils ne se méfirent pas de Naoma et ce fut ma chance, car au moment d'emmener ton cadavre, ils le mirent simplement dans un bac à roulettes vide, du même genre avec lequel ils amenaient la nourriture. Ceci provoqua une crise d'hystérie chez Naoma, qui s'accrocha au bac en hurlant qu'il fallait t'emmener dans les tubes, qu'ils devaient te guérir. Il y avait en tout huit hommes, et je ne bougea pas tant qu'ils ne sortirent pas de la pièce. Deux d'entre eux tiraient le bac, et quatre autres tentaient de maîtriser Naoma. Maîtriser n'est toutefois peut-être pas le mot, car sans doute il ne leur fallut pas grand-chose pour l'immobiliser à quatre. J'avais l'impression qu'ils jouaient avec, profitant chacun leur tour de la peloter avec entrain en la tirant en arrière. Il me semblait que Naoma ne s'en rendait même pas compte, se moquant éperdument que l'on lui touchât les seins ou ailleurs, et elle ne pensait qu'à s'accrocher au bac en envoyant balader à grands coups de pieds ou de poings tout ce qui tentait de l'en séparer. Bref elle n'eut pas trop de mal à sortir de la cellule avec eux, alors que ceux-ci rigolaient entre eux de la voir si enragée. Quand les deux hommes près de moi s'avancèrent pour sortir de la cellule, alors qu'ils étaient focalisés sur Naoma, et sans doute bien jaloux de leurs camarades en train de s'amuser avec elle, ce fut alors que je les attaquai.

J'avais une tige en fer dans chaque main. En arrivant par derrière le premier homme, je lui plantai une tige au niveau de la carotide et le repoussait rapidement avec un grand coup de pied. J'avais déjà testé la solidité de ma combinaison, et celle-ci étant trop solide pour que je puisse facilement la transpercer avec une tige, je devais me concentrer sur la tête et les partie non couvertes. Sur ce le second se retourna mais il n'eut le temps de réagir quand je le projetai vers le fond de la cellule et refermai la grille sur lui. La grille bloquée j'avais deux assaillants de moins. J'eus alors un moment d'hésitation, partir avec ou sans Naoma.

Je décidai de prendre le risque de l'emmener avec moi. Elle m'avait beaucoup tapé sur les nerfs, mais pour autant je me sentais un peu responsable. Je savais que tu ne l'aurais pas laissée, toi, et j'avais des remords de n'avoir rien pu faire pour te sauver. Et surtout dans le quart de seconde que j'avais pour prendre ma décision, je craignais que l'un d'eux ne tentât d'abuser d'elle si je la laissais entre leurs mains. La grille fermée deux hommes se précipitèrent vers moi, mais non armés je les blessai avec mes tiges métalliques. Ils n'eurent pas le temps de prendre Naoma en otage, je la tirai vers moi en poussant violemment du pied le bac où se trouvait ton corps. Trois des hommes furent bousculés et je n'attendis pas mon reste pour partir en courant en entraînant Naoma. Sur le moment si elle n'avait pas couru je l'aurais sans doute laissée là. Mais elle courut avec moi, rapidement même, j'en étais étonné. "

Naoma interrompt Erik.

- Ben oui comme je l'avais déjà raconté à Franck je suis sprinteuse dans un club d'athlétisme. Je ne me rappelle pas trop encore de ces instants, mais dès qu'il faut courir je cours ! J'ai dû avoir une sorte de réflexe...

- Eh ! Regardez ce que j'ai trouvé !

- Oh non...

Je laisse échapper un soupir de désespoir suivi d'un rire sarcastique quand je vois Erik nous montrer un bracelet ! Du même genre que tous ceux que j'ai déjà vus. Il se trouvait dans un petit compartiment sur le côté d'un des tubes. Et après vérification il s'avère que les trois tubes dans lesquels nous nous trouvions en possède un, mais seul la personne qui se trouvait dans le tube peu l'ouvrir, par un mécanisme de détection d'empreintes digitales, similaire à celui qui commande l'ouverture de la trappe pour les combinaisons.

- Pourquoi tu dis "oh non" ? C'est le même bracelet que tu avais au tout début ?

- Ben ouais, c'est par un truc comme ça que tout a commencé. Mais à quoi il sert vraiment je n'en sais rien. Je ne pense pas qu'ils soient tous aussi dangereux que celui que j'avais, mais je ne sais pas à quoi ils servent.

- Ce bracelet ne peut pas être qu'un bijou, c'est peut-être une sorte d'émetteur pour ne pas se perdre, ou une sorte de téléphone portable ?

- Peut-être, mais bien malin celui qui m'expliquera comment il marche, il n'y a aucun bouton, aucune partie mobile...

Naoma en profite pour regarder si son tube contient lui aussi un bracelet.

- Bon bref il ne nous sert à rien quoi... Peut-être qu'on devrait le mettre, il pourrait ouvrir des portes secrètes ou des trucs dans le genre ? C'est pas trop mal. Il n'a pas l'air très méchant...

Naoma l'enfile et se regarde avec.

- Mouais, perso je fais gaffe, j'en ai déjà bien assez bavé à cause de ces saloperies, et je me méfierais. Tout ce qu'il pourrait faire, c'est qu'ils nous repèrent de nouveau et que l'on se retrouve dans le même pétrin...

- Bon on verra, on a qu'à les laisser là pour l'instant.

Erik et Naoma replace leur bracelet respectif dans leur petite boîte, quand à moi je ne tente même pas d'ouvrir la mienne.

- Tu continues l'histoire, j'aimerais bien savoir la suite quand même.

- OK

Erik continue son histoire tout en reprenant son inspection.

" La chance que j'espérais avoir, c'était d'abord qu'ils ne fussent capables de nous rattraper avant que nous n'eussions réussi à atteindre la salle du fond où j'avais dû baisser les bras la première fois, mais surtout d'arriver à bloquer la porte suffisamment longtemps pour que nous pussions nous échapper par la bouche d'aération. J'eus un premier réconfort quand je vis qu'ils n'avaient pas réparé l'ouverture de la porte. Une fois dans la pièce, je me dépêchais de pousser tout ce que je trouvais contre la porte, tout en criant à Naoma de faire de même. Les hommes ne tardèrent pas à tambouriner contre la porte, mais j'eus la chance de pouvoir renverser tout une étagère, un échafaudage presque, pour la bloquer. Pendant cinq bonnes minutes nous continuâmes à pousser des bacs à roulettes plein de gravas, des grosses tiges en fer et des plaques de métal. Puis quand je parvins à bloquer une grosse barre de fer, qui avait par chance la bonne taille pour aller de l'amoncellement contre la porte jusqu'à la paroi opposée, je jugeai que cela nous donnerait bien un quart d'heure de tranquillité, peut-être moins si par malchance ils décidaient d'utiliser une arme pour forcer l'entrée.

Malheureusement je ne m'aperçus qu'alors que la bouche d'aération était plus petite que je ne l'avait imaginée, et que nous ne nous y glisserions pas si facilement que cela, même si cela restait envisageable. Je changeais mes intentions et en premier lieu m'attaquer à l'une des portes cloisonnées, celle à l'opposé de notre arrivée, qui semblait être la moins bloquée et plus susceptible de constituer un échappatoire. Nous poussâmes à plusieurs reprise un bac rempli contre cette porte, et les barres commencèrent à céder. Il nous fallait faire vite nous entendions les hommes eux aussi sans doute en train de projeter par répétition quelque chose contre la porte. J'espérais simplement que ce n'était pas le bac dans lequel ils avaient mis ton corps. Mais dans l'urgence je n'avais pas vraiment le temps pour ce genre de pensée et je redoublais d'efforts. Quand enfin la porte commença à céder, une puissante aspiration se fit sentir, comme si l'autre côté était dépressurisé. Il fit rapidement très froid dans la pièce, mais les combinaisons nous protégeaient efficacement. À ce moment j'entendis les hommes cesser de taper contre la porte et crier d'affolement sans doute suite à l'aspiration qui suivit à leur niveau, une fois l'air de notre cellule épuisé. Pas totalement épuisé toutefois car nous pouvions encore respirer, même si la quantité d'oxygène disponible était sans doute bien moindre, au vue des halètements que nous devions alors faire. Quand il y eut assez d'espace pour me laisser glisser une barre de fer entre la porte et la paroi, je m'en servis de pivot et ménagea rapidement assez de place pour que nous pussions nous faufiler Naoma et moi.

Mais nous n'étions pas pour autant sortis d'affaire. La lumière s'échappant par l'ouverture faite nous permettait à peine de distinguer le gouffre devant nous. Il faisait horriblement froid, et il nous était toujours aussi difficile de respirer, nous ne pouvions rester là très longtemps, il nous fallait une issue.

Après quelques dizaines de secondes nos yeux s'accoutumèrent un peu plus à l'obscurité, et je distinguai alors que nous nous trouvions vraisemblablement dans une ancienne section des locaux sans doute détruite par une explosion ou un effondrement. Cela se présentait comme un trou conique dont je ne distinguais pas le sommet. Au niveau où nous nous trouvions, le tour était constitué des restes des parois métalliques, et en face il me semblait distinguer la suite du couloir. Nous pouvions faire le tour, il restait suffisamment de sol praticable sur le bord pour arriver jusqu'à l'autre côté. Mais si cette zone était condamnée, je pensais que nous ne trouverions rien en allant plus avant. D'autant que vu les conditions de froid et de manque d'oxygène, je n'avais aucune idée à combien de centaines de mètres voire de kilomètres nous nous trouvions sous terre.

La température était vraiment glaciale ; Naoma tremblait de froid. Elle montra du doigt le fond du trou en me demandant de regarder. On n'y distinguait de la lumière à quelques dizaines de mètres en contrebas. Pour arriver là-bas il nous faudrait descendre la paroi, mais les pierres et les rochers éboulés ne devraient pas nous rendre la tâche trop dure. Il nous fallait juste espérer que tout cela n'allait pas s'effondrer de nouveau sous notre poids.

De toute façon nous ne pouvions pas attendre, et si les hommes semblaient avoir abandonné l'idée de nous poursuivre, c'était sans doute car ils ne donnaient pas cher de notre peau une fois ici. J'entraînai Naoma avec moi et nous nous lançâmes dans la descente, en direction des lumières. Ce fut très dur, j'avais les doigts gelés, un mal fou à respirer. De nombreux cailloux roulaient sous nos pas et dévalaient la pente pour tomber avec fracas au fond de la cavité. Je me forçais à respirer très rapidement pour ne pas perdre connaissance, et malheureusement ce ne fut pas le cas de Naoma, qui s'évanouit vers le milieu de la pente. Je ne pouvais pas la prendre avec moi, j'avais peur de m'évanouir à mon tour. Elle était juste en dessus de moi et je la secouai vigoureusement pour tenter de la réveiller, mais rien n'y fit. Soudain je tendis l'oreille, je crus en effet entendre mon nom ! Je pensai tout d'abord à une hallucination mais j'entendis encore plus clairement quelqu'un criant "Erik" à répétition. Bakorel ! Bien sûr ce ne pouvait être que lui, il avait sans doute entendu le tapage de notre évasion, et connaissant les plans des bâtiments il tentait de nous retrouver. Je criais à mon tour son nom. Il se guida fortuitement grâce à ma voix jusqu'à ce que la sienne devînt claire. Il était juste en dessous de nous. Il cria alors "Sortir" plusieurs fois avec insistance. Il voulait sans doute nous faire comprendre que l'endroit était dangereux, la belle affaire, j'aurais imaginé qu'il comprît que ce n'était pas vraiment le genre d'endroit idéal ou nous aimions faire la sieste. Je devais lui demander de venir m'aider, et je n'avais pas beaucoup de vocabulaire pour cela, je tentai néanmoins d'utiliser "blesser", terme qu'il devait avoir appris quand je mimais pour avoir une arme. Après quelques secondes il comprit et vint me rejoindre. À nous deux, surtout lui pour être franc, nous réussîmes à descendre Naoma jusqu'au niveau des éboulis au fond du trou. Ensuite nous dûmes nous faufiler entres les blocs de roche pour arriver dans la zone d'où provenaient les quelques lumières que nous avions vues du haut de la paroi rocheuse.

Je respirais toujours autant pour ne pas m'évanouir. Il fallait rapidement sortir Naoma d'ici où elle allait s'asphyxier. Je suivais Bakorel dans un amoncellement de décombres, de restes humains, d'outils, de chariots, de bras robotisés. Ce devait être une mine dont l'accès avait été condamné sans doute après l'éboulement qui à tout détruit. C'était un vrai cauchemars, entre les odeurs, présentes malgré la température, le froid, le manque d'oxygène. Cela me semblait durer des heures. Nous passions dans des couloirs et des couloirs... Enfin nous arrivâmes auprès d'un ascenseur. Il y eut un violent souffle quand la cabine arriva à notre niveau. La montée fut lente. Je pensais à Naoma mais je n'avais pas la force de m'en occuper. Quand la porte de l'ascenseur s'ouvrit, je respirai enfin à grandes bouffées. Mais sans perdre de temps je fis du bouche à bouche à Naoma. Heureusement après quelques dizaines de secondes elle se réveilla... "

Naoma reprend la parole :

" Je crois que ce n'est vraiment qu'à ce moment que je repris vraiment conscience. Je n'avais que des souvenirs très partiels de ce qui s'était passé avant, un peu comme si j'étais éveillée mais pas consciente. Tout était flou, un peu comme un rêve. Je crois me souvenir qu'Erik m'avait frappé, cela avait dû me marquer. Je me rappellais un peu mieux de la course puis du froid. Par contre je ne savais pas du tout qui était la personne avec nous et je le demandai tout de suite à Erik :

- C'est qui lui ?

- Bakorel. Ne t'inquiètes pas, il est avec nous, enfin je crois.

- Mais c'est qui ?

- Je ne sais pas, je l'ai connu dans la cellule alors qu'il passait dans les conduits d'aération. Ce doit être un clandestin ou un prisonnier évadé, cela dit je ne sais pas pourquoi il reste ici. Peut-être que c'est un ancien SDF qui trouve à manger et de quoi s'occuper dans ces couloirs...

J'avais mal à la tête, très froid et j'étais toute essoufflée. Erik m'expliqua alors ce qu'il s'était passé depuis deux jours pendant que nous nous reprenions. Bakorel s'absenta pendant ce temps. Je crois que j'étais consciente que tu étais mort, mais je ne sais pas vraiment si je ne pensais pas encore que tout cette histoire n'était qu'une farce, tellement j'était perdue. Je demandai à Érik :

- On fait quoi maintenant ?

- Il faut qu'on se tire d'ici. Mais on doit être vachement profond, il nous faut remonter.

- Tu dis que l'on doit se trouver près d'une ancienne mine ?

- Oui par là où nous sommes passés ça y ressemblait.

- Mais une mine en plein coeur de Sydney, c'est du délire !

- Les galeries sont peut-être très longues, nous sommes peut-être à plusieurs kilomètres du centre.

Bakorel revint alors, en nous ramenant une pâte qui avait le même goût que les galettes que nous avions dans les cellules. Nous le remerciâmes beaucoup et mangeâmes avec appétit. Il fit des gestes vers moi et je compris qu'il me demandait mon nom. Je lui dis alors. Il me salua d'un "moyoto". Il était marrant. Il ne devait pas avoir plus de vingt ans. Il n'était pas très grand, il devait faire ta taille tout au plus. Il n'avait pas de combinaison, il était habillé de bouts de tissus mal cousus les uns aux autres.

Bakorel nous fit alors des signes pour que nous le suivîmes. Il était impatient semblait-il de nous faire visiter ce qui avait l'air d'être sa maison. comme me l'avait expliqué Erik, cette section avait sans doute était cloisonnée comme le reste après l'éboulement dans la mine, et Bakorel devait pouvoir être tranquille en restant ici. Le tout était constitué d'une petite dizaine de salles. Il s'était aménagé dans l'une d'elle une chambre à coucher avec un amoncellement de bouts de tissus et de combinaisons déchirées. Il y avait aussi dans la pièce une sorte de machine qui, après quelques mimes avec Bakorel, semblait tout simplement être un radiateur.

Dans une salle voisine se trouvait la salle de bain, ou tout du moins le faible équivalent. Une cuvette de métal surmontée d'une sorte de robinet d'où coulait un fin filet d'eau. Bakorel nous montra l'usage en buvant une gorgée avec un bol à côté. Il semblait tenir à ce que pas une goutte ne fut perdue. L'équivalent de la baignoire était un grand bac de fortune fabriqué avec des bouts de métal rempli d'une sorte de plastique à bulle, un peu comme celui présent dans les emballages. Nous comprîmes que c'était le moyen de se laver quand Bakorel mima d'enlever ses habits et de se frotter avec le plastique tout le corps. Ensuite il réussit à nous expliquer que ce plastique n'était autre que le revêtement intérieur de nos combinaisons.

Nous passâmes une salle puis arrivâmes dans celle qui servait de toilettes. L'odeur n'était pas terrible. Elles étaient constituées simplement d'un WC mais qui bizarrement se trouvait en hauteur. Bakorel avait créé, pour y arriver, comme un échafaudage sur lequel il montait avec une petite échelle, comme pour les lits superposés. Nous conclûmes qu'il ne devait pas y avoir d'évacuation simple et qu'il fallait profiter au maximum de la gravité.

Mais c'était en réalité un peu plus compliqué encore, et nous nous en apercûmes en revenant dans la salle que nous avions évitée, entre la salle de bain et les toilettes. Bakorel nous prévint que l'odeur ne serait pas géniale et il nous donna deux bouts de tissus pour que nous respirions au travers. En effet cela empestait dans la salle. Bakorel nous présenta une machine très complexe, qui expliquait entre autre pourquoi les toilettes étaient en hauteur. Leur évacuation arrivait en haut de l'appareil, et passait dans tout un tas de tuyaux et de systèmes. Bakorel nous fit malheureusement l'honneur d'une démonstration. Il y avait un ensemble de feuilles plastiques à bulles usagées dans un coin. Il en prit deux ou trois qu'il introduit dans une sorte de petit four. Ensuite il versa une sorte de liquide visqueux dans un orifice, nous montra bien une fois de plus l'arrivée des toilettes, et pour terminer actionna la mise en marche de son appareil. Il se déplaça alors de l'autre côté de la machine, et quelques secondes plus tard actionna une manette pour produire un petit cube. Petit cube qui n'était autre que ce qu'il nous avait fait manger tout à l'heure, je le compris quand il en mangea un bout ! En voyant la scène je ne pux m'empêcher de vomir, écoeurée. Mais le pire ne s'arrêta pas là ! Bakorel accourut alors et s'étant assuré que j'allais bien, il ramassa le vomis avec une petite pelle et alla l'introduire dans une autre entrée de son appareil ! Sur ce rebelote je vomis de nouveau ! Erik éclata de rire. Bakorel fit de même quand il dut comprendre la raison pour laquelle j'avais la nausée. Nous sortîmes alors rapidement de la pièce, et je respirai un peu mieux une fois dehors. "

Erik coupe de nouveau la parole à Naoma.

- C'est pas tout ça mais il faudrait peut-être qu'on trouve où on est et autre chose à manger que des fruits non ? Et où dormir ?

- Boah on peut dormir dans ces tubes non ? Tu veux retourner dans la forêt ? Ah ouais il ne pleut plus et il fait encore pas mal jour, on pourrait tenter de continuer à explorer un peu. Peut-être que l'on peut trouver des plantes ou des racines à manger ?

- Mouais bouffe des plantes si tu veux moi je préférerais un peu de viande, on n'y va ?

- Reprenons les paniers si cela se trouve il y a des champignons après la pluie ?

Et voilà notre petite expédition repartie en direction de la forêt. La pluie s'est bien arrêtée mais le sol est complètement détrempé. Toutefois cela a eu pour effet de faire sortir une flopée de bestioles diverses qui courent dans tous les sens. Petite souris, lézards, insectes... Cela grouille de toutes parts.

- Si vous voyez un lézard n'hésitez pas j'en ai mangé en Australie c'est pas mal.

Naoma s'inquiète de la cuisson :

- Oui mais comment va-t-on faire du feu, en frottant des bouts de bois les uns sur les autres ?

- Ah oui je me rappelle Tom Hanks faisait cela dans "Seul au monde" et c'était pas super évident.

Erik toujours très terre à terre :

- Super tes références.

- T'as mieux ?

- Non mais je la ferme.

- Je t'emmerde...

- Ça pourrait être utile si par chance la salle des WC fonctionnait pareil que la machine à bouffe de Bakorel.

Naoma est écoeurée.

- Berk, quand j'y repense, dire que j'ai mangé de cela pendant je ne sais pas combien de jours...

- Vous êtes restés là-bas autant que ça ?

- Ben en fait on n'en sait rien, il n'y avait pas vraiment de jours et de nuits, et puis tu verras dans la suite que ce n'est pas si simple que ça.

Erik s'impatiente :

- Vous feriez mieux de tenter de trouver le dîner plutôt que de papoter.

Erik a raison et je prends la décision de quitter la voie qu'il trace pour en créer une moi-même, dans l'espoir de trouver quelques animaux. Naoma se contente elle de ramasser les fruits et autres plantes qui pourraient être comestibles. Je lui recommande cependant, comme elle n'a pas de barre, de rester derrière Erik, au cas où une bête sauvage nous attaque de nouveau. Mais la chasse est d'une facilité déconcertante. Et en moins de deux heures nous assommons deux petits rongeurs de la taille d'une marmotte et trois gros lézards aussi épais que le bras. Jugeant cela suffisant, et le jour commençant à décliner, nous retournons vers les bâtiments et tentons de ramasser des branches de bois pas trop humides. En prévision des jours prochains nous amassons un tas conséquent de manière à disposer de bois sec plus facilement.

Mais l'épreuve du feu se révèle difficile, d'autant que le manque d'herbe sèche ou de papier ne facilite pas la tâche. Nous profitons de l'expérience infructueuse pour aussi couper de l'herbe et la mettre de côté de façon à la faire sécher. D'autant que sans outils, ni hache ni couteau, nous finissons par nous retrouver tous les trois assis autour d'un tas de branche, le regard dans le vide... Frotter des bouts de bois, faire tourner un bâton contre un autre, taper des pierres l'une contre l'autre, contre une barre metallique... Rien, même pas un semblant de fumée ou une étincelle, désespérant...

- On ne va quand même pas les manger crus ?

Naoma désespère :

- C'est nul Robinson...

- Ils devaient bien manger les gens qui habitaient ici ! Il y a peut-être une cuisine qu'on a loupé, ou au sous-sol ?

Erik est d'accord :

- Oui il faudrait que nous allions au sous-sol, maintenant que nous avons ces barres je me sens un peu plus confiant, j'avoue que je n'était pas très rassuré à l'idée de me retrouver là-bas dessous dans le noir.

- Tu deviens froussard Erik ? T'as peur de quoi ? Il n'y a personne par ici ?

Naoma tente de calmer le jeu :

- Commencez pas OK ? On ira là-bas tous ensemble, comme ça si on se fait attaquer on se fera manger tous les trois !

Erik est ravi :

- Super idée.

Je m'impatiente un peu :

- On mange un fruit et on n'y va ? On verra demain pour le feu...

Le soir commence à tomber, et le ciel revêt un panel de couleur vraiment superbe. J'ai presque envie d'escalader la coupole principale pour voir au dessus des arbres. Mais plus que pour observer le couchant, cela m'inspire pour avoir une vue plus claire d'où nous nous trouvons. Toutefois si je remets au lendemain cette escalade dans un premier temps, jugeant risqué de me casser la figure en montant alors qu'il fait déjà sombre et que je ne verrais sans doute pas très loin, Erik fait justement remarquer qu'au contraire cela nous permettrait de distinguer des lumières dans la nuit. Ils m'aident alors à grimper sur le dôme le plus petit, et par suite de là je parviens à me hisser sur l'un des deux accolés au plus haut. Je ne suis pas encore suffisamment haut pour dépasser la cime des arbres, mais j'ai bon espoir de parvenir à grimper sur le principal qui, de ses deux ou trois mètres de plus, devrait convenir. C'est moins évident que la première partie de l'ascension et je dois m'y reprendre à deux ou trois fois, glissant en éclatant de rire contre le métal lisse sans pouvoir trouver à quoi me retenir, avant de réussir à m'accrocher finalement sur un rebord au sommet. Rebord se révélant celui d'une parabole encastrée dans le haut du dôme. Celle-ci n'est pas complètement fixe, elle semble pouvoir pivoter sur des vérins, ou tout autre mécanisme la soutenant.

Le paysage est magnifique, des reflets du soir aux premières étoiles apparaissant, tout semble si pur. La forêt s'étend à perte de vue, et on distingue clairement le relief sous le manteau d'arbre. Mais l'horizon n'est pas si loin, et nous nous trouvons au centre d'une sorte de cirque, entouré d'une barre rocheuse en dessinant le pourtour. Le tapis vert de la jungle s'étale sur le fond légèrement ovoïde d'une immense coupelle, qui doit faire à vue d'oeil plus de cinquante kilomètres de rayon, peut-être cent, et dans laquelle nous semblons nous trouver en plein centre. Difficile de trouver qu'elle direction serait la meilleure. J'ai du mal à croire que je n'ai jamais vue d'image satellite d'une telle formation, qui doit sans nul doute être du plus bel effet vu de l'espace. Nous devons nous trouver en plein centre de l'Amazonie, à moins que la jungle africaine n'offre de même paysage. Mais quoi qu'il en soit il nous faudra atteindre cette barre rocheuse avant de pouvoir sortir d'ici. Je reste pensif, regardant les étoiles apparaître. Comment ces bâtiments ont-ils été construits ? Il n'y a aucune trace de route. Par voie aérienne, sans doute, un poste d'observation de la faune et la flore loin de toute civilisation.

Erik et Naoma me sortent de mes pensées en me demandant ce que je vois. La descente est un peu plus ardue que la montée, mais en se laissant glisser le long de la paroi pour atteindre le dôme inférieur, cela se passe plutôt bien. Une fois à leur niveau, je leur explique la situation, puis nous réfléchissons par où partir :

- Il nous faudra prendre une direction au hasard, j'en ai peur...

- En observant le ciel demain, nous pourrions peut-être voir d'où viennent les nuages, ce qui indiquerait la direction de la côte ?

La proposition de Naoma est séduisante, mais il n'empêche que les côtes peuvent se trouver à plusieurs centaines de kilomètres d'ici. Erik est moyennement convaincu.

- Mouais, cela peut nous mener loin, ce serait plus pratique si nous voyions un avion ou quelque chose comme cela. Nous pourrions remonter là-haut un peu plus tard, pendant la nuit noire. Peut-être aurons-nous plus de chance d'apercevoir les lumières d'une ville dans le ciel nocturne.

Nous acquiesçons à la proposition d'Erik, mais dans un premier temps nous retournons tous dans les bâtiments pour l'exploration du sous-sol. La porte d'accès à ce qui doit être l'escalier ou l'ascenseur pour le sous-sol est toujours fermée, le détecteur ne fonctionnant pas, et les rares prises à sa surface sont insuffisantes pour que nous puissions tenter de la forcer. Il nous reste ces deux trous dont nous distinguons à peine le fond environ trois mètres plus bas. Je suis perplexe quant à ce que nous pourrons voir là-bas dessous.

- Ça m'a l'air bien sombre, nous n'y verrons rien, même pas pour allumer, ne devrions-nous pas trouver une lampe, ou peut-être attendre de parvenir à faire du feu ? Ça me fait penser qu'on aurait dû rentrer les lézards, si ça se trouve un autre prédateur va nous les voler.

- Oui nous les rentrerons tout à l'heure, mais j'aimerais quand même descendre, il y a peut-être un tunnel ou une issue.

- Tu penses vraiment ?... Bof, si tu le dis, allons-y alors.

Je me lance donc... Sans grand succès. Je comptais m'agripper au rebord et me laisser tomber une fois pendu, pour limiter la hauteur de chute, mais peine perdue. Un plateau, une plaque métallique, glisse sous mes pieds lorsque je m'engage sur le vide. Vraisemblablement un ingénieux système d'ascenseur qui explique l'inutilité d'une protection contre une chute. Le rebord doit être parsemé de capteurs qui, détectant une présence, actionnent l'avancée du plateau. Je m'extasie devant ce système, Erik est plus terre à terre :

- Oui c'est très cool mais comment on descend avec ce truc ?

- Il doit certainement y avoir un capteur ou un bouton.

Mais, malchance, si cette commande existe, elle nous est restée introuvable. Que ce soit sur un trou comme sur l'autre, nous avons sauté, tenté de bloqué la plaque avec les barres de fer, sommes montés tout trois dessus, mais toujours le plateau se glissait avant nous, et ne louvoyait que légèrement face à nos assauts. Il ne semble maintenu en équilibre par aucun mécanisme visible, seulement un puissant champ magnétique, ou un équivalent, le stabilise. Je reste perplexe :

- Il doit bien y avoir un moyen, une clé, une commande bon sang !

Naoma a une idée :

- Peut-être avec les bracelets ?

- Pas bête, mais perso je ne me risquerais pas à mettre ces trucs, je préfère encore bouffer du lézard cru.

Erik s'énerve un peu :

- C'est quand même pas croyable, il y a bien un moyen !

En tous les cas si ce moyen existe, les deux heures suivantes passées à chercher un poste de commande, un interrupteur ou un quelconque disjoncteur, ou encore un moyen autre pour bloquer ces plateaux ou les actionner, ne nous permirent pas de le trouver.

Une dernière tentative de faire du feu, soldée bien entendu par un nouvel échec, nous rentrons le reste des fruits et les prises de chasse à l'intérieur, puis, la nuit étant maintenant profondément noire, et le ciel dégagé, je décide de remonter sur le toit, en quête de quelques lumières de civilisation. C'est peu convaincant. La nuit semble si pure, c'est vraiment un lieu privilégié pour l'observation des étoiles, et c'est plus à leur lumière que je me consacre à défaut d'en trouver à l'horizon. J'ai du mal à croire que nous n'ayons installé de télescope par ici, le ciel est d'une pureté extrême. Plus jeune, enfant même, j'avais une passion pour l'astronomie, les planètes, les autres mondes, tout cela me fascinaient. Mais j'ai beaucoup oublié et je suis dans l'incapacité totale de reconnaître la moindre constellation, pas même la grande ourse, pourtant si simple à trouver. Toutefois cela indique sans doute que nous somme dans l'hémisphère sud, et explique que le ciel me soit si étranger. Je contemple néanmoins de longues minutes la douce traînée de la Voie Lactée, que j'ai rarement vue aussi belle, avant qu'Erik et Naoma ne m'interpellent, impatients. Je les rejoins.

- Je n'ai absolument rien vue, pas une seule lumière, même un semblant. Le ciel en est magnifique, d'ailleurs, mais je n'ai reconnu aucune constellation, à mon avis nous devons nous trouver dans l'hémisphère sud.

Erik n'est pas convaincu.

- Mouais... Tu devrais terminer ton histoire, Naoma...

- Oui tu as raison.

- Nous devrions plutôt aller nous coucher, non ? Il est sûrement tard et il faudra bien demain que nous trouvions comment faire du feu pour avoir autre chose à manger que ces fruits.

- Allons dans les tubes, ils sont assez confortables, et de plus je pourrai continuer une peu l'histoire.

Jour 132

Une fois tous trois confortablement allongés, Naoma reprend son récit :

" Une fois la visite de sa maison terminée, Bakorel nous emmena dans une nouvelle pièce aux murs recouverts de graphitis, d'inscriptions, de dessins. Il se ménagea un espace vierge en effaçant une partie du mur, et avec une sorte de bout de roche, une sorte de craie, commença à dessiner. Il dessina deux cercles, sur le premier rajouta un carré avec une flèche et nous fit comprendre que ça représentait l'endroit où nous nous trouvons. Ensuite il sembla nous demander si nous venions de l'autre cercle. Erik me suggèrea que Bakorel pensait que nous venions d'une autre planète. Peut-être avait-il toujours été sous terre, ou peut-être n'avait-il jamais vue de noirs, car c'est vrai que moi et Erik avions la peau de couleur, et nous n'avions vue que des personnes blanches ici.

- Tu crois qu'il est né ici et n'a jamais mis les pieds dehors ?

- En tous les cas ça en a l'air.

Je tentais alors de mimer à Bakorel que nous ne venions pas d'une autre planète, mais que nous venions d'en haut, de la surface. J'essayai aussi d'indiquer que c'est là que nous voudrions retourner. Je fus étonnée quand il employa le terme "sortir", mais Erik m'expliqua qu'il lui avait appris quelques mots de vocabulaire. Bakorel était perplexe et il tenta de nous dissuader en répétant que sortir égalait mort. Bakorel semblait très curieux, et ensuite il écrit son nom sur le tableau, dans une langue qui devait sûrement être de l'hébreu, la même que celle sur les cahiers que tu avais trouvés, puis nous demanda d'écrire nos noms. J'écris "Naoma" et "Erik", et il regarda nos deux noms d'un regard surpris. Sans doute s'attendait-il à ce que nous utilisions le même alphabet que lui. Alphabet qu'il sembla ensuite écrire, tout comme il écrit les chiffres de zéro à neuf. Je fis de même à mon tour et je fus très impressionnée par sa capacité à retenir et à prononcer correctement l'alphabet anglais. Nous continuâmes ce jeu en prononçant et écrivant des mots communs, parfois assorti d'un dessin. Il était beaucoup plus fort que moi pour la mémorisation. Et il semblait bien ne jamais avoir rien connu d'autre que la vie dans ces bâtiments souterrains, car il ne connaissait pas ce qu'est un arbre, une voiture, un lapin... Nous arrivâmes à bout de la patience d'Erik après avoir vainement tenté de lui demander son âge, mais il ne comprit pas la notion d'année, je ne suis même pas sure qu'il comprennait ce qu'était le Soleil dans mes dessins tentant d'expliquer le tour que fait la Terre autour de celui-ci.

Bref nous cessâmes ce petit jeu et Erik revint sur notre volonté de remonter à la surface. Bakorel semblait refuser et Erik et moi partîmes seul à la recherche d'une issue pour sortir d'ici. Mais toutes les issues étaient verrouillées. La zone était vraiment condamnée et expliquait pourquoi Bakorel est tranquille ici, il avait dû trouver un moyen d'y accéder alors que tous les autres pensaient que la zone était complètement inaccessible. Erik m'expliqua qu'il devait persister une conduite de ventilation non obstruée, et nous entreprîmes dès lors de trouver un moyen de nous glisser dans l'une d'elle dont nous avions trouver l'ouverture dans le couloir près de l'ascenseur. Elle était haute et Erik me fit la courte échelle m'aider à parvenir jusqu'à la grille. Mais impossible de l'ouvrir, celle-ci était si solidement fixée qu'à mains nues nous n'avions aucune chance de la retirer.

Bakorel nous regardaient d'un air amusé, et se décida enfin à nous appeler pour nous indiquer son moyen d'accès. Et je crois qu'il nous aurait fallu des jours ou des semaines pour parvenir à le dénicher, et surtout en comprendre le fonctionnement. Il nous fallut dans un premier temps débloquer puis ouvrir une lourde porte, et nous aidâmes Bakorel à la pousser puis à la refermer. Nous arrivâmes dans un couloir non éclairé où je tins le bras de Bakorel pour le suivre. Il compta tout haut en anglais pour nous indiquer le nombre de pas à effectuer. Il en profita pour apprendre à compter de dix à vingt, il fallait dix-neuf pas. Il sauta alors pour s'accrocher à une échelle escamotable qui descendit sous son poids. Nous montâmes avec lui et il fallut ensuite pousser une plaque avec une poignée pour arriver dans un conduit. Une fois tous rentrés, il referma l'accès. Le conduit était suffisamment large pour que nous puissions nous y déplacer à quatre pattes. Il était bordé de multiples tuyaux et fils, et plus qu'une conduite d'aération il devait être un moyen de maintenance pour réparer ou intervenir quand il y avait un soucis au niveau des câbles.

Nous avançâmes pendant dix à quinze minutes avant d'arriver à une paroi. À mesure que nous avancions il faisait de plus en plus chaud. et la paroi, si elle n'était pas brûlante, était quand même très chaude. Nous entendîmes des bruits de machines, et parfois même je crus distinguer des voix. Alors commença la partie périlleuse. Cette paroi était en réalité une porte, ou plus exactement un bouchon, que Bakorel poussa le long du conduit jusqu'à ce qu'une lumière rouge vive nous éclaira par l'ouverture qu'il avait révélée sur le bas de la conduite. Les câbles et les tuyaux étaient sectionnés à ce niveau, et cela sans doute suite à l'isolement de la zone. Il restait juste un fil dans une rainure, sûrement faite par Bakorel, qui devait être l'arrivée d'électricité qu'il avait rétabli. Bakorel se glissa dans l'ouverture et se suspendit alors aux rebords, celle-ci n'étant que sur la partie centrale de la conduite. Nous comprîmes qu'il passait ainsi de l'autre côté de la paroi.

Autant ce passage ne me faisait pas peur en imaginant le faire au dessus d'un couloir avec trois mètres de hauteur sous plafond, autant la découverte du contrebas me refroidit. Je devrais plutôt dire réchauffer pour être exacte, aux vues des immenses forges qui parsèmaient la salle gigantesque qui se dévoilait sous moi. Plusieurs dizaines de mètres plus bas, peut-être trente ou cinquante mètres, des centaines d'hommes s'affairaient à manier les bacs remplis d'acier en fusion qui étaient déversés dans les moules. Je ne distinguais pas clairement ce qu'il se fabriquait ici, le champ de vision étant réduit par les maints conduits et barres de fer traversant la salle et soutenant toute la structure. Mais c'était sans doute tout cet enchevêtrement qui permettait que personne ne remarquât Bakorel. Erik me poussa finalement, s'impatientant :

- Alors ! Tu avances !

- Mais, c'est énorme, je... Il y au moins cinquante mètres de vide !

- Écoute, il est passé lui non, ou alors laisse moi ta place !

Je pouvais difficilement faire marche arrière, tant physiquement que pour mon honneur, et je me lançais dans le passage. Ce n'était pas si facile, et sans l'aide de Bakorel je ne sais pas si j'y serais arrivée. Il m'indiqua, tout en me tirant, que je pouvais m'accrocher aux câbles pour faciliter ma remontée. Erik arrivant je lui indique de faire de même et nous voilà tous les trois de l'autre côté... Erik admis quand même que le tout était plutôt impressionnant, à mon grand étonnement il s'excusa même :

- Excuse-moi Naoma, j'admets que j'ai moi aussi eu quelques secondes d'hésitation avant de me lancer.

Bakorel nous fit alors signe de ne pas faire de bruit, et nous le suivîmes silencieusement en jetant un coup d'oeil rapide chaque fois qu'une petite ouverture nous permettait d'observer ce qui se trouvait en-dessous. Nous passâmes ainsi par-dessus multiples autres grandes salles ou travaillaient des centaines ou peut-être des milliers d'hommes. Une échelle nous amèna ensuite dans des quartiers plus calmes, puis de nouveau de grandes salles. Dans ces dernières il me sembla voir une fabrication de galettes, telle que nous avions pour nos repas en cellule. C'était d'ailleurs tout près d'ici que Bakorel nous demanda de l'attendre. Il descendit dans l'un des couloirs au moment ou personne ne passait et prit soin de refermer l'accès. Erik me demanda alors de me mettre sur le côté pour qu'il tentât de se glisser près de moi et discuter doucement, je lui fais pas de mon étonnement :

- Tu as vue toutes ces salles ? C'est fou, mais que fabriquent-ils ?

- Dans les dernières salles j'ai vue qu'ils en sortaient des galettes...

- Oui mais celle d'avant ? Les premières ? La forge et celle d'après ? C'est dingue toutes ces installations ici sous terre, comment personne ne peut-il être au courant ?

- Aucune idée, on dirait comme une communauté indépendante, c'est peut-être une secte, à moins que là-haut à la surface nous soyons tous menés en bateau depuis des années et qu'il existe une sorte de société secrète souterraine...

- Mais c'est impossible, avec les appareils modernes, les radars et tout, et même le bruit, ce ne doit pas être dur à trouver, on arrive quand même à détecter des nappes de pétrole à des kilomètres sous la surface !

- Tu as raison, mais Ylraw disait que ces hommes avaient des entrées dans les gouvernements et les sphères du pouvoir, peut-être qu'ils aident à garder tout ces installations secretes.

- Bakorel semblait dire que c'était dangereux de sortir, tu crois que nous ne pourrons pas partir d'ici ?

- Je n'en sais rien, peut-être l'a-t-on juste tellement mis en garde qu'il n'a même pas tenter de sortir. Mais c'est aussi très étrange, nous n'avons vue aucune femme ou enfant depuis notre arrivée, dans les forges je veux bien, mais même dans les usine de nourriture il n'y en a pas.

- Ça a l'air très grand, peut-être sont-elles dans d'autres sections, celles qui fabriquent les habits par exemple.

- Oui c'est possible, il faudra que nous demandions à Bakorel. Qu'est-il allé chercher, d'ailleurs, t'a-t-il dit ?

- Non il m'a juste fait signe de rester ici et d'attendre sans faire de bruit, du moins c'est ce que j'ai compris, puis il est descendu.

Nous parlâmes encore quelques instants de diverses autres choses, de cet attention que Bakorel avait de ne pas gaspiller de l'eau, pourtant l'eau ne devait pas faire défaut si profond, et ces combinaisons étranges recouvertes de ce tissus qui permet de se laver, puis chacun partit dans ses pensées, silencieusement... J'étais si triste de ne plus t'avoir à nos côtés, si triste que cette histoire, qui était finalement la tienne, tout d'un coup ne fût plus ton affaire... Je me disais que je devrais poursuivre ton récit, mais que je ne savais pas trop comment faire pour retrouver la première partie que tu avais déjà écrite. Je fus tirée de mes rêvasseries par des cris et du vacarme. Erik repassa derrière moi au cas ou il fallut repartir en arrière. Il ne fallait pas être claustrophobe dans ces conduites, je crois que je ne serais même pas parvenue à me retourner pour rebrousser chemin, il me faudrait reculer.

Tout d'un coup les cris se firent plus proches, et des personnes arrivèrent en courant de la direction vers laquelle était partie Bakorel. Bakorel qui ne tarda pas à passer en courant juste en-dessous sans s'arrêter, suivi de cinq ou six hommes le poursuivant. Je crus comprendre qu'il me fit signe de partir en arrière, mais je n'en était pas sûre. Mais Erik était d'accord avec moi qu'il était plus prudent de retourner dans la cachette de Bakorel, endroit où il serait le plus susceptible de le retrouver. Nous parcourîme donc le chemin inverse. Au début la multitude de croisements et de bifurcations commencèrent à nous perdre. Je commençai à m'affoler un peu à l'idée d'être complètement désorientée et loin du bon trajet. Heureusement grâce au bruit des forges nous parvenîmes à retrouver le parcours. Une fois le chemin de retour plus facile à suivre, nous observâmes plus précisément les salles sur lesquelles nous passions. Il y avait bien deux salles de fabrication de galettes, une autre où je n'arrivais pas à distinguer à quoi s'affairent les hommes, plusieurs couloirs et salles vides, et enfin les suffocantes et bruyantes forges proches de l'entrée de la cachette. J'avais toujours un peu d'appréhension à me suspendre dans le vide, et je manquai de crier quand une de mes mains glissa un peu, mais je parvins sans trop de mal à passer de l'autre côté. Erik me conseilla de ne pas refermer derrière nous, ce passage étant sûrement la seule issue pour Bakorel. C'était aussi très compliqué pour arriver jusqu'à la cachette, car nous étions alors dans le noir. Mais finalement nous retrouvâmes l'échelle escamotable et retournâmes attendre Bakorel tapis dans un coin, au cas où quelqu'un d'autre que Bakorel n'arrivât jusqu'ici.

Nous attendîmes plusieurs heures, puis, finalement quelqu'un tenta d'ouvrir la lourde porte. Erik avait étudié le mécanisme actionnant l'ascenseur, qui aurait pu être une sorte de sortie de secours, mais ce fut inutile car c'était bien Bakorel qui arriva souriant les bras et les poches chargés de bouteilles et de galettes. C'était sans doute de cette façon qu'il récupèrait les compléments pour fabriquer ses propres galettes. Mais ce soir, c'était repas de fêtes, et nous eûmes droit à une demi galette encore un peu chaude comme festin !

Avant de nous coucher, je parlai encore plusieurs heures avec Bakorel, pour nous amuser un peu, apprendre de nouveaux mots, mais aussi pour lui poser plein de questions. Je croyais comprendre que les grosses forges servaient à fabriquer des avions et des armes. Bakorel comptait le temps en nombre de cycles de sommeil, et cela fait plus de quatre mille cycles qu'il comptait, et il pensait que cela faisait huit mille cycles qu'il était né. Si un cycle faisait à peu près un jour, il avait donc aux alentours de vingt-deux ans, ce qui semblait correspondre, même si je lui aurais donné trois ou quatre ans de moins. Il s'était caché ici avec sa mère avant qu'elle ne se fît attrapée, puis emmenée et peut-être tuée par ces hommes. Il n'y avait pas de femme ni d'enfant ici, ceux-ci étaient tous ailleurs, je ne saisis pas très bien où... "

Je me suis endormi alors que Naoma raconte ses dernières découvertes avec Bakorel. Au petit matin elle me dit avoir arrêté de me parler quand elle s'est aperçu que je ne répondais plus à ses questions pour savoir si j'écoutais ; elle m'a alors fait un bisous sur la joue avant de s'endormir à son tour.

C'est Erik qui nous réveille de bon matin, avec sa finesse habituelle. Je me suis réveillé plusieurs fois dans la nuit, inquiet, et ce n'est que tard que je me suis réellement endormi. Erik est toujours un peu distant, et je crois qu'il se méfie encore, ou n'est pas des plus joyeux de se retrouver je ne sais où perdu avec nous. Je ne sais pas encore grand chose de sa vie, de ce qu'il faisait avant, s'il a des enfants, s'il avait une copine... Naoma a un peu peur de lui je crois, elle ne lui fait non plus pas totalement confiance, malgré le temps qu'ils ont pu passé tous les deux quand j'étais mort, enfin presque mort je pense, puisque je suis toujours ici...

- Debout, j'ai fait du feu.

- Tu as réussi ! Cool.

- Mais on ne va quand même pas manger un lézard ou un rat grillé au déjeuner !

- Tu fais comme tu veux moi j'ai faim !

Nous rejoignons Erik, il a déjà installé un petit montage pour faire griller un lézard. Il a installé le feu dans l'entrée, à l'extérieur, comme cela le feu sera protégé en cas de pluie.

- On devrait peut-être tenter de faire pousser du blé, je pourrai ensuite faire de la farine et du pain.

- Oh oui ! Du bon pain comme tu faisais à la boulangerie !

- Pourquoi pas creuser une rivière et construire un moulin tant que vous y êtes, je n'ai pas envie de passer ma vie ici moi.

- pfff.

- Mouais, en attendant je ne sais pas comment nous allons partir, il nous faudra sans doute aller jusqu'à la barre rocheuse, et le voyage prendra plusieurs jours, peut-être même des semaines à travers cette jungle.

- C'est vrai. À moins que l'on arrive à faire marcher ces tubes.

- Ces tubes ? Qu'est ce que tu veux dire ? Ces tubes permettent de se déplacer ? Ce sont des téléporteurs ?

- Tiens mange du lézard. Naoma, continue de lui raconter, il bosse dans l'informatique après tout, si ça se trouve il trouvera comment ces trucs marchent.

Naoma accepte finalement de manger aussi un bout de lézard, pendant qu'Erik prépare un des gros rats. Elle me rappelle les deux trois éléments qui n'étaient pas très clairs juste avant que je m'endorme, et continue l'histoire :

" Bakorel nous prépara un coin pour dormir dans sa chambre, et il me gâta particulièrement en me donnant le meilleur lit. Il n'etait pas forcément très confortable, mais j'étais tellement fatiguée que je m'endormis en quelques secondes. Je ne sais pas combien de temps je dormis, mais quand je me réveillais j'étais toute seule dans la pièce. J'eus d'abord un peu peur et je me précipitai au dehors, mais je fus rassurée de retrouver Erik et Bakorel en pleine discussion dans la salle d'écriture. Bakorel me tendit un bout de galette et un verre d'eau, et Erik me résuma la situation.

- Il y a bien un moyen de remonter, et il semble qu'il y soit déjà allé, ce que je ne comprends pas très bien. Toujours est-il qu'il connaît le chemin et peut nous aider à arriver à la surface. Mais c'est très long et il nous faudra au moins deux jours entre tous les conduits et les échelles. Il semble connaître la structure des bâtiments par coeur, c'est impressionnant, il sait tous les endroits où il y a un danger, où il faut faire attention, enfin... Il nous faut juste prendre de quoi manger pour arriver là-haut.

- OK.

J'aurais bien demandé s'il était possible de se laver les cheveux, mais je pense qu'Erik l'aurait mal pris. À défaut je demandai à Bakorel s'il savait combien de temps nous pouvions conserver les combinaisons sans les changer. J'étais un peu gênée de lui expliquer que nous faisons nos besoins dedans, mais il n'eut pas l'air d'en être étonné le moins du monde, et il me montra alors qu'aux bouts des manches il y a de minuscules petits points de couleurs bleus et rouges, et qu'une fois tous ceux-ci à rouge, il fallait changer ou vider la combinaison. De plus il semblait indiquer qu'en sus de ces indicateurs, il existait une sorte de pression sur le ventre quand la combinaison était pleine. Je tentais d'être subtile en lui demandant si la combinaison pouvait servir à se laver les cheveux, et je fus surprise quand il m'indiqua qu'il suffisait d'étirer le col pour que cela devienne une capuche et lave les cheveux par la même occasion. Je fus impressionnée de l'efficacité de cette sorte de shampoing, mes cheveux en ressortirent plus propres que jamais. Je compris alors que je pouvais faire de même pour me laver les mains, juste étirer la combinaison pour les glisser à l'intérieur.

Mais nous ne perdîmes pas de temps, et une fois un peu de nourriture emballée, nous nous préparâmes à partir. Erik s'inquièta quand même que nous n'avions pas d'eau, mais Bakorel avait heureusement quelques pain d'eau qui étaient une vrai merveille pour transporter de quoi boire facilement. Nos paquetages prêts, nous reprîmes le chemin de la veille pour sortir. J'étais toujours pétrifiée par cette sortie au niveau des forges, et il ne faudrait pas que je fisse ce passage souvent si je ne voulais pas mourir d'une crise cardiaque.

À marcher à quatre pattes en permanence je compris rapidement qu'il nous fallût deux jours, c'était très éprouvant ; je me demandai comment faisait Bakorel qui se promènait dans ces couloirs depuis plus de dix ans ! Heureusement que tout se passa plutôt bien, nous avançions doucement mais ne faisions que de rares et courtes pause. Par contre nous traversions toujours et toujours les même enchaînement de couloirs, de salle de fabrication de combinaisons, de galettes ou de je ne sais encore trop quelles armes dont parlait Bakorel. Après cinq ou six heures, nous nous arrêtâmes enfin pour manger et nous reposer un peu.

Erik et Bakorel ne me laissèrent pas plus d'une demi-heure de pause, nous repartîmes. Mes genoux me faisaient horriblement souffrir, je ne savais pas si je pourrais tenir très longtemps. La combinaison avait beau amortir un peu, ce n'était pas tellement le frottement mais juste le poids du corps qui fatiguait. Je bénissais les passages où nous devions montée une échelle, permettant de se dégourdir les jambes et de s'étirer un peu. Nous nous attardâmes quelques instant au-dessus d'une salle où une trentaine d'hommes s'entraînaient au maniement de l'épée. Sans doute de ceux qui nous avaient emmené ici. Mais combien d'hommes y avait-il dans ces sous-sols ? Je profitais d'une nouvelle pause quelques heures plus tard pour le demander à Bakorel. Il lui fallut quelques temps pour m'expliquer le principe de la multiplication, qu'il décrit en représentant des petits groupes virtuels sur le mur. Finalement il estimait, si j'ai bien compris, entre dix mille et trente mille le nombre d'habitants, ce qui me parut énorme. Peut-être n'était-ce plus justement qu'entre mille et trois mille, comme le pensait Erik. Mais en y réfléchissant s'il fallait fabriquer la nourriture, les combinaisons, et toutes leurs usines et forges pour les armes et les avions, c'était peut-être cohérent. Il me paraissait juste incroyable qu'il y eut dix mille, voire même trente mille personnes qui vivaient cachés sous le sol depuis des dizaines d'années.

Nous continuâmes notre avancée, et nous arrêtâmes pour le soir, autant qu'il pût y avoir un soir au milieu des lumières artificielles, après être montée à des échelles pendant sans doute près d'une heure. J'avais les bras en compote. Je ne sais pas combien de centaines de mètre nous avions monté. Bakorel nous avait emmené dans un petit recoin un peu plus large, ou il faisait un peu plus chaud, pour la nuit. Je tentais de lui demander la distance entre sa cachette et ici, et entre ici et la surface. Il m'indiqua tout d'abord son unité de mesure, quelque chose qui ne devait pas faire loin d'un pied, soit de l'ordre de trente-trois centimètres. En utilisant cette mesure, nous avions monté environ six cent mètres dans la journée, et je fut heureuse d'apprendre qu'il ne nous restait que quatre cent mètres pour le lendemain.

Je dormis mal, très mal, inquiète et réveillée au moindre bruit qui résonnait dans la conduite. Je ne savais pas trop s'il y avait des bêtes qui couraient, ou des insectes, mais rien que d'y penser j'en avais la chair de poule. Bakorel semblait dormir profondément, et je n'entendis pas Erik, mais quand Bakorel se réveilla finalement et que nous mangeâmes un bout, au vu de sa mauvaise humeur, pas tellement qu'il n'en eut pas d'habitude, mais à ce moment d'autant plus, je me dis qu'il n'avait pas dû lui non plus faire de si beaux rêves. Le déjeuner fut frugal mais ces galettes tenaient bien au corps.

Nous ne traînâmes pas et reprîmes rapidement notre route. La conduite changea, elle était désormais circulaire et non plus rectangulaire, et plus étroite. Cette nouvelle forme ne me gênait pas encore trop mais Erik avait plus de mal. D'autre part le bruit était beaucoup plus fort quand nous nous déplacions et nous devions stopper au moindre signe suspect. J'en regrettais presque la première journée. Et les tracas ne s'arrêtèrent pas là, après deux ou trois heures, Bakorel sembla perdre un peu son orientation et nous fîmes plusieurs fois marche arrière face à des culs de sac. De toute évidence il ne reconnaissait plus le chemin, ou celui-ci avait changé depuis son dernier passage. Il nous demanda finalement de l'attendre, lui seul aurait plus vite fait d'explorer les différentes possibilité pour retrouver la voie.

Cette nouvelle pause ne me déplut pas, et je m'endormis même avant le retour de Bakorel. Il confirma qu'il y avait bien eut un changement dans la configuration des conduites, et que si nous désirions continuer il nous faudrait traverser rapidement quelques couloirs, où le danger guettait, avant de retrouver plus tard la suite du chemin. Nous n'étions pas montés jusqu'ici pour nous arrêter, et de toute façon nous voulions coûte que coûte ressortir au grand jour.

J'eus très peur, traverser ses couloirs, me cacher le coeur battant dans une salle ouverte au hasard quand des hommes approchaient, courir vite et silencieusement en longeant le mur d'une salle remplie de personnes travaillant sur des sortes d'ordinateurs, et enfin monter sans bruit le long d'une échelle couinant au moindre mouvement brusque. J'espèrais de tout mon coeur qu'il ne faudrait pas qu'on retournât là-bas !

La suite fut plus simple, au moins les premières heures, et on voyait à l'état des installations que nous arrivions dans des parties plus anciennes, beaucoup plus anciennes. Je tentai de demander à Bakorel l'âge de ces bâtiment, en lui faisant l'analogie entre son âge de huit mille jours, et en lui demandant l'équivalent pour tout ce qui nous entourait, il me répondit qu'il pensait que cette structure avait entre vingt mille et trente mille jours, ce qui faisait à peu près soixante à quatre-vingt dix ans. Je ne trouvais pas dément qu'une telle structure puisse avoir été commencée au début du siècle, enfin, au début du siècle dernier, et qu'il eut fallu toutes ses années pour en faire un si gros complexe abritant vingt mille personnes. De plus il semblait rajouter, mais je ne suis pas sûre d'avoir bien saisie, que depuis quelques mois tout était plus rapide, qu'ils fabriquaient plus d'avions, alors qu'avant c'était plus tranquille. Il mimait plutôt bien et il m'amusait à me représenter l'ouvrier qui travaillait sur un avion puis passait plusieurs jours à ne rien faire, puis le même ouvrier qui mourrait désormais sous la charge de travail. Il allait donc sans doute se passer quelque chose dans peu de temps...

Nous avancions et grimpions tout le reste de la journée, mais j'étais épuisée et nous n'allions pas assez vite pour Bakorel qui nous réprimandait de vouloir faire des pauses. Mais je ne me sentais pas à l'écart dans la mesure où s'il ne disait rien, Erik n'avait pas l'air mécontent de s'arrêter de temps en temps. Et pour terminer Bakorel décida alors de faire une nouvelle coupure de sommeil, remettant au lendemain l'arrivée en surface. Je dormis mieux cette nuit là, sans doute plus par fatigue que par le fait que je me sentais plus rassurée.

Nous eûmes encore trois bonnes heures de montée le lendemain matin, même si j'avoue ne plus avoir alors très bien la notion du temps. Sur la fin Bakorel paraissait de plus en plus stressé. Nous faisions une pause pendant laquelle nous mangeâmes un peu et surtout pendant laquelle il nous expliqua qu'il n'y avait plus de conduites qui nous permettaient d'avancer tranquillement. Nous devrions emprunter les couloirs, et, naturellement, affronter les dangers associés. Je reconnaissais facilement la façon dont il disait que c'était dangereux, car il mimait alors avec une tête bizarre en la laissant pendre sur le côté, la langue tirée, les yeux mi-clos. Bref nous nous retrouvâmes dans les couloirs, ce qui me rendit extrêmement nerveuse, sursautant au moindre bruit. Nous marchâmes pourtant sans encombre jusqu'à un premier ascenseur, qui nous permit de gravir une dizaine de niveaux rapidement. Malheureusement à l'ouverture des portes des personnes marchaient dans le couloir, et Bakorel commanda rapidement la redescente d'un niveau en se cachant derrière moi et Erik, qui tournons le dos, en espérant que les hommes n'y verraient rien, dans la mesure où nous portions des combinaisons similaires aux leurs. Nous attendîmes quelques secondes au niveau inférieur et remontâmes, et la voie libre marchâmes rapidement jusqu'à un second ascenseur. Mais Bakorel ne l'utilisa pas après un rapide coup d'oeil et nous le suivîmes jusqu'à trouver une salle vide dont la porte était ouverte ; Bakorel entra et nous le suivîmes. Il ferma la porte et nous indiqua alors qu'il y avait quelques ascenseurs avec une caméra, il fallait donc faire attention. Il dit qu'il y avait beaucoup de caméras aussi dans les couloirs, mais que la plupart étaient cassées. Par contre celle des ascenseurs l'étaient plus rarement. Il nous expliqua aussi que nos combinaisons étaient normales et que tout le monde en portait ici, par contre notre visage, je pense qu'il voulait dire notre couleur de peau, n'était pas normale. Il était vraiment très fort pour mimer tout ces messages, et au passage apprendre quelques mots de plus. Je pense qu'il t'aurait plu.

Une fois ces éclaircissement faits, Bakorel jetta un oeil au dehors et nous repartîmes. Il nous fit trottiner dans plusieurs couloirs, à croire qu'il connaissait tout par coeur, puis nous dûmes monter un plan incliné pendant un bon moment. Mais soudain une voie se fit entendre derrière nous, nous avions été repérés ! Bakorel nous cria "sortir ! Sortir !". Sans doute voulait-il que nous courrions du plus vite que nous pouvions. Courir en montée n'est pas chose aisée et les hommes à nos trousses semblaient entraînés. Heureusement que nous avions un peu d'avance car ceux-ci gagnaient du terrain. Cette avance nous permit, au détour de quelques autres couloirs, de prendre plusieurs intersections et finalement entrer dans une salle sombre pour nous cacher. J'espèrais de tout mon coeur que ces hommes auraient perdu notre trace. Nous restâmes de nouveau plusieurs minutes sans dire mot, à l'affût du moindre bruit. Mais ce ne fut pas de l'extérieur que vint le danger, mais de la salle même quand la lumière s'alluma et que nous comprîmes être dans une salle de repos. Un homme était en train de se réveiller. Fortuitement avant qu'il ne le fut complètement nous quittâmes discrètement les lieux et reprîmes notre marche. Nous trouvâmes enfin un nouvel ascenseur, Bakorel semblait satisfait et nous montâmes encore de cinq niveaux.

Mais ce fut là que les choses se compliquèrent, quand les portes s'ouvrirent, trois hommes nous faisaient face, et nous ne pûmes guère les éviter, Bakorel réagit au quart de tour et leur fonça dedans, il en renversa un et parvint à passer. Erik lui aussi ne se fit pas attendre et poussa les deux autres en rajoutant un puissant coup de point. Quant à moi, je sautai et marchai sur le premier qui se relevait avant de partir au pas de course à la suite de Bakorel. Mais il ne leur fallut pas longtemps pour nous repartir après, et la situation devint critique, les lieux étant beaucoup plus habités que ceux que nous avions traversés jusqu'à présent. Nous fûmes ainsi bientôt la cause d'une véritable débandade, des dizaines d'hommes nous courant après.

Jusqu'alors nous trouvions une voie de libre aux intersections rencontrées, mais à celle-ci nous dûmes choisir celle avec le moins de personnes, et nous préparer à les affronter. Ingénieusement Bakorel retira sa veste pour leur lancer à notre approche, et glissa au sol pour les déséquilibrer. Erik profita de l'effet de surprise, tout comme moi, et un crochet d'Erik assorti d'un grand coup de pied de moi permit d'en envoyer deux à terre alors que le troisième tentait de maîtriser Bakorel qui se débattait. Erik lui vint en aide et nous repartîmes de plus belle, quelques secondes avant que la troupe de nos autres poursuivant n'arrivât.

J'eus bien peur à ce moment que nous ne fussions faits, je ne savais pas trop où nous emmènait Bakorel, mais la situation ne faisait qu'empirer, et lui-même semblait dépassé. Nous ne pourrions jamais tenir tête à tous ces hommes, et je me voyais déjà de nouveau en cellule... Mais c'était sans compter sur l'imagination de Bakorel. Après un tournant, celui-ci accélèra brutalement pour sprinter du plus vite qu'il pouvait, il nous cria "sortiiiiir" en même temps ; si la situation n'avait pas été aussi critique j'en aurai exploser de rire. Bref nous l'imitâmes et ainsi parvînmes à une sorte de ponton sans que personne ne nous vît. Bakorel se jetta alors sous la barrière en s'accrochant à l'un des piquet la soutenant. Nous n'eûmes guère le temps de comprendre et Erik et moi fîmes de même à deux autres piquets. Rapidement nous lâchâmes le piquet comme lui pour nous accrocher à des barres de fers sous la plate-forme. Toujours en l'imitant nous passâmes aussi nos jambes sur les barres sans doute pour tenir plus longtemps. Pendant ce temps nous entendîmes les hommes au pas de course passer au dessus de nous. Bakorel nous fit signe de regarder en bas, il nous désignea et indiqua le bas, puis montra les choses présentes en bas et semblait demander si l'une nous appartenait.

Je fus sans voix. Ces choses, une trentaine de mètres en contrebas, sans doute en réalité ce qu'ils fabriquaient ici, étaient des sortes d'avions de combats, ou plus justement des vaisseaux comme on voit dans les films de science-fiction, des gros, des petits, des centaines d'hommes autour aidant les pilotes à les déplacer, sur les bords de grands containers de missiles. La salle immense avait tout d'un garage, ou les mécanos réparaient ou ajustaient... C'était incroyable...

Bakorel lui n'y trouva, bien sûr, rien de particulier et quelques minutes après le passage des hommes remonta sur le pont. Il m'aida à le rejoindre et il repartit prudemment de l'autre côté du plateau. Nous arrivâmes alors dans un nouveau hangar, et Bakorel nous demanda de nouveau si nous avions quelque chose à nous dans les avions au sol. Nous lui fîmes signe que non, mais nous n'arrivions pas dans le faible temps que nous avions à lui faire comprendre que nous n'étions pas arrivés en avion. Je commençais à me poser de sérieuses questions sur l'endroit où nous étions. Nous continuâmes et traversâmes un bâtiment avant d'arrivée en vue d'une autre hangar. Erik et Bakorel étaient devant, et j'aperçuss quelque chose qui me fit faire un détour. J'appellai Erik :

- Erik !

Il ne répondis pas, je criai plus fort.

- Erik ! Viens voir !

Erik me répondit, il se trouvait avec Bakorel au-dessus d'un nouveau hangar, j'avais, moi, pris un petit couloir qui donnait sur une grande baie vitrée.

- Non viens toi, il faut que l'on parte d'ici, on va pas tarder à se faire choper, il faut lui faire comprendre qu'on n'est pas venue avec ces trucs, dépêche toi !

J'insistai :

- Non toi viens, vite !

Erik se rapprocha. Il apparut et me prit par le bras.

- Il vaut mieux suivre Bakorel, sinon nous allons rapid...

Il se tut en voyant ce que je voyais par la baie vitrée. J'avoue que j'avais du mal à comprendre moi-aussi, et j'étais bouche bée.

Devant nous s'étendait une grande plaine de poussière et de roche grise, jusqu'à une barrière rocheuse probablement à plusieurs kilomètres de là. Aux pieds des bâtiments se trouvaient des pistes d'envol où étaient stationnés des vaisseaux similaires à ce que nous avions vus dans les hangars. Certains d'entre eux décollaient ou atterrissaient, légèrement de biais. Des hommes en combinaison spatiale s'affèraient autour des vaisseaux, alors que d'autres véhicules à chenilles tiraient ou poussaient les vaisseaux sur les pistes. Le ciel était noir, et rempli d'étoiles, et un peu au dessus de l'horizon on distingue une planète bleue et blanche, toute petite.

Bakorel vint rapidement nous tirer de notre stupéfaction, et comprit aussi que nous ne nous attendions pas à trouver ce paysage à la surface. Rapidement nous tombâmes d'accord de repartir nous cacher, et nous courûmes à toute allure dans les couloirs pour revenir sur nos pas. Bakorel choisit finalement une pièce vide à la porte ouverte ou nous rentrâmes et refermîmes la porte. "

J'interromps Naoma.

- Mais tu veux dire que vous n'étiez pas sur la Terre ? Tu es sûre que c'était bien l'extérieur, que ce n'était pas un écran quelque chose comme cela ?

Erik s'exclame :

- Prends nous pour des cons aussi, c'était bien l'extérieur, et non nous n'étions pas sur la Terre. Le plus probable était que nous fussions sur la Lune, la planète au loin ressemblait bien à la Terre, mais elle semblait un peu petite.

Naoma acquiesce. Je ne comprends pas :

- Petite ?

- Oui petite. Quand on voit la Lune de la Terre, celle-ci n'a pas toujours la même taille mais bon en gros elle à un certain diamètre.

- Diamètre apparent...

- Oui on s'en fout tu comprends ce que je veux dire, et bien là la planète était beaucoup plus petite que la Lune ne l'est vue de la Terre, alors que ce devrait plutôt être le contraire.

- Mais ce n'était pas la Lune alors, et la gravité, vous aviez l'impression de peser plus lourd ou moins lourd que sur Terre ?

Naoma répond :

- Et bien je ne sais pas, je dirais pareil ? J'ai pas trop fait la différence, et toi Erik ?

- Non plus.

- Ce n'est sûrement pas la Lune alors mais c'est où ? C'est les tubes ! Les tubes ! C'est des téléporteurs ! C'est pour cela qu'on s'est retrouvé dans les tubes en arrivant ici ! Mais alors on n'est peut-être pas sur la Terre ?

- Ben...

- Oh bordel c'est dingue !

- Mais on peut très bien y être quand même, il faut avouer que ça ressemble pas mal, et puis tu verras quand Naoma te racontera la fin de l'histoire. En attendant allons chasser.

Nous partons de nouveau à la chasse avec nos barres et nos paniers, mais j'avoue que je suis bien pensif sur ce que m'ont raconté Naoma et Erik. Les hommes nous auraient enlever sur Terre pour nous emmener sur la Lune ou une planète je ne sais où, tout cela pour que je rencontre un mec bleu qui m'a détruit le cerveau ? Mais qui ces gens pensent que je suis ? Sans réponse je finis par me consacrer plus activement à la chasse de façon à accélérer tout cela et plus rapidement avoir la suite du récit. Je fais remarquer que nous devrions tenter de trouver de quoi faire un récipient pour récolter de l'eau à la prochaine pluie. Bien sûr sans outils c'est plus facile à dire qu'à faire. Si nous avions ne serait-ce qu'un petit canif, cela permettrait déjà de creuser une branche de bois. Toutefois les fruits que nous ramassons sont gorgés d'eau et désaltèrent énormément, sans compter qu'en comptant sur une pluie aussi violente que la veille, en dix minutes en créant un creux dans nos mains nous pourrons sans doute boire plus qu'il n'en faut. Mais c'est toujours plus rassurant d'avoir à porter de main un peu d'eau plutôt que de compter sur le bon vouloir de la météo. Jusqu'à présent nos progressions dans la forêt ne nous ont pas permis de découvrir une rivière ou une retenue d'eau.

La chasse tout comme la cueillette ne sont pas mauvaises, la forêt regorge d'animaux et de fruits. Nous restons tout de même proches les uns des autres, percevant de temps en temps quelques gros animaux qui nous tournent autour. Mais, s'il a le don de faire partir toutes nos proies, le vacarme fait en tapant deux barres l'une contre l'autre ou sur une des cages en fer fait aussi partir en courant les gourmands qui nous voudraient comme plat principal.

En deux ou trois heures nous avons largement de quoi manger pour la journée, de plus n'ayant pas de moyen de conserver nos aliments, il est inutile d'en chasser plus que nécessaire. Nous ramenons l'ensemble aux bâtiments, et repartons chercher du bois mort pour le feu. Ceci fait, notre journée de labeur étant terminée, il ne nous reste plus qu'à profiter du Soleil pour continuer notre exploration des environs. Cette fois-ci c'est au tour d'Erik de monter sur le toit, non pas pour repérer la lueur d'une ville, il fait bien trop jour, mais étant le plus grand de nous trois il aura peut-être plus de chance de découvrir une clairière ou d'autres bâtiments à proximité. Mais rien, des arbres, des arbres, des arbres...

Nous décidons tout de même de continuer l'avancée dans la forêt, dans l'espoir de trouver quelque chose. Je supplie Naoma de poursuivre son récit, alors qu'Erik nous fraye un passage dans les sous-bois.

" Bakorel avait bien compris, au vue de notre étonnement, que nous ne nous souvenions pas être arrivés par vaisseaux. Mais, comme me le fit remarquer Erik, autant on pourrait admettre que des mines dans le sous-sol puissent rester secrètes, et encore, il était plus difficilement crédible que des vaisseaux partaient incognito sur la Lune sans que personne ne s'en inquiètât :

- À moins que ce soit la première fois ?

- Oui mais même dans cette hypothèse, cela devient tout de suite plus difficilement imaginable que cette base existe depuis soixante ans, comme le dit Bakorel. Et en poussant le bouchon plus loin en admettant que cette base a été commencée dès l'arrivée de l'homme sur la lune, c'était quand ?

- Hum, en 1969 je crois

- Oui, donc en imaginant qu'elle ait été commencée en 69, et donc qu'elle n'ait que trente ans, c'est impossible que personne ne l'ait vue dans des télescopes amateurs ou autre !

- J'avais lu qu'il y avait des rumeurs laissant penser que les images de la NASA de l'homme marchant sur la Lune étaient fausses.

- Oui après tout peut-être que tout le monde est de mèche et que l'on nous mène en bateau depuis toujours, mais dans ce cas là plus rien n'est vrai et je jette l'éponge.

Pendant que nous discutions avec Erik, Bakorel semblait vouloir nous dire quelque chose. Quand finalement je l'écoutai, enfin, je le regardais mimer, pour être exacte, il répèta que nous ne pensions pas être venue en vaisseau. Puis il nous représenta tout deux endormis, allongé dans une sorte de couchette penchée. Les tubes ! Je demandai des précisions en mimant le système d'ouverture des tubes et le fait que nous soyons nus, il confirma ! J'essayai alors de lui dire que nous étions sur la planète que nous avons vue dans le ciel, que là-haut nous étions allés dans des tubes, puis que nous avions disparu pour apparaître dans les tubes ici. Bakorel acquiesça et poursuivit en nous demandant, je crois, si nous voulions retourner là-bas. Nous fûmes affirmatifs. Il nous prévint que c'était dangereux, mais nous confirmâmes que nous voulions bien quand même y aller.

Bakorel dessina un plan imaginaire sur le sol et nous fit comprendre que la salle des tubes n'était pas très loin d'ici, à environ deux cent mètres, et que nous allions y aller en courant. J'avais le coeur qui tambourinait rien que d'y penser, mais je ne me sentais pas non plus de faire tout le chemin inverse pour retourner dans sa cachette, alors...

Bakorel jeta un oeil dans la salle où nous nous trouvions, sans doute à la recherche d'une arme ou de quoi se défendre, mais il n'y avait qu'un ordinateur sur un bureau avec une chaise proche et des piles de chaises entassées les unes sur les autres contre une paroi. Question autodéfense je crois que l'on a vue mieux qu'une chaise, alors ni de une ni de deux nous ouvrîmes la porte et partîmes au pas de course.

Il ne faudrait pas longtemps avant que nous fussions de nouveau repérés, mais cette fois-ci ce n'était plus la même histoire. Les hommes ayant perdu notre trace, ils s'étaient sans doute armés et mis à patrouiller. J'en fis les frais et je fus touchée au bras en traversant une intersection. Erik prit alors la direction des opérations. Nous semâmes le premier groupe d'hommes après deux trois zigzags, et je louai Dieu que ces bâtiments fussent de vrai labyrinthes. Bakorel voulut continuer à courir mais Erik le retint et nous avançâmes lentement jusqu'à une nouvelle intersection. Erik donna un rapide coup d'oeil, la voie étant libre nous continuâmes. À la suivante nous redoublâmes de prudence en entendant deux hommes discuter. Ils s'approchaient, au moment ou les deux hommes débouchaient du couloir, Erik les surprit et Bakorel lui prêta main forte. Bakorel récupèra l'arme du premier premier et n'hésita pas une seconde à s'en servir. Je retins un cri. Les armes étaient silencieuses mais très efficaces. C'étaient des sortes de petits fusils avec un prolongement pour prendre appui sur l'avant-bras. Erik semblait décontenancé, il n'y avait pas de gâchette. Nous repartimes et Bakorel lui expliqua le fonctionnement. J'avoue que je n'ai pas suivi à ce moment, pensant plus à ma blessure et à rester derrière Erik. "

Naoma stoppe et s'adresse à Erik :

- Erik, tu pourrais raconter la fin peut-être, pour moi c'est un peu flou.

Erik prend la suite de l'histoire :

" L'arme en question était pilotée par la pensée. Ce que Bakorel m'expliqua en courant, c'était que je devais glisser les capteurs sous ma combinaison pour les avoir au niveau de la peau. En effet les hommes avaient eux les manches retroussées. Une fois cette tenue prise, il fallait regarder sa cible fixement et s'imaginer tirer dessus, et alors l'appareil, qui en plus de recevoir des ordres des nerfs dans le bras pouvait aussi en donner quelques uns, me donnait des indications sur comment placer mon bras correctement pour avoir la cible que j'étais en train de regarder. C'était très impressionnant, l'appareil donnait de petites impulsions au bras pour le déplacer à droite ou à gauche, ou encore en haut et en bas. Enfin bref je ne tardai pas à en tester l'usage. Nous n'avions encore personne à nos trousses et ne restions jamais très longtemps en ligne droite, car ces armes étaient très efficaces et nous n'aurions pas fait long feu. Heureusement pour nous ils ne semblaient pas tous en avoir, et l'approche de la salle des tubes se fit plutôt facilement. Enfin facilité toute relative car Naoma fut de nouveau touchée, à la jambe cette fois, et la blessure avait l'air sévère, et moi sur le côté du ventre. Je dus la traîner tant bien que mal avec moi dans la salle n'ayant pas le temps ni les moyens de faire plus, ma blessure étant aussi très douloureuse. De plus je tirais simultanément autant que je pouvais sur les hommes approchant pour les empêcher de nous avoir en ligne de mire. Ces armes étaient vraiment fabuleuses. Bakorel une fois à l'intérieur fut on ne peut plus expéditif et n'hésita pas à tirer sur quatre des cinq hommes présents dans la pièce, les envoyant au tapis. Il parla au cinquième, qui verrouilla la porte et commença à s'afférer sur les ordinateurs proches des tubes. Heureusement qu'il était là, sinon nous aurions eu un mal fou pour faire comprendre ce que nous voulions, d'autant qu'une fois dans les tubes l'homme aurait bien pu nous envoyer au fin fond de l'enfer, ou nulle part... Bakorel nous indiqua alors de retirer nos vêtements et de nous placer dans les tubes. Je m'occupai tout d'abord de Naoma qui avait perdu connaissance, et une fois allongée dans un tube, je me plaçais moi-même dans un deuxième. Bakorel parlait toujours à l'homme restant alors que l'on entendait que ceux à l'extérieur tentaient de défoncer la porte. Les tubes se refermèrent sur nous, et je ne vis plus rien. Je restais éveillé quelques minutes, la dernière chose que j'entendis fut une grosse explosion suivie de nombreux bruits caractéristiques des armes ; ce fut sans doute la porte qui explosait avant l'entrée de la cavalerie. "

Naoma reprend la parole.

- Pauvre Bakorel, il a sûrement été tué quand les hommes sont entrés. C'est vraiment bête, alors qu'il nous avait sauvés. Tu comprends maintenant pourquoi je t'ai parlé de Bakorel quand tu t'es réveillé, nous étions persuadé qu'il avait finalement réussi lui aussi à entrer dans un tube.

- Mais alors ça veut dire que je suis vraiment mort là-bas ?

- Et bien oui, nous te l'avons dit, que croyais-tu ?

- Et bien je me disais que je n'étais pas vraiment mort, ou en tous les cas que les hommes m'avait emmené dans les tubes pour me soigner. Mais vous êtes sûr que je n'étais pas dans l'un des tubes à ce moment là et que j'ai été transporté par la même occasion ?

Erik semble négatif :

- Les tubes étaient vides. Peut-être qu'il y en avait d'autres dans une autre salle, mais ceux dans lesquels nous sommes partis, qui étaient les mêmes que ceux dans lesquels nous sommes arrivés, étaient bien vides.

- Moi je ne sais pas je n'étais pas consciente, seul Erik a vue.

- Mais comment est-ce possible alors ? Est-ce que j'aurais pu être là avant vous ? Où Bakorel aurait-il réussi ensuite à me faire passer ? Combien de temps prends la téléportation ?

- Aucune idée. C'est assez rapide puisque les hommes n'ont pas réussi à nous arrêter après quelques minutes seulement dans les tubes, mais vue que cela guérit toute nos blessures, ce doit être tout de même assez long. Peut-être que le corps est transmis tel quel au début, et il est ensuite soigné de l'autre côté.

- Et vous ne savez pas où était sensé vous envoyer Bakorel ?

- Et bien plus ou moins, de la façon dont nous lui avons fait comprendre, c'est la planète que nous avions vu dans le ciel. Mais peut-être a-t-il indiqué à l'opérateur de nous renvoyé simplement de là d'où nous venions, ce qui voudrait dire que nous sommes de retour sur Terre.

- Comment pourrait-on savoir ? C'est vrai que tous ses arbres, cette jungle, et même les bêtes que nous voyons n'ont pas l'air d'extra-terrestres, mais qui sait, la vie s'est peut-être développée sous la même forme ailleurs ?

- Ça j'en sais rien, ce qui est sûr c'est que l'on peut respirer normalement, que le Soleil brille normalement, que le ciel est bleu et que j'ai la trique au réveil, jusque là, rien d'anormal.

Naoma rigole.

- T'es con Erik des fois.

- Moi aussi j'ai la trique au réveil.

- Toi aussi t'es con. C'est pas ça qui va nous sortir de là !

- De toute façon nous n'aurons pas trente-six manières de partir d'ici, il nous faudra trouver une direction et nous y tenir, une fois sur ces montagnes on pourra avoir plus de choix. À moins que vous préfériez que nous nous installions ici définitivement ?

- La vie n'a pas l'air trop dure, un peu de chasse et de cueillette le matin, puis sieste l'après midi et balade le soir, c'est plutôt pépère, par contre on risque de s'ennuyer un peu à force.

Humour fin d'Erik :

- Et puis je suis pas partageur.

- Quoi ?

- Non rien.



Stycchia

Si ce n'est pas la Terre, cette planète lui ressemble beaucoup, tant par sa nature magnifique que par les rythmes de pluie et de Soleil, les nuages traversant le ciel bleu si pur... Nous avons nourriture et logis sans effort, qu'espérer de plus ? l'Éden ne devait pas être très différent...