cette chaleur. J'ai dû parcourir quinze kilomètres la nuit précédente, et aux alentours d'une dizaine dans la journée. Quand le Soleil tape vraiment trop fort je tente de me reposer sous la plus grosse ombre que je trouve. J'ai la gorge sèche et la déshydratation ne fait qu'empirer de plus en plus ma migraine. Les heures passent. Le Soleil descend un peu. Une fois celui-ci un peu moins haut dans le ciel je reprends la route. J'avance lentement, presque comme un zombi. La nuit tombe. J'ai encore croisé un lézard, mais impossible de l'attraper. Je crois que je serais prêt à manger n'importe quoi. Il est peut-être temps que je me mange un bras, je me suis toujours demander à quel niveau de désespoir et de faim il devenait opportun de se manger un bras...
Je marche une bonne partie de la nuit. Je n'ai même plus sommeil, plus envie de dormir. De plus, c'est la nuit que j'ai le plus de chances de choper un de ces fichus lézards. Le paysage ne change guère et les arbres et la nature ne semblent pas vraiment être plus verts ni plus denses. Je me demande si je fais le bon choix en me dirigeant vers le Sud. J'avance de plus en plus lentement, j'ai tellement mal à la tête que je dois parfois garder mes bras autour pour me soulager. Soudain un lézard me file entre les pattes. Je me lance à sa poursuite comme par réflexe, et j'ai la veine de lui écraser la tête avec mon pied, même si je me déséquilibre et tombe juste après. C'est un beau spécimen, il doit bien peser deux ou trois cents grammes. J'espère que ces bestioles n'ont pas de poison sur la peau comme certaines variétés. Je tente malgré tout de la lui retirer, mais ce n'est pas aussi facile que pour la peau de grenouille, surtout que comme tout appareil contendant je n'ai que mes dents. Je m'installe alors pour manger. J'ai tellement faim que je rogne la moindre petite partie de viande, qui n'a d'ailleurs pas vraiment de goût, même si j'ai un goût assez foireux à la base. Je laisse tout de même une partie des os et les tripes, je le regretterai peut-être plus tard, mais l'odeur est trop désagréable, et puis après ses cuisses charnues je peux bien faire un peu le difficile. Satisfait de mon festin, je fais une pause, puis je repars, avec un peu plus de courage, et dans l'espoir d'en attraper un autre.
Mais ils se sont donnés le mot, et je n'en croise plus un seul de la nuit. Je n'ai pas beaucoup plus avancé que la journée précédente, voire sûrement moins car ma progression est de plus en plus délicate. Quand les lueurs du jour pointent à l'est, je vais me
reposer sous un arbre. Je dors plusieurs heures. Je me réveille lors de la plus forte chaleur, le Soleil étant presque au zénith. Jeudi 21 novembre, voilà maintenant deux jours et demi que je marche. Je ne sais pas combien j'ai parcouru. Au total je pense avoir marché près de cinquante kilomètres. Mais depuis que je me dirige exclusivement vers le Sud, je n'ai dû parcourir qu'un peu plus d'une trentaine de kilomètres. Sachant que j'avais roulé un peu plus de vingt kilomètres avec le fourgon, je dois me trouver à peine à dix kilomètres plus au sud de l'endroit où nous étions garés. Ces calculs n'ont pas pour effet de me donner espoir. J'attends la majeure partie de l'après-midi, très déprimé. J'avance de quelques centaines de mètres, peut-être un kilomètre. Je n'en peux plus. Je sens toutes mes forces me quitter. J'ai du mal à faire le moindre mouvement. Le lézard de la nuit précédente m'avait donné un peu de courage, mais il s'est dorénavant évaporé sous le brûlant Soleil, et il ne me reste plus que le mal au ventre de mon estomac qui gargouille.
J'attends de longues heures que la chaleur tombe. Je crois que j'ai des hallucinations. Je me suis retrouvé à un moment à pointer mon pistolet en direction d'un arbre en pensant que c'était un kangourou. Je ferais vraiment mieux de jeter ce truc, il va me causer des ennuis. Je crois voir des lézards partout. Je ne sais pas si je rêve ou si j'hallucine, il y en a même qui me parlent. Cela devient vraiment très dur. Je jette mon pistolet dans un buisson, rassuré que cette décision m'empêche de faire quelque chose que je pourrais regretter. Et puis tant pis pour les kangourous, je les tuerai à mains nues les salopiauds !
Le soir arrivé je reprends ma pierre dans ma main, je tente de m'éclaircir les esprits, je me concentre et je me lève pour repartir. Je marche doucement mais sûrement. J'ai mal de partout et la tête qui tourne. Mais je tiens bon et je ne pense qu'à une seule chose, avancer. Je croise plusieurs lézards, une souris et entends des oiseaux. Bien sûr je ne réussis pas à en attraper, je n'en ai pas la force, mais de voir un peu plus de vie me remonte le moral. Je me traîne jusqu'au petit matin, et je suis enchanté de me rendre compte que la végétation est un peu plus verte, et plus touffue. Je tente de poursuivre mon chemin tant bien que mal dans le matin naissant. Mais je dois faire une pause, exténué.