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circulaire et non plus rectangulaire, et plus étroite. Cette nouvelle forme ne me gênait pas encore trop mais Erik avait plus de mal, il était beaucoup plus grand et plus large que moi et Bakorel. En plus le bruit était beaucoup plus fort quand nous nous déplacions et nous devions stopper au moindre signe suspect. J'en regrettais presque la première journée. Et les tracas ne se sont pas arrêtés là ; après deux ou trois heures, Bakorel a semblé perdre un peu son orientation et nous avons fait plusieurs fois marche arrière face à des culs de sac. De toute évidence il ne reconnaissait plus le chemin, ou celui-ci avait changé depuis son dernier passage. Il nous a finalement demandé de l'attendre, seul il aurait plus vite fait d'explorer les différentes possibilités pour retrouver la bonne voie.

Cette nouvelle pause ne m'a pas déplu, au point que je m'endorme même avant le retour de Bakorel. Il a bien confirmé qu'il y avait eu un changement dans la configuration des conduites, et que si nous désirions continuer il nous faudrait traverser rapidement quelques couloirs, où le danger guettait, avant de retrouver plus tard la suite du chemin. De toute façon nous n'avions pas le choix, nous n'étions pas montés jusqu'ici pour nous arrêter, nous voulions coûte que coûte ressortir au grand jour.

J'ai eu très peur, traverser ces couloirs, me cacher le coeur battant dans une salle ouverte au hasard quand des hommes approchaient, courir vite et silencieusement en longeant le mur d'une salle remplie de personnes travaillant sur des sortes d'ordinateurs, et enfin monter sans bruit le long d'une échelle couinant au moindre mouvement brusque. J'espèrais de tout mon coeur qu'il ne faudrait pas qu'on retournât là-bas ! Je me disais presque que je préférais être attrapée plutôt que revivre toute cette angoisse.

Heureusement la suite a été plus simple, au moins au début, et on voyait à l'état des installations que nous arrivions dans des parties plus anciennes, beaucoup plus anciennes. J'ai tenté de demander à Bakorel l'âge de ces bâtiments, en lui faisant l'analogie entre son âge de huit mille jours, et en lui demandant l'équivalent pour tout ce qui nous entourait, il m'a répondu qu'il pensait que cette structure avait entre vingt mille et trente mille jours, ce qui faisait à peu près soixante à quatre-vingt dix ans. Je ne trouvais pas dément qu'une telle structure puisse avoir été commencée au début du

siècle, enfin, au début du siècle dernier, et qu'il eut fallu toutes ses années pour en faire un si gros complexe abritant vingt mille personnes. De plus il semblait rajouter, mais je ne suis pas sûre d'avoir bien saisie, que depuis quelques mois tout était plus rapide, qu'ils fabriquaient plus d'avions, alors qu'avant c'était plus tranquille. Il mimait plutôt bien et il m'amusait à me représenter l'ouvrier qui travaillait sur un avion puis passait plusieurs jours à ne rien faire, puis le même ouvrier qui mourrait désormais sous la charge de travail. Il allait donc sans doute se passer quelque chose dans peu de temps, peut-être l'organisation avait bien peur que tu découvres quelque chose...

Nous avons avancé et grimpé tout le reste de la journée, mais j'étais épuisée et nous n'allions pas assez vite pour Bakorel qui nous réprimandait de vouloir faire des pauses. Mais je ne me sentais pas complètement la petite fille capricieuse dans la mesure où s'il ne disait rien, Erik n'avait pas l'air mécontent de s'arrêter de temps en temps. Et pour terminer Bakorel décida finalement de faire une nouvelle coupure de sommeil, remettant au lendemain l'arrivée en surface. Je dormis mieux cette nuit là, sans doute plus par fatigue que par le fait que je me sentais rassurée.

Nous avons eu encore trois bonnes heures de montée le lendemain matin, même si j'avoue ne plus avoir alors très bien la notion du temps, je ne sais pas trop si on se rend compte des minutes et des heures quand on n'a plus de montre pendant plusieurs jours. Sur la fin Bakorel paraissait de plus en plus stressé. À un moment nous avons fait une pause pendant laquelle nous avons mangé un peu et surtout pendant laquelle il nous a expliqué qu'il n'y avait plus de conduites qui nous permettaient d'avancer tranquillement ; nous allions devoir emprunter les couloirs, et, naturellement, affronter les dangers associés. Je reconnaissais facilement la façon dont il disait que c'était dangereux, car il mimait alors avec une tête bizarre en la laissant pendre sur le côté, la langue tirée, les yeux mi-clos. Bref nous nous sommes retrouvés dans les couloirs, ce qui m'a rendu extrêmement nerveuse, sursautant au moindre bruit. Nous avons pourtant marché sans encombre jusqu'à un premier ascenseur, qui nous a permis de gravir une dizaine de niveaux rapidement. Malheureusement à l'ouverture des portes des personnes marchaient dans le couloir, et Bakorel a commandé tout de suite la redescente d'un niveau en se