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voyageait beaucoup. Teegoosh avait l'appui inconditionnel de la plupart des élites, des personnes qui croyaient et participaient le plus dans l'évolution de la société. Mais ce soutien ne lui suffirait pas, d'une part, hormis sur Ève et quelques autres endroits, comme je l'avais expliqué, notre histoire avait laissé une mauvaise image des chercheurs dans la conscience populaire, et d'autre part ceux-ci ne constituaient pas, et de loin, une majorité. Teegoosh pouvait difficilement promouvoir une société où seule une partie des gens travaillât, car c'est justement en combattant cette idée qu'il était arrivé à la tête de la Congrégation. Il était sur une impasse, et se modérer n'aurait fait que donner plus de poids à ses opposants.

Pour ma part, si le débat m'intéressait vaguement, il ne me touchait pas directement pour l'instant, car même si la majorité était pour l'arrêt du travail, ce choix ne remettait pas en question le système éducatif. À partir de là il me faudrait toujours attendre ma majorité pour vraiment faire ce que je voulais, et d'ici là je ne me faisais pas trop de soucis que Goriodon aurait pris le pouvoir, alors je me sentais un peu à l'écart du débat.

L'année officielle changea, l'année d'Ève changea. Je travaillais toujours dans la même université. Ragal ne me donna plus vraiment de nouvelles. Je crois qu'il me manqua, et j'eus envie de le revoir. Finalement j'allai chez lui, un soir. Je ne sais pas trop ce que j'espérais, pas plus que ce que je voulais. Il m'accueillit avec plaisir, et me prépara un de ses plats dont il avait le secret. Il nous arrivait encore de cuisiner, ou plus exactement de suggérer aux artificiels certains changement dans leurs recettes. Nous passâmes la plus grande partie de la soirée à nous amuser avec son appartement. Celui-ci n'était pas très grand, mais Ragal avait personnalisé et amélioré sa conscience. Il était vraiment trop délirant. Je m'amusais comme une folle. Je restais tard. J'étais bien je crois. Ragal me demanda si je voulais rester pour la nuit. Je refusai, mais je le pris tout de même dans mes bras un moment, juste comme ça, pour me sentir proche de lui.

Deux jours plus tard nous passâmes la journée ensemble. Je m'étais dit que je refuserais de faire l'amour avec lui, pour garder un peu de suspense, pour que la chose n'allât pas si vite. Nous passâmes une excellente journée, mais une fois notre balade terminée, quand

nous rentrâmes chez lui, il m'embrassa, et je me laissai faire. Il était plus doux que ce que j'aurais imaginé, plus attentionné. Doucement, comment pouvais-je résister, nous fîmes l'amour. Je ne restai pas pour la nuit. Je préférai rentrer, pour que tout ne s'emballe pas trop vite. Depuis ma séparation avec Phamb, j'avais repris un rythme de vie solitaire qui me seyait bien. Mais je n'avais pas de soucis à me faire, Ragal était aussi un solitaire, et il était distant, tellement distant. Je crois que même aujourd'hui je ne suis pas sûre qu'il ait vraiment tenu à moi, pourtant... Pourtant tout cette histoire bouleversa ma vie.

Nous nous vîmes qu'une fois tous les deux ou trois jours les premiers soirs. Peut-être avais-je eu tort de lui parler de ma vision des relations humaines. Peut-être sachant que je ne cessais de répéter qu'une relation ne durait pas, pas plus pour les autres que pour nous, avait-il déjà pris du recul, avait-il peur de me gêner, avait-il peur que je ne le fuisse s'il s'attachait trop ?

Bref, nous restâmes distants. Je crois que je ne savais pas vraiment ce que je voulais moi-même. Je ne me représentais pas l'avenir. Il me restait dix ans (six années adamiennes) d'études, et je ne voulais pas les faire au même endroit, je voulais bouger, aller voir ailleurs. De plus Goriodon avait de plus en plus de partisans, et je m'étais presque persuadée que je n'aurais pas à travailler, alors je prenais mes études à la légère, passant presque toutes les soirées à sortir. Je me rattrapais de tout le travail que j'avais fait quand j'étais au labo, car alors mes horaires m'empêchaient d'avoir beaucoup d'activité à côté. Ragal aimait son travail et n'aimait pas sortir, ce qui ne rendait pas les choses faciles. Il faisait tout de même quelques efforts et venait avec moi quand il connaissait quelques personnes. Mais il connaissait peu de mes amis, et n'avait pas l'air extrêmement motivé pour que la situation changeât.

Cette situation difficile me poussa, après quelques mois (quelques petits sixièmes), à décider de rompre. Je ne voyais pas d'évolution, pas plus que l'intérêt, ni où nous mènerait notre relation. Je ne me considérais même presque comme ne sortant pas avec lui, nous passions juste une soirée qui va un peu trop loin de temps en temps, une amitié qui dérape. Il le prit plutôt bien, mais Ragal prenait tout bien, c'était le genre de gars qui considérait chaque