tout simplement... Et puis avec ces corps parfaits, impossible de se taper une bonne migraine quand les choses deviennent trop compliquées. Qu'est-ce que je peux bien faire, entre Énavila la déjantée, Pénoplée qui me quitte, Naoma qui a disparu... Erik est avec moi, et finalement c'est la seule personne en qui j'ai réellement confiance...
Voilà presque deux cents jours que je suis dans ce nouvel univers, sept ou huit mois, ça devrait être magnifique, découvrir de nouveaux mondes, découvrir ces nouvelles technologies... Pourtant je suis complètement perdu, je ne sais rien faire, ne comprends rien à leurs lois, leur façon de voir la vie... Après tout voyager dans le temps n'est qu'une illusion, quel intérêt d'arriver dans un monde aussi magnifique soit-il, si on s'y trouve comme un cheveu sur la soupe. Sept ou huit mois, ils doivent tous penser que je suis mort, là-bas, et si j'attends trop, je n'aurai plus non plus ma place là-bas, et je ne serai plus chez moi nulle part...
Je suis soudain interrompu dans mes pensées par une petite abeille qui m'apporte une coupelle de petits gâteaux. Elle me parle intérieurement.
"Vous êtes triste, mangez."
Je souris, on n'a même pas le droit d'être triste, ici, sans que quelques artificiels ne trouvent une parade rapide et efficace. Pourtant c'étaient ces moments de tristesse qui me permettaient de repartir avec d'autant plus de courage sur Terre. Mais peut-être que ce nouveau corps ne réagit pas de la même manière.
Je mange machinalement les petits gâteaux apporté par l'abeille, ils n'ont pas un goût très prononcé, gorgés d'eau et frais. Je reste encore un moment, peut-être une demi-heure, à attendre en pensant à la Terre, à Deborah, à mes parents, ma grand-mère, ma marraine, que j'aime tant, à Mandrake... M'endormant sur place, je me dirige finalement vers ma chambre, l'espace d'un instant je m'imagine que Pénoplée m'y attend, mais non... Je suis seul...
Ah Pénoplée ! Pourquoi m'as-tu quitté ? Pourquoi es-tu partie ? Mais qu'espérais-je ? Je ne suis même pas sûr de l'aimer vraiment, plus préoccupé par ce nouveau monde, et puis que pourrais-je lui apporter ? Nous n'avons rien en commun, hormis peut-être d'aimer faire
l'amour ensemble, et encore, avec ces corps, je me demande si n'importe qui ne ferait pas l'affaire. À un moment où à un autre je lui aurai fait du mal, parce que je ne peux pas rester ici, il faudra que je bouge, que je trouve la solution, que je trouve pourquoi moi, pourquoi la Terre, pourquoi tout ce fourbi et ce délire...
Je retrouve mon bracelet sur ce qui sert de table de nuit, enfin tout du moins un bracelet, je ne sais pas trop si c'est le mien. Je l'enfile, c'est bien le mien. Pas de message de Pénoplée, pas de message tout court, et impossible de la joindre...
Je me déshabille et m'allonge sur le lit, la couverture se morphe et me recouvre, je sens un léger flux le long de mon corps, sans doute une sorte de lavage automatique, à moins que ce ne soit un massage. Quoi que ce soit c'est plus qu'agréable, mais cela ne m'empêche pas de m'endormir une larme à l'oeil...
Cent quatre-vingt onzième jour. C'est Guerd qui me réveille, Érik ne le pouvant pas avec son bracelet, c'est tout de même Erik qui me parle :
"Énavila s'est échappée pendant la nuit, tu devrais jeter un coup d'oeil à ses exploits."
"Échappée, mais comment, elle n'avait pas des trucs qui la bloquaient ?"
"Des traceurs électromagnétiques, si, mais elle a semble-t-il un moyen de rendre bestioles incapables de faire quoi que ce soit."
"Mais où est-elle, désormais ?"
"Ah mais ils l'ont rattrapé, il l'ont ramenée aux bâtiments du Congrès, la bougresse n'est pas invincible !"
Pas encore très réveillé, je regarde l'heure, il est à peine huit trente-sixièmes passés, mais d'un autre côté je me suis couché tôt.
- Je vais demander à Guerd de te transmettre, tu pourras te rendre compte par toi-même.