morosité dans lequel s'enfonçait la Congrégation n'étaient pas fatal, qu'il y avait de nouvelles choses à découvrir, de nouvelles technologies à mettre au point, de nouvelles intelligences artificielles à créer. Jusqu'à présent, hormis en copiant le cerveau humain, nous n'avions pas vraiment réussi à créer une forme d'intelligence supérieure. Bien sûr des artificiels avait en apparence une intelligence bien supérieure à l'homme, mais nous n'avions jamais réussi à créer une "espèce" artificielle non biologique, une forme de vie qui posséderait en elle le sens de la vie, le sens de l'évolution, du combat pour survivre. D'un autre côté depuis le début le développement des artificiels avait tellement était encadré, qu'à aucun moment ils n'avaient vraiment eu l'opportunité d'évoluer par eux-mêmes. Toujours est-il que nous n'avions pas réussi à créer une "identité" artificielle. Elles restaient toutes, au final, désespérément individualistes et égoïstes, même si plusieurs expériences avaient temporairement donné l'impression d'une réelle cohésion, cohabitation. Toutefois cette conclusion restait dans l'incertitude des résultats des milliers d'expériences dont nous n'avions plus de nouvelles ou laissées à l'abandon, sur les planètes aux confins de la Congrégation. Et tous ces jeunes y croyaient, ils croyaient que certaines avaient réellement débouché sur ce que l'on peut qualifier de "forme de vie", ou en tout état de cause qu'en perfectionnant leur mode de reproduction, leur complexité, leur équivalent du code génétique, ils parviendraient à créer une telle chose, cette forme de vie qui serait une forme de prolongement de l'humanité.
Bref je pense que personne n'avait une idée très claire de ce qui se trouvait après les limites de la Congrégation, entre les expériences, les sondes, les autres formes de vie... Et c'était un peu aussi la gageure de notre travail, éclaircir notablement toutes ces questions. Le paradoxe de ces recherches et la notion de travail obligatoire résidait principalement dans la volonté de Teegoosh de faire avancer les choses, de donner des buts, des objectifs aux personnes, tout en sachant que d'une part beaucoup n'avaient plus ni les compétences ni l'envie de faire de la recherche fondamentale, et d'autre part que dans la Congrégation la recherche et les chercheurs n'avaient jamais été très bien vus. Bien-sûr tout le monde désormais concédait le confort et la qualité de vie issus de la recherche scientifique, mais il persistait le souvenir du lointain passé où les chercheurs et les élites collaboraient avec les
reptiliens, et participaient à l'oppression des hommes. Sur Ève l'aventure technologique avait rendu ces notions un petit peu caduque, et elle restait un des lieux privilégiés de la recherche, et personne n'avait d'appréhension envers tous ces chercheurs qui passaient jours et nuits à leur passion. Mais en de nombreux autres endroits de la Congrégation persistait cette image négative de l'élite, associant encore corruption et abus de pouvoir aux personnes les plus douées.
Autant le travail m'intéressait énormément, autant la relation avec Kaul me désespérait. Je n'arrivais plus à trouver la flamme que j'avais pu avoir. D'un autre côté j'aurais tant aimé pouvoir y croire encore... Dans mon nouvel appartement j'avais pour voisin un jeune homme dénommé Phamb que je croisais souvent. Nous avions finalement sympathisé, et assez régulièrement, quand Kaul n'était pas là, nous dînions ensemble. Il était plus âgé que moi, aux alentours de trente-cinq ans, et il travaillait dans la prestigieuse étude dirigée par Goriodon lui-mème, l'opposant grandissant de Teegoosh et promoteur de l'arrêt du travail. Il me ressemblait beaucoup, plutôt pragmatique, tout le contraire des personnes travaillant dans mon labo. Petit à petit je pris même plus de plaisir à être avec lui plutôt qu'avec Kaul.
Je devais l'accepter, avec Kaul notre liaison ne repartirait plus, et à grande peine je décidai de stopper notre relation. Il le prit très mal, mais que pouvais-je y faire ? Rester indéfiniment enfermée dans une histoire qui n'allait nulle part et continuer à être plus heureuse de voir mon voisin que lui ? La suite ne traîna pas, d'ailleurs, preuve que nous nous plaisions mutuellement, quinze jours après ma séparation avec Kaul je craquais pour Phamb. Mais c'était difficile. Je crois que j'étais vraiment triste de ma rupture avec Kaul, j'avais tellement voulu que ça marche, et puis Kaul n'allait pas bien du tout, je m'en voulais. Phamb en fit un peu les frais, dans les premiers temps tout du moins. Nous nous voyions très souvent, presque tous les soirs. Phamb m'emmenait dans les conférences et les dîners-débats autour des idées de Goriodon. Ma vie se complétait par l'univers radicalement opposé mais tout aussi passionnant de mon travail au labo ; je crois que ce fut une des périodes les plus heureuses de ma vie, jusqu'à ce que Ragal arrivât.
Je ne saurais dire à partir de quand j'avais réellement remarqué