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À Paris le mois d'Août 2004 fut chaud, très chaud, tellement que la nuit ou le jour se rejoignaient presque dans une éternelle fournaise, ce jeudi 7 août comme les autres jours. La météo prévoyait tous les jours que ce temps ne durerait pas, sans que vraiment de changement ne survînt.

Il n'était pas très tard, mais il était crevé, Tocman sortait du 43 rue d'Aboukir, dans le deuxième arrondissement de Paris, où il effectuait son stage marquant la fin de sa première année à l'Epitech, une école d'informatique. Son frère travaillait à Microsoft, mais ce n'est pas dans cette société qu'il faisait son stage, plutôt chez David, nommément Mandrakesoft, société éditrice du système d'exploitation Mandrakelinux, fière pousse du mouvement des logiciels libres. Pourtant tout n'allait pas pour le mieux, la société était en plein redressement judiciaire, subissant de plein fouet les retombées de la crise des valeurs technologiques de 2001. Mais Tocman s'en moquait un peu, il était là pour apprendre, et il apprenait, beaucoup, vite, trop, dans cette ambiance triplement chaude de canicule, d'équipe de pointe, et de pression pour survivre, pour sortir les produits, pour continuer la lutte...

Il n'était pas si tard, 19 heures 30 tout juste, mais il était crevé, naze. Guillaume, un développeur de Mandrakesoft, parmi les plus anciens, des plus radicaux, presque, après Pixel, avait passé la journée à lui expliquer quelques rudiments du langage Perl, et Tocman avait fait son possible pour engrangé, comprendre, assimilé, mais désormais il mélangeait tout, ne comprenait plus rien, et après une heure sur un exemple tout bête, il avait décidé de partir chez lui et de dormir enfin, voilà quatre jours qu'il ne dormait pas plus de quatre heures par nuit, et il n'en pouvait plus...

Il la vit, à boiter avec sa béquille devant le porche du 43 rue d'Aboukir, la porte cochère était encore ouverte, donnant sur un passage

qui menait aux places de parking composant le rez de chaussée. Il se dit qu'elle allait le reconnaître, l'embrassait, qu'ils allaient se marier et avoir beaucoup d'enfants, ou essayer souvent d'en avoir, tout du moins.

Elle était belle, mais Tocman savait d'entrée qu'elle l'était trop pour lui, pauvre petit stagiaire à la chevelure abondante et dorée. Tocman se dit beaucoup de choses en avançant vers la sortie et en la regardant rester perplexe devant le porche. Il se dit beaucoup de chose, mais, heureusement, pas suffisamment pour se décourager d'avance, et il s'approcha d'elle pour lui demander :

- Bonjour, je peux vous aider ?

Elle leva les yeux de son bout de papier griffonné et il eut l'impression d'avoir dit une bêtise, mais Deborah, qui vit en ce jeune une aide providentielle, lui demanda en anglais :

- Je cherche la société Mandrakesoft ?

Tocman eut une petite bouffée de chaleur, son anglais laissait un peu à désirer, mais il comprenait assez bien. Il lui bafouilla quelques mots en anglais :

- Oui, euh, je travaille ici, euh, en fait je travaille pas vraiment, euh, je suis euh...

Tocman sentait qu'il s'enlisait, il tenta de dire 'stagiaire' avec un accent anglais, Deborah le regarda étrangement, il comprit que qu'il ne servait à rien d'être précis, et se reprit :

- Oui, oui, je travaille ici, je travaille pour Mandrakesoft.

Il se recula un peu, secoua la tête en signe affirmatif et se passa la main dans les cheveux en esquissant un sourire.

Deborah ne sut trop que penser. Elle avait passé la journée à chercher comment venir ici, pensant que peut-être, savait-on jamais, certains des anciens collègues d'Ylraw, qu'elle avait vu lors de l'enterrement de ce dernier, auraient pu l'aider en restant