presse et quelques nouvelles du front, pas vraiment bonnes.
Seth revint le 2 janvier 1918, elle paraissait fatiguée, même si elle rayonnait toujours autant la beauté, la douceur et la sagesse. Étienne lui avait écrit un poème, qu'il lui récita. Elle en fut touchée et le remercia par un baiser. Il l'a prit dans ses bras et elle se laissa faire, se blottissant comme pour prendre un peu de chaleur humaine dans cette époque bien noire.
Ils restèrent l'un contre l'autre de nombreuses minutes. Étienne s'aperçut que Seth pleurait. Elle ne lui dit pas pourquoi et sécha ses larmes, puis ils parlèrent de nouveau de la guerre, elle lui parla du gouvernement, de la nomination de Clémenceau à la tête du conseil par Raymond Poincaré, de l'entêtement de celui que l'on appelait "Le Tigre", et qui deviendrait aussi le "Père la victoire", à vouloir faire la guerre, à vouloir la gagner à tout prix et écraser les Allemands. Qu'importait-il, après tout, d'être Français ou Allemands ! Les hommes ne pouvaient-ils pas vivre simplement en paix, sans toujours vouloir devenir plus forts que leur voisin ? Qu'importaient-ils à tous ces malheureux dans les tranchées que ce soit bien ou mal, si c'était pour finir rongés par les rats ?
- C'est vous qui avez contribué aux mutineries, en avril, sur le chemins des Dames ?
- Oui c'est moi, mais que pouvais-je d'autre ? Laisser ces hommes mourir sous un commandement aveugle et forcené ? De quel droit peut-on imposer à un homme de mourir dans des conditions atroces pour le bon plaisir de gouvernements aussi mauvais les uns que les autres ?
- Mais pourtant il faut bien se défendre, il faut bien se protéger ?
- Se protéger contre quoi ? Se protéger contre d'autres hommes comme nous qui ne comprennent pas pourquoi il se battent, à qui l'on fait croire que le monde sera meilleur quand ils en seront les maîtres ? Combien de morts, de désespoir, de famines, de guerres vous faudra-t-il pour comprendre que vos États stupides ne sont que les jouets d'hommes assoiffés de pouvoir qui se moquent du reste ? Combien de morts vous faudra-t-il pour comprendre que vos ennemis, ce sont vos chefs, ce sont ces hommes qui se jouent éperdument du bien ou du mal,
du marxisme, de la démocratie ou de la dictature, et qui ne veulent qu'assouvir leur soif de domination, leur certitudes et leur orgueil.
- Mais... Je... Il faut bien que des gens dirigent les pays, il faut bien que des personnes soient responsables, organisent, gèrent ?
- Vous n'en êtes donc pas capables, vous, d'être responsable, de vous organiser et vous gérer ?
- Si, moi, mais le pays ?
- Et s'il n'y avait pas de pays, si c'était juste vous ?
- Mais... Comment ? Il faut bien des institutions, il faut la police, l'armée, il faut des écoles.
- Pourquoi ? Pourquoi faut-il la police ? L'armée ? Des écoles, vous pensez que vous n'êtes pas capable d'élever vos enfants et de les surveiller, vous pensez que vous ne connaissez personne qui puisse leur apprendre le bon sens, l'esprit critique, la solidarité ?
- Si, sans doute, mais les mathématiques, l'histoire...
- A-t-on besoin de l'armée pour ça ? A-t-on besoin de la police, de gouvernements, d'institutions ?
- Non, mais, il faut gérer la construction des chemins de fers, l'entretien des chemins...
- Vous pensez que vous n'êtes pas capable de savoir si vous devez construire ou pas une route entre votre voisin et vous ? Vous pensez que pour votre bonheur il vous faut absolument un chemin de fer entre Paris et chez vous ?
- Mais, ça ne marcherait jamais sans autorité, ce ne serait que querelles sur querelles, ce ne serait que cacophonie !
- Vaut-il mieux se quereller avec son voisin et mettre cinq jours pour aller à Paris, ou tuer des millions de personnes pour une cause qui nous échappe ?