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avaler quelque chose étaient vains, ou presque. Tout ce que nous espérions, c'était que la galette, qui avait la propriété de fondre quand on la gardait dans la bouche, te permette de récupérer un peu d'énergie, mais nous avions peur de t'étouffer si tu n'avalais pas correctement. C'était tellement désespérant que le simple fait de te voir me faisait pleurer. Je me sentais tellement démunie... "

Naoma soupire.

- Je crois que je n'ai pas tellement l'envie ni la force de raconter la suite, Erik le voudra peut-être ?

Je me retourne vers Erik, qui tâte la paroi millimètre par millimètre à la recherche d'une trappe, ou un bouton quelconque. Il prend la suite de l'histoire :

" Naoma a pété les plombs, complètement. Personnellement je sentais bien ce qui allait se passer, dans l'état dans lequel tu étais, sans manger ni boire, je ne donnais pas cher de ta peau. Je passais le plus clair de mon temps à la regarder, j'avais déjà abandonné l'idée d'ouvrir la grille ; et depuis ma tentative d'évasion, ils ne l'avaient ouverte à aucun moment, autant dire que c'était pas le mieux barré du monde. Nous n'avons revu personne de ce qui devait être notre deuxième jour en cellule, et j'en ai déduis que les galettes et les pains d'eau devaient être notre seule ration quotidienne, suffisante cela dit, leurs trucs étaient plus nourrissants qu'ils en avaient l'air. Je suis resté sans grand espoir d'évolution plusieurs heures durant à regarder Naoma sangloter, tenter de voir à travers la grille ou encore essayer d'en comprendre le fonctionnement. Je n'osais même pas lui parler, tellement elle était désespérée, elle ne m'écoutait pas, de toute façon. Lors de ma fuite, juste après le départ du clown en bleu, j'avais parcouru une bonne centaine de mètres dans les couloirs. Ceux-ci étaient composés exclusivement de cellules, vides pour la plupart, à l'exception d'une ou deux. L'extrémité de la section dans laquelle nous nous trouvions semblait donner sur une zone condamnée. J'avais réussi à enfoncer une première porte mais je m'étais retrouvé dans une pièce sans lumière remplie de caisses, de barres de métal et autres débarras. Tout ce que j'avais remarqué c'était que les deux autres portes de cette salle étaient bloquées avec des barres de métal soudées ou fixées, et une trappe, sans doute d'aération, où un homme pouvait, je m'étais dit à

ce moment, se glisser. Mais il faut dire que je n'étais resté que quelques secondes avant l'arrivée de mes poursuivants. Mes yeux s'étaient à peine accoutumés au noir et je n'avais pas vraiment eu le temps d'en découvrir davantage. Je ne savais donc pas encore si nous pouvions aller plus loin ou pas. Bref seul dans une voie sans issue face à une dizaine je n'avais aucune chance, et j'avais préféré la jouer conciliant en rentrant sagement dans la cellule.

Pour en revenir à Naoma, son état empira de manière progressive. Elle pleurait sans arrêt, te suppliant de boire ou de manger, mais bien sûr tu restais toujours sans bouger. J'ai tenté à un moment de l'éloigner un peu de toi, pour lui parler et lui faire comprendre que ce n'était plus vraiment toi, que tu étais déjà parti, mais elle n'a rien voulu entendre, rétorquant que bien sûr pour moi c'était déjà la fin, que je m'en moquais, mais qu'elle ne t'abandonnerait pas, qu'elle ne devait pas s'éloigner, et qu'elle devait continuer à tenter de te faire boire et manger. Bref elle m'a jeté comme un malpropre et m'a énervé, je l'ai laissé faire, je n'aurais peut-être pas dû.

La nuit fut calme, et au petit matin nous avons retrouvé des galettes et de l'eau comme la veille, cette fois-ci nous en avons mis de côté pour manger un peu plus tard ; mais nous devions sans doute avoir ta portion en plus, ce qui faisait que nous avions largement assez pour nous deux. Nous t'avions allongé le soir pour la nuit, sans que cela change grand chose, tu restais toujours immobile et le regard dans le vide. Naoma n'avais sûrement pas beaucoup plus dormi cette nuit là à la vue des cernes sous ses yeux. Elle était sans cesse contre toi, te parlant, tentant toujours de te faire avaler un peu de galette. Elle était complètement perdue. Et franchement j'étais pas beaucoup plus avancé moi moi non plus, et je ne savais pas du tout combien de temps il nous faudrait attendre avant qu'il se passe quelque chose. Son état allait en empirant, tellement qu'à un moment, tentant de nouveau de l'éloigner, je suis même devenu violent et je l'ai giflée pour tenter de la faire revenir à la raison. Elle s'est mise alors à sangloter dans mes bras, répétant qu'elle ne voulait pas que tu meures, qu'elle ne voulait pas te laisser là...

Ce matin là tu as gardé les yeux fermés, la fatigue t'avais peut-être finalement endormi, à moins que tu n'ais sombré dans le