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planète, loin de mes parents, que je voyais quand même de temps en temps. Je crois que tout m'embêtait, mes parents, les gens, mes études. J'ai prétexté vouloir étudier quelque chose qui ne se trouvait que loin, encore qu'on pouvait le faire à distance, pour pouvoir me retrouver seule. J'ai arrêté de piloter à ce moment là. Il n'y avait pas d'école de pilotage proche de là où je me trouvais, et même je crois que je m'en étais un peu lassée, j'avais pas une forme terrible, je crois que j'en avais un peu marre de tout, même de ces recommandations stupides du bracelet pour aller mieux. Quelque part je "voulais" ne pas aller bien, être mélancolique, enfin... Dans mes nouvelles études je m'intéressais aux différents facteurs influençant les relations humaines dans une sorte d'université très connue. C'était finalement assez intéressant d'autant que je devais bouger pas mal et me rendre dans divers organismes pour mettre en application mes connaissances. J'ai eu pas mal d'autres copains à cette époque, mais rien de très solide. Et autant je comprenais de mieux en mieux les rapports humains, autant j'étais de plus en plus pessimiste sur les relations homme-femme, au moins les miennes.

Je sortais beaucoup, j'aimais bien danser. C'était au cours d'une de ces sorties que je rencontrai Kaul. Il y avait bien des siècles que la musique à la mode n'était que de la musique artificielle créée pour entrer en résonance avec les fonctions d'ondes de l'esprit des gens, mais de temps en temps les DJ passaient des morceaux composés par des amis à eux. La plupart du temps c'était l'occasion de faire une pause et d'aller boire un coup. Beaucoup rêvaient d'arriver à la hauteur des compositions automatiques, mais les meilleures d'entres elles ne se résumaient généralement qu'en une pâle copie d'un ancien tube automatique démodé depuis quelques années. Ce soir-là passa la chanson de Kaul. Il chantait. Je le trouvai très beau. Il était habillé avec un tee-shirt blanc et il osait à peine bouger un peu son corps tellement il avait le trac. Je ne me rappelle plus ce qu'il chantait, c'était nul de toute façon, ce qui m'avait attirée, c'était juste lui, le courage qu'il avait de chanter comme ça devant tout le monde, le fait qu'il croyait en son truc. Après coup je me demandai si finalement ces gars là n'allaient pas juste chanter ou passer leurs morceaux pour se faire remarquer des nanas, car de toute façon ça faisaient des siècles que personne n'avait détrôné une musique automatique.

Je suis allée le voir après son passage. Nous avons discuté un moment, puis je suis rentrée. Je crois que j'aurais pu rentrer avec lui, il me semblait que je lui avais plu, ou peut-être c'est qu'il était trop timide pour me dire que je l'ennuyais. Mais je n'avais pas envie de rentrer avec lui, même s'il me plaisait, pour une fois j'avais envie que l'histoire dure un peu, qu'elle ne fût pas juste une aventure. J'avais envie de rêver de lui, d'avoir toutes ces sensations tellement bizarres, ce stress, ce tiraillement dans le ventre, quand je tenterais de le recontacter, de le revoir...

J'avais un nouveau bracelet, le modèle adolescent, depuis quelques années déjà. Les filles en avaient un à partir de leurs premières règles, pour contrôler leur cycle, les garçons l'obtenaient à seize ans. Le modèle enfant je ne l'avais presque jamais porté, je le regrette un peu, ça m'empêche de retrouver des souvenirs. Mais à l'époque je n'aimais pas trop cette idée, que tout le monde sache où je suis et ce que je fais. Mes parents m'avaient souvent perdue d'ailleurs... Le bracelet adolescent nous autorisait beaucoup plus de choses. Nous pouvions appeler qui nous voulions et chercher bon nombre de renseignements, et il nous autorisait à avoir certains avis. Même si concernant les avis notre vote n'avait que valeur consultative, ou en tout cas beaucoup moins de valeur que les votes adultes. Les avis étaient la façon d'obtenir quelque chose de quelqu'un. Quand quelqu'un voulait posséder quelque chose, obtenir de la nourriture, un habit, un objet, il contactait le magasin, en y allant ou en l'appelant, il demandait ce qu'il voulait et les personnes capables de lui donner donnaient leurs avis, disant si elles acceptaient ou pas de lui fournir. Bien sûr toutes les denrées nécessaire à l'habillement et la nourriture ne nécessitaient pas vraiment d'avis, car elles étaient fournies par des machines, mais il y avait tout de même un certain contrôle de la part de l'entourage.

Il n'en a pas toujours été ainsi. Il y a plus que très longtemps, du temps où les gens travaillaient vraiment, et où la technologie du bracelet n'existait peut-être même pas encore, les échanges s'appuyaient sur un système différent. À cette époque là les gens possédaient des sortes de points, ce que tu appelles argent, et que tu utilises encore dans ton monde, qu'ils gagnaient en travaillant, ils étaient comptabilisés par un système central. Et avec ces points ils pouvaient obtenir en échange ce qu'ils désiraient,