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fois le matin, elle dormait encore quand il avait quitté son domicile. Elle semblait très fatiguée ces derniers temps. Comme il l'avait dit au procureur, il ne connaissait pas de famille ou d'amis à Seth ; les éventuels l'apprendraient dans les journaux du lendemain.

Thomas, Stéphane et Jean-Luc n'attendirent pas le dernier appel du procureur, ni du commissaire, préférant se réserver la chance de se lever et venir tôt le lendemain matin. Ne pouvant dormir chez lui, Stéphane lui proposa de l'héberger, il irait chez sa mère les jours suivants ; mais pour la courte nuit qui l'attendait, l'appartement de Stéphane sur Versailles ferait mieux l'affaire. Thomas ne dormit pas cette nuit, ou seulement quelques dizaines de minutes. Il ne pouvait pas se tourner sur le petit canapé, lui qui dormait sur le ventre d'habitude, et sa brûlure lui faisait trop mal. Qu'allait-il faire ? Allait-il faire l'enquête ou pas ? Allait-il pouvoir la faire ? Il valait peut-être mieux qu'il la fasse, après tout... Il pleura, longtemps, tellement que ses yeux le brûlèrent le matin, quand le satané réveil de Stéphane se décida enfin à sonner.

Il avait dormi dans le salon, il attendit que Stéphane arrivât pour se lever. Juste un café, deux cafés, il n'avait pas faim. Stéphane lui prêta des sous-vêtements et une chemise. Il les mit dans la salle de bains, pas tellement qu'être nu devant Stéphane le gênait, mais il devait encore soigner sa brûlure, et la cacher.

Il ne fallait pas plus de dix minutes à Stéphane pour rejoindre le SRPJ. Stéphane se levait rarement avant sept heures trente. À huit heures il était pratiquement toujours au travail. Huit heures c'était encore tôt pour Thomas, mais il se demandait si, maintenant, il y a allait encore avoir un tôt ou un tard, ou juste les relents d'une vie qui n'en finit pas...

Le commissaire arriva tôt, aussi :

- J'imagine que vous voulez vous charger de l'affaire ?

Thomas hésita un instant. Il regarda quelques secondes dans le vide, étonné que le commissaire lui proposât d'une manière si directe, puis reposa ses yeux sur son supérieur confortablement installé derrière son bureau, parfaitement propre et

rangé, comme toujours.

- Oui. Oui... C'est mieux ainsi.

- Si vous pouviez trouver rapidement et mettre sous les verrous un assassin, je vous en serais reconnaissant.

- Oui, chef, bien sûr, je ferai mon possible.

"Un assassin", comme si n'importe lequel conviendrait, comme si la seule chose importante était ce que les gens croyaient, et que tout le monde se moquait de la vérité... Thomas se leva et quitta le bureau sans saluer son supérieur. Il fit un détour par la machine à café, mais dix d'affilée ne lui suffiraient pas pour avoir un brin de présence d'esprit ce matin. Il partageait son bureau avec Stéphane et Eric. Eric était en vacances.

- Tu aurais pu m'en ramener un !

Stéphane s'adressa à Thomas sur le ton d'une boutade, Thomas ne s'en aperçut même pas et répondit sans conviction :

- Désolé, j'ai la tête ailleurs.

- Je comprends. Tu es chargé de l'enquête ?

- Oui.

- Tu es sûr que c'est une bonne idée ?

- J'en sais rien.

- Je vais t'aider de toute façon, mais si c'est trop dur n'hésite pas. Tu peux prendre quelques jours de vacances peut-être, le temps que je déblaye un peu le terrain ?

- Non, merci, c'est bon, mais si jamais je n'hésiterai pas.

Stéphane partit se chercher un café, Thomas s'appuya contre son bureau, sans pousser le bazar qui faillit se renverser, soutenant son bras pour siroter son café en regardant à travers la fenêtre. Il était perdu, perdu. Il ne voulait pas faire cette enquête, il le savait,