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pour que son fils ne soit pas envoyé au combat, et qu'il fasse en contrepartie pression pour d'une part relâcher la censure et le retard systématique sur le courrier, mais aussi, par la même occasion, imposer ses produits sur les marchés publics. À bien y réfléchir il était l'homme dont je rêvais quand j'avais rencontré Étienne. Mais ce n'est pas cette raison qui m'a tendu vers lui. Et pour être franche c'est lui qui est venu vers moi. J'étais seule et loin de tout ce que j'avais pu aimer, je ne savais même pas vraiment ce que j'attendais de ma vie à Paris, un miracle sans doute. Je me suis laissée réconforter dans ses bras. Il fut mon amant, mon premier homme, celui de mes anciens rêves... Je regrette encore avoir été si faible.

Il était ambitieux et possessif, exigeant et fier, et j'y perdis ma pureté, Dieu me pardonnes. Je sortais beaucoup avec lui, il aimait à me montrer, et se faire mousser par la même occasion. Il me trouvait belle et, comme pour tout, voulait s'en vanter. Je crois que je ne voyais pas son manège à l'époque, j'étais plus dans une situation de tristesse et il me faisait passer le temps. Je ne l'aimais définitivement pas, mais il m'apportait un peu de tendresse, un peu de réconfort et des bras pour pleurer. Je ne lui ais jamais parlé d'Étienne.

Pourtant, fruit du hasard, il le connaissait. C'est ainsi que je le retrouvai dans cette soirée du samedi 28 septembre 1918. Comme souvent George participait à de petite réceptions-débats sur des thèmes variés, principalement autour de la guerre et la politique du moment. J'aimais à y aller, et lui à m'y mener, car j'avais un peu plus de discussion que la plupart des amies de ses camarades, et c'était une raison de plus pour me mettre en avant. C'est à l'une d'elle que j'ai rencontré Étienne, que le l'ai retrouvé, comme par miracle.

Quand je l'ai vue, dans cette grande salle, je suis restée pétrifiée, j'ai joint mes mains devant ma bouche et j'ai pleuré et prié. J'étais parcourue de frisson de peur et de joie, et mon ventre me tiraillait tellement j'avais peur qu'il ne me rejetât, qu'il ne m'ignorât, qu'il ne me rendît tout le mal que je lui avais fait subir dans les temps bénis où nous étions ensemble, à Nice. Georges s'est approché de moi pour me demander si j'allais bien, et j'ai réalisé alors que je n'étais qu'un objet pour lui, j'ai réalisé que je ne l'aimais pas, que je ne le pourrais jamais, et qu'il était un être

odieux et prétentieux, comme moi j'avais pu l'être avec Étienne. Je lui dis calmement que tout était terminé, et qu'il ne comptât pas me revoir ou même me parler. Je fus discrète, je ne voulais pas non plus d'un nouvel ennemi, mais il était faible, en vérité, et il reste idiot et bouche bée, comme si d'un coup son charme factice, sa fortune qu'il n'avait même pas amassée, et son charisme inexistant de politicien en herbe n'agissaient subitement plus. J'avoue que je n'ai plus jamais entendu parlé de lui, à sa prétention s'ajoutait l'orgueil, et il fit croire, à ce que j'avais compris, que ce fut lui qui me laissât, trop monotone à son goût. Sa faiblesse et sa bêtise me firent rire plus qu'autre chose.

Je me dirigeai vers Étienne, et il me vit, finalement. Il vint vers moi et m'embrassa, me demandant comment j'allais et qu'est-ce que je faisais là. Je ne sus que dire, ne voulant pas m'embarasser d'un gênant cavalier, même congédié ; je bégayait puis tombais dans ses bras, et je pleurais à chaude l'arme, n'aillant pas le courage ou la force de dire tout ce que j'avais sur le coeur, tout ce que j'avais enduré pour le revoir, pour le retrouver, pour le prendre dans mes bras.

Il s'excusa et me proposa que nous nous revissions le lendemain, je fus blessée qu'il ne laissât pas tomber sa soirée pour partir avec moi, mais l'image qu'il avait de moi sans doute encore gravée dans sa mémoire était celle de la gamine odieuse et fière qui voulait se débarasser de lui en l'envoyant au front. J'étais déjà chanceuse qu'il voulut me parler, mais Étienne était bon et non rancunier, et aussi mal aurais-je pu lui faire qu'il n'aurait jamais voulut, lui, me blesser.

Je pleurais de joie et de peine toute la nuit, plus encore que quand je le croyais mort, je priais et priais encore, remerciant Dieu de sa bonté, je lui promettais, s'il me donnait Étienne, de l'aimer plus que tout toute ma vie et plus encore, de toujours l'aider, le chérir et le soutenir. J'avais tellement peur qu'Étienne ne se soit lancé dans une nouvelle vie, qu'il ait trouvé fiancée et plus du tout envie de me revoir.

Je lui avais donné rendez-vous sur les quais de Seine, pour que nous fussions tranquille et pussions discuter sans modération. Il fit beau en ce dimanche 29 septembre 1918. Je fus en avance à notre