d'alternatives, et de plus je serai en mesure de lui rendre la somme si je parviens à rentrer en France ou ne serait-ce qu'avec l'argent que je peux gagner si je trouve effectivement un travail. Il insiste et je cède finalement. Nous convenons que j'irai avec lui à Griffith le surlendemain, quand il s'y rendra pour faire ses courses. Griffith est un peu la grande ville du coin, qui paraît pourtant bien anecdotique avec ses vingt-deux mille habitants. Mais Patrick concède que l'Australie est un pays très peu peuplé, et qu'il faut souvent parcourir des centaines de kilomètres avant de trouver une ville digne de ce nom.
Pour cette journée de repos, il me propose d'aller me faire visiter les coins dignes d'intérêt. Nous pourrions pique-niquer, propose-t-il ; et en fin d'après-midi, quand la chaleur est un peu moins forte, profiter d'une promenade autour du lac. C'est un programme calme et tranquille qui me réjouit. La journée se passe sans encombre. Je ne suis malgré tout pas entièrement rassuré une fois dehors, toujours sur mes gardes et à l'affût de la moindre personne suspecte. En fin d'après-midi, après un tour près du lac, nous rejoignons un groupe d'amis de Patrick, dans l'une des maisons de la petite ville. Lake Cargelligo ressemble comme deux gouttes d'eau aux villes qui peuplent tous les bons westerns, avec une grande allée centrale entourée de maisons basses. Patrick et ses amis jouent à un jeu dont je ne connais pas les règles, mais j'en profite pour prendre un peu de bon temps et me reposer. Nous ne rentrons pas très tard, mais j'ai suffisamment de sommeil en retard pour m'endormir en quelques minutes.
Mardi 26 novembre. Je me réveille tôt, il faut dire que je n'ai pas depuis deux jours une activité physique intense, et que j'ai beaucoup dormi. Je décide d'attendre un peu au lit pour être sûr de ne pas réveiller Patrick. Pour l'instant je consacre mes efforts à préparer mon retour en France, mais que ferai-je une fois là-bas ? S'ils ont perdu ma trace ici, à mon premier message électronique ou coup de téléphone ils seront de nouveau sur mon dos. Mais quelles alternatives s'offrent à moi ? Devrai-je me cacher pour le restant de mes jours ? Je me sens las. Las que tous ces jours s'écoulent et que je ne comprenne toujours pas ce qu'il m'arrive. Las que l'on me coure après, que l'on me frappe, me tire dessus. Las de n'être qu'un guignol avec qui on joue depuis trois semaines, et peut-être même plus. Je ne reviens pas pour autant sur mes projets. Je préfère de toute
manière devoir me cacher en France, que de rester ici, même si ces grands espaces attisent ma curiosité. Je crois que l'endroit qui m'attire le plus en Australie doit être ce grand rocher rouge monolithique au milieu du désert. Je ne suis pour autant pas du tout perturbé à l'idée de devoir partir d'ici sans avoir eu la chance de le voir. Il me semble que c'est très loin d'ici, de plus.
Je m'assoupis de nouveau quelques dizaines de minutes. Par la suite la journée ressemble à la précédente. Nous nous promenons avec Patrick, discutant de banalités du coin. Depuis son arrivée en Australie voilà presque quarante-cinq ans il n'a que très peu voyagé. Il connaît bien Lake Cargelligo et ses environs, sachant que lorsqu'on dit "environs" en Australie, la distance couverte représente facilement cent ou deux cents kilomètres. C'est ici qu'il a rencontré sa femme, s'est marié et a suivi une vie calme et paisible. Je suis curieux de savoir ce qu'il a fui avant de venir ici, et en quelle occasion il a eu besoin de faux papiers. Mais je ne pose pas de question sur sa vie antérieure. Il en parlera s'il le souhaite. C'est un homme réservé et gentil, plutôt timide. Il n'est pas très grand, et bien que l'âge le courbe quelque peu, il ne devait pas faire plus que ma taille dans la force de l'âge. Il s'intéresse assez peu à la politique, les enjeux, la guerre en Irak ou la crise des marchés financiers. Il porte comme une tristesse en lui. Une solitude qu'il n'a jamais réussi à vraiment briser. Je lui ressemblerai peut-être, une fois vieux. Mais la vie s'acharnant j'ai peine à croire que je survivrai à toutes mes infortunes.
Patrick se renseigne sur les services de transport en commun entre Griffith et Melbourne. Le bon côté, c'est qu'il y a bien une ligne qui parcourt exactement ce trajet, le mauvais, c'est que l'unique départ est à 3 heures et demie du matin. Le voyage est moins long que ce que j'aurais pensé, et je pourrai dès 9 heures 30 du matin profiter des charmes de Melbourne. Nous convenons avec Patrick que je ne prendrai le train que le jour suivant, et que je passerai une nuit, ou demi-nuit pour être plus exact, à Griffith. Je ne voudrais pas l'obliger à se lever en plein milieu de la nuit et rouler si tôt. Ma troisième journée en sa compagnie touche à sa fin. Je le sens triste de déjà perdre son camarade de quelques jours. Nous nous promettons de nous écrire. Il n'a pas d'ordinateur ni d'adresse électronique et par conséquent nous échangeons nos adresses postales. Je