page 132 le patriarche 133

- Oh ! Seth était beaucoup, tant dans un sens que dans l'autre.

Habituellement Thomas se serait beaucoup énervé face à ce genre de remarque, mais il était si bien, au Soleil, qu'il resta calme et serein :

- Je ne comprends pas, que saviez-vous d'elle, depuis quand la connaissiez-vous ?

- Je l'ai rencontrée le 13 juin 1931, j'allais avoir vingt ans.

- Mais ? Mais nous ne parlons pas de la même personne, je vous parle de la jeune fille qui est venue soit disant chez vous en novembre de l'année dernière, celle de la photo que vous avez vue à la boulangerie.

- Oui, elle était toujours aussi belle, mais elle avait changé pourtant, depuis si longtemps, depuis ces affreux jours de 1933. Depuis ces affreux jours où le monde est entré dans le chaos... Ah mon Dieu ! Je préfère ne pas y penser...

Thomas se dit que ce vieil homme avait vraiment perdu la raison. S'il prétendait avoir rencontré Seth à vingt ans en 1931, il avait alors quatre-vingt-douze ans, assez pour être devenu sénile. Thomas réfléchit un instant et concéda qu'il pouvait confondre Seth avec une de ses amours passées, qu'il regrettait sans doute. Mais peut-être tout de même pouvait-il en savoir un peu plus sur ce qu'avait fait Seth en novembre.

- Et... Seth, en novembre, savez-vous pourquoi elle est venue à l'île de Ré ?

- Saviez-vous si elle voyait toujours Alphonse ?

- Alphonse ? Je ne sais pas, qui était-ce ?

- Mon concurrent, si je puis dire. C'est lui qui l'a pervertie, en 1933. Après elle l'a vu souvent.

Thomas se dit qu'il fallait mieux ne pas laisser Théodore s'éparpiller :

- Euh... Non, non, elle ne le voyait plus...

Thomas se demanda s'il pouvait vraiment croire le moindre mot de ce vieil homme.

- Et donc, euh, vous savez ce qu'elle voulait en venant ici en novembre ?

- Oh je n'en suis pas sûr. Je n'aurais pas dû la recevoir. J'espérais encore qu'elle puisse changer, redevenir comme avant, mais c'était peine perdue... C'était trop tard, bien trop tard.

Il resta silencieux un instant, Thomas se dit qu'il allait lui poser la question une troisième fois puis qu'il laisserait tomber, mais il n'en eut pas le temps.

- Je pense qu'elle suivait son protégé.

- Son protégé ?

- Oui... C'est peut-être bien lui qui l'a tué d'ailleurs, un peu comme ces formes d'insectes parthénogénétiques.

- Parthénogénétiques ?

- Oui, ce sont des insectes dont les larves dévorent leur mère dans certaines conditions.

- Vraiment ?

- Cela parait surprenant au premier abord, mais c'est en fait tout à fait compréhensible quand on étudie le phénomène de plus près. Par exemple chez les mouches de la famille des cécidomyidés. Ce sont des mouches qui se nourrissent de champignons, principalement.

- Ah ?

Thomas se demanda bien ce qu'allait encore inventer le vieux.

- Ces mouches vivent dans un envirronnement où la principale source de nourriture est éphémère mais abondante ponctuellement. C'est à dire qu'il n'y a pas beaucoup de champignons et ceux-ci ne subsistent pas très longtemps, mais un champignon représente énormément de nourriture pour une mouche. Ainsi, lors de la