page 490 le patriarche 491











Je m'en voulais, et les trois jours de session qui suivirent les deux jours de temps libre je fus beaucoup plus distante de Ragal. Il le sentait et ne comprenait sans doute pas vraiment. Il ne savait pas que je sortais avec Phamb, s'en doutait peut-être, mais j'avais éludé toutes ses questions, le présentant simplement comme un bon copain. Je gardais pourtant des trois jours qui avaient précédé la soirée un souvenir magnifique. Mais peut-être n'en voulai-je pas plus. Les trois mois suivants (un sixième) je gardais une distance cordiale avec Ragal. Et puis je quittai le labo, pas à cause de lui, j'avais envie de voir un peu autre chose, peut-être lassée, finalement, de rester dans un rôle qui relevait plus de l'assistance que de la participation active. Maman me permit de dénicher une étude sur un tout autre sujet pas très loin d'où j'habitais. Grâce à mes bons contacts dans mon immeuble, les avis furent favorables à ce que je conserve mon appartement, même n'étant plus au centre de recherche.

Jour 134

Quelques jours après mon départ Ragal me fit une déclaration d'amour. Me voyant partir il croyait sans doute m'avoir perdue, et nous faisons souvent des actes désespérés quand nous perdons quelques choses que l'on aime. Sa déclaration m'embêtait plus qu'autre chose, mais finalement il fut très raisonnable quand je lui dis que je n'avais pas les même sentiments pour lui que réciproquement. Certes j'avais pu à un moment ressentir quelques désirs, mais ils ne menaient pas très loin et ne mèneraient pas très loin quoi qu'il en fût. Il comprit et accepta, et nous continuâmes à nous voir de temps en temps par la suite.

Encore deux mois plus tard je laissai Phamb. Je n'avais plus envie de lui. Étant voisin nous nous voyions pratiquement tous les jours, et c'était trop pour moi, j'avais besoin d'un peu d'air. Je crois que je ne le supportais plus, je voulais rester tranquille,

toute seule. Il le vécut mal je crois, mais nous restâmes amis pour autant. J'eus deux ou trois copains par la suite, rien de bien intéressant. Je gardais des contacts fréquents avec Ragal, il me racontait la vie au centre, et nous dînions ensemble de temps en temps, soit tous les deux soit avec Symia et Lent, nos compagnons de la mythique soirée débandade. Mais cette soirée n'était pas si anecdotique qu'elle pourrait paraître, partout dans la congrégation la voix de Goriodon se faisait entendre, et les débats faisaient de plus en plus rage. Teegoosh n'avait pour l'instant pas laissé échapper mot quant à ce problème, et son silence faisait bouillonner toute l'humanité. Ragal m'expliquait les différentes évolutions du front pro-Teegoosh, et Phamb celles du camp pro-Goriodon. J'étais plus partisane de Goriodon, toutefois peut-être d'une façon pas aussi militante et prononcée que Phamb. Dans mon esprit les gens devaient plus être autorisés à faire ce qu'ils voulaient du moment que leur choix ne dérangeait personne, et que les avis suffiraient à limiter les problèmes. Comme m'expliquait Ragal, ce statu quo n'avait pas marché et ne marcherait pas et il fallait une situation égalitaire entre tous. Je ne le croyais qu'à moitié, m'imaginant sans doute que toutes ces références relevaient d'un passé déjà bien loin. Même si beaucoup dans mon entourage l'avait vécu, et si le tout ne remontait finalement qu'à trois cent ans, alors que la plupart d'entre nous vivraient sans doute plus de trois milles ans, je devais me figurer tout de même que ce n'était que de l'histoire ancienne, sans réelle connexion avec la réalité du présent.

Ragal était toujours amoureux de moi, je le sentais, mais une relation ne pourrait pas être juste une aventure avec lui, et je crois que je n'en voulais pas plus en ce moment. Presqu'un an et demi s'écoula (une année adamienne) s'écoula. J'habitais toujours au même endroit, je voyais Ragal une fois ou deux tous les quinze jours. Je voyais Phamb plus souvent, mais juste parce que c'était mon voisin et que, finalement, je m'entendais bien avec lui. Il vivait toujours assez mal notre séparation, même s'il s'était déjà trouvé une ou deux nouvelles copines depuis. Ragal et Phamb me racontaient les évolutions des deux camps. Le débat s'amplifiait. La soirée qui avait dégénéré lors de la session, l'année (adamienne) précédente, n'était alors qu'un avant goût du débat général qui déchirait de plus en plus la Congrégation. Dorénavant Goriodon était connu de tous, et parlait