sachant que chaque chose valait un certain nombre de points. Mais je crois que ce système ne marchait pas trop parce que des gens accumulaient des tonnes de points sans jamais rien en faire, et d'autres se servaient des points pour faire pression sur les avis, enfin l'équivalent de l'époque, et puis d'autre encore sans point mourraient de faim. Tous les problèmes que vous avez sur ton monde, en fait. À mon époque ce système était révolu et le bracelet avait simplifié ce principe depuis plusieurs milliers d'années. Il y avait encore des gens qui possédaient beaucoup de choses, de grand vaisseaux, de grandes maisons, mais à un moment ou à un autre on savait que ces personnes méritaient leur statut parce que sinon les avis ne le leur auraient pas attribuées, ou leur aurait retiré. Il y avait bien quelques recherches à propos de l'influence comportementale et contextuelle sur la génération d'avis et le biais de l'avis spontané, mais rien de bien solide, à mes yeux en tout cas. Et puis le système ne marchait pas si mal, les gens se plaignant toujours de toute façon.
Bref, pour revenir à Kaul, j'ai attendu trois jours, mais il ne me recontactait pas. Je voulais patienter au moins cinq ou six jours, mais je n'ai pas résisté, le soir du troisième jour je l'ai appelé. Il était toujours dans le coin, nous avons convenu d'un rendez-vous pour le lendemain. Je l'avais invité chez moi. À ce moment là je travaillais dans un groupe plutôt influent, et j'avais les bonnes faveurs du directeur et de pas mal d'autres personnes, il faut dire que j'étais toute gentille et que je mettais pas mal du mien pour aider ou donner un coup de main aux personne que je connaissais ; ce qui me valait d'avoir un superbe appartement presque au sommet d'une immense pyramide, avec une terrasse qui faisait trois fois la taille de l'appartement, recouverte d'une véritable forêt vierge. Sur Adama beaucoup de gens vivaient sous terre, c'était un reste des habitudes quand il y avait encore les reptiliens, sur Ève au contraire tout était en hauteur, et les bâtiments montaient tellement hauts que parfois on ne savait plus très bien ou se trouvait le vrai sol. Bref, mon appartement était superbe et Kaul fut séduit autant par l'endroit que par moi je crois, même si l'histoire aurait sans doute été beaucoup plus romantique dans un taudis. Mais mon trac était injustifié, car le soir même il était dans mon lit. Et finalement je me demandais déjà après avoir fait l'amour si ce n'était pas plutôt encore une bêtise de plus, une de ces aventures qui ne servent à rien, et qui se terminerait huit mois plus tard (trois sixièmes, la moitié
d'une année d'Adama) dans l'indifférence totale.
Mais non, pas cette fois, au moins pas au bout de six mois, car deux ans plus tard j'étais toujours avec lui. Deux années d'insouciance. J'y croyais au début. Je pensais vraiment que notre relation pouvait donner quelque chose. Et puis j'ai commençé à me lasser encore... Entre temps j'avais changé d'université, il m'avait suivi. Il continuait à faire sa musique et organiser quelques soirées de temps en temps. La plupart du temps elles ne marchaient pas trop. En général il n'avait pas trop le moral, et de plus en plus je me sentais comme sa mère et pas vraiment sa copine.
Je crois que j'en avais de nouveau raz le bol d'un peu tout à ce moment là, même mes études commençaient à me taper sur les nerfs. D'autant qu'à cette période la grogne montait d'un peu partout. Teegoosh était de plus en plus mis à mal avec sa politique d'emploi obligatoire, et beaucoup de gens étaient revenus de ses promesses d'une évolution durable et solide, d'une harmonie dans un travail partagé par tous. Le sentiment général était plutôt de dire que les artificiels faisaient tout tellement mieux que nous, pourquoi se fatiguer, pourquoi ne pas les laisser faire ? Un personnage était un peu emblématique dans cette opinion, Goriodon, un jeune politicien qui avançait, lui, une thèse d'égalité totale, et de travail interdit, complètement l'opposé des idées de Teegoosh. Je n'en connaissais pas plus de son programme, mais la notion de travail interdit suffisait à me faire donner mon appui sans faille à ses théories.
Finalement j'avais laissé tombé mes études sur les relations humaines. Plutôt que d'aller aux cours je donnais des petits coups de main à des copains qui avaient besoin d'aide. Ces libertés m'ont valu pas mal de soucis, d'abord des avertissements de la part de l'université, et puis de mes parents, mais encore leurs critiques je m'en moquais. Le plus ennuyeux c'était la galère à chaque fois que je voulais quelque chose. Pour donner leur avis les gens avaient un certain accès à mes données, et je me faisais sermonner à longueur de journée, c'était vraiment pénible... Et puis de fil en aiguille, sachant que je ne pourrais pas éternellement sécher les cours et que j'allais finir par me voir retirer mon bracelet, j'ai accepté le travail que me proposait depuis quelques temps déjà le copain d'un