- C'est avec Ragal que tu aurais voulu y aller, dans l'Au-delà ?
Elle soupire, reste silencieuse un instant.
- C'est surtout véritablement jeune, quand je ne connaissais pas encore le monde et les hommes, quand tout était encore possible, que crois-tu qu'il soit possible de faire quand on a mille quatre cent ans ? Crois-tu qu'il y ait encore résolution qui tienne ? Non, non, on ne change plus après un certain temps, on connaît ses limites et ses peurs, et on les accepte, on ne veut plus changer les choses...
Je reste pensif sur ces paroles. Me demandant ce que je pourrai devenir en vivant plus de mille ans. Qu'est ce qui peut résister à mille ans, y a-t-il combat que l'on puisse mener sur une aussi longue période ? Est-ce que linux aura supplanté windows dans mille ans ? À quoi bon vivre si tous nos combats sont morts ? Si tous nos combats sont devenus une anecdote du passé ? Elle se met sur le côté et se serre contre moi :
- À quoi penses-tu ?
- Je me demandais s'ils pouvaient exister des combats qui durent si longtemps, et si par exemple sur la Terre ce pour quoi je travaille pourrait m'occuper mille ans.
- Pour quoi travailles-tu ?
Elle est si différente, si douce, si jeune, si fragile... Serait-ce son vrai visage ? Ou juste une tentative pour retrouver un peu de jeunesse, un peu d'insouciance, avant de redevenir froide et distante...
- Dans le monde où je vis, notre technique est bien moindre que la votre, les gens travaillent encore, et ce que tu appelles les artificiels sont chez nous bien moins intelligents. Ils ne font guère que quelques tâches basiques et répétitives, même si leur évolution est tout de même fulgurante, mais il y a cinquante ans à peine ils existaient tout juste, et aujourd'hui des mondes virtuels, certes pas aussi avancés que celui dans lequel nous avons évolué tout à l'heure, existent déjà. Mais tous ces artificiels ne sont qu'un tas de composant électroniques agencés les uns avec les autres. Certains
s'occupent de faire l'affichage, d'autre conservent et stockent les informations, et d'autres encore traitent ces données. Pour les faire fonctionner correctement, nous utilisons un "système d'exploitation", qui est constitué de programmes de bas niveau qui permettent de lier et rendre cohérent le tout. L'entreprise dans laquelle je travaille fabrique un de ces systèmes d'exploitations. L'originalité de notre fonctionnement réside dans le fait que nous partageons avec tout le monde notre travail gratuitement. Dans notre monde nous vivons encore avec le système de points, d'argent, que vous aviez par le passé, et c'est vrai que certains en accumulent sans savoir qu'en faire, ou les utilisent comme un pouvoir. Toujours est-il que le but de beaucoup est d'accumuler le maximum de points, et ils le font en rendant le plus inaccessible possible leurs méthodes de fabrications, alors que nous pensons qu'il est meilleur pour tout le monde de partager pour avancer en même temps et plus vite, tous ensemble.
- Et ton combat, c'est ça ? Faire changer les gens d'avis, faire que les gens acceptent de partager plus pour avancer plus vite et tous ensemble ?
- Oui, c'est un peu ça.
- Tu penses que vous allez réussir ?
- Oui, nous réussirons, parce que notre combat utilise les bons côtés de l'homme, alors que le leur utilise son égoïsme et sa cupidité.
- Et si pourtant les mauvais côtés gagnent ?
- C'est que l'homme ne mérite pas plus que ce qu'il a, et peut-être alors, oui, je me retirerai dans quelque endroit comme Stycchia... Mais pour ça il faudrait que je puisse y retourner...
- Ton nouveau combat est peut-être de retrouver ton monde, et mille ans ne seront pas de trop, j'en ai peur...
Je soupire.
- Mon...
Je suis coupé, je ne sais pas comment dire "Dieu" dans leur