Ragal. C'était plus lui, à vrai dire, qui s'était rapproché de moi. Il était l'un de ces jeunes passionnés, et je devais avoir parlé avec lui de temps en temps de ce qu'il faisait, ses recherches, mais je parlais avec tout le monde... Il était arrivé après moi dans l'équipe, lui aussi faisait ses études, mais dans les faits le travail qu'il procurait s'apparentait presqu'en tout point à celui des chercheurs. Il avait presque trois ans de plus que moi, autant dire que lui aussi était loin de sa majorité. Mais je crois qu'il s'en moquait, comme tous les jeunes qui étaient là, il n'aspirait qu'à continuer son travail indéfiniment, trouvant toujours de nouvelles motivations, stimulations. Finir ses études lui importait peu, tout comme pouvoir quitter cette planète, car de toute façon il travaillerait ici toute sa vie, ou en tout cas une bonne partie.
Au début le tout commença par quelques anodins messages asynchrones (Pénoplée utilise une sorte d'acronyme propre à sa langue, par la suite, j'utiliserai pour ma part asym). Les asym étaient énormément utilisés, et remplaçaient toutes sortes d'équivalents existant avant l'époque du bracelet. Les asym consistaient en de petits messages écrits ou parlés que l'on recevait dans le bracelet, mais que nous avions la liberté de consulter quand bon nous chantait. Cette liberté de les lire à n'importe quel moment faisait leur succès face aux sym, les messages synchrones, qui nous coupaient dans ce que nous faisions. Bref tout le monde envoyait des centaines d'asym par jour à une ou plusieurs personnes sur tous les points qui ne nécessitaient pas de réponse immédiate, ou qui étaient juste une information potentiellement intéressante pour les destinataires. Certaines personnes recevait énormément d'asym, et moi-même n'étant que faiblement adepte des asym avant mon arrivée au labo, j'en devins rapidement une grosse consommatrice, d'autant que les chercheurs communiquaient presque exclusivement par ce mode.
Souvent Ragal et moi échangions un premier message formel sur un point lié au travail, puis de fil en aiguille les réponses dérivaient progressivement pour finir soit sur des boutades, soit sur des points un peu plus personnels. J'essayai de résister à répondre tout de suite, je ne voulais pas non plus qu'il se fasse des idées, même si je m'entendais bien avec lui. Assez souvent les asym finissaient en sym, toutefois. Nous commençâmes à nous connaître un petit peu par ce biais. Il était timide, je crois que cet aspect de sa personalité
m'attendrissait. À bien y réfléchir je crois que les hommes timides m'ont toujours fait craquer. Je ne me trouvais pas spécialement belle, toutefois j'avoue que j'avais une certaine attention de la part des hommes. Certainement devais-je paraître plus accessible. Je ne manquais donc pas d'être embêtée régulièrement par quelques garçons en manque d'affection. Ragal, lui, s'y prenais différemment. Je crois que je lui plaisais mais je n'en étais même pas sûre. Cette première phase dura quelques temps, et puis les choses s'accélérèrent après les jours de la grande session au labo. Régulièrement une grande réunion regroupait l'ensemble des chercheurs des centres de recherches dépendant du notre pour un état des lieux général des découvertes et des avancées. Souvent l'occasion de faire une mise au point sur les connaissances en cours, c'était tout autant le moment de pouvoir discuter, échanger et faire la fête avec des personnes habituellement bien trop surchargées et occupées pour vous accorder ne serait-ce qu'un instant. J'étais d'autant plus sensible à cet événement que j'avais activement participé à sa préparation. En effet celle-ci avait complètement monopolisé mon temps depuis de nombreux jours, à tel point que Phamb commençait à suspecter que je l'évitais, sans doute moyennement rassuré par les indicateurs de bonne fois de mon bracelet.
Je lui concédai ma soirée précédent l'événement ; j'étais de toute façon trop stressée pour dormir, ce qui habituellement est loin d'être mon genre. Conséquence inévitable, certaines activités se pratiquant de préférence sans bracelet, je ne le portais pas le matin et je me réveillai très en retard. Ces fichus robots n'avaient même pas eu l'idée de me signaler l'heure, alors que la veille même ils m'avaient conseillé de prendre une petit déjeuner copieux pour affronter la journée qui m'attendait. L'appartement, bien sûr, feignit de penser que ne portant pas mon bracelet, la journée devait avoir été annulée, comme s'il ne pouvait pas vérifier par lui-même. Il faut dire que j'étais tellement méchante avec mes artificiels qu'ils n'osaient plus trop me contrarier. Bref je l'envoyai balader en lui faisant remarquer qu'il lui aurait suffit de consulter les données du labo pour s'apercevoir du contraire. Énervée, je lui sommai de ne plus me déranger et de me trouver quelque chose à me mettre sur moi et sous la dent dans les dix minutes qui suivaient. Il était tôt, pourtant le ciel était déjà très bleu quand je m'octroyai une pause de quelques secondes sur la terrasse, pour voir comment allaient mes