Il est français ! Tentant sa chance après l'ouverture de cette boulangerie. Mais pour ma plus grande joie il n'est pas boulanger de métier, mais les autochtones étant crédules et le pain industriel pas si mauvais, ses affaires marchent tranquillement. Je me présente, lui explique mon besoin de travail pour quelques semaines. Et je le convaincs avec mon expérience ultime de fabrication de pain au levain au micro-onde et à la poële. Je ne lui demande qu'une mise à l'épreuve, de me prendre une semaine pour la fabrication de pain au levain, et si l'expérience et concluante, la moitié des bénéfices réalisés sur leur vente payera mon salaire. Marché conclu ! À moi à présent d'impressionner mon nouveau patron, Martin Laval. Je me suis moi-même présenté comme Franck Martin. J'avais déjà réfléchi à un nom d'emprunt, voilà bien longtemps, dans ma jeunesse. Dans un premier temps je me contente de la préparation du levain : un mélange de farine et d'eau, dans divers récipients mis à ma disposition. Cette petite tâche ne m'occupe que deux heures.
Une pause déjeuner s'ensuit, composée de sandwiches de la boulangerie à tarifs préférentiels. J'aide à la vente l'après-midi, en faisant goûter au dehors des petits bouts de baguette et de croissant, de façon à attirer les clients dans la boutique. Ma journée se termine à 19 heures, et Martin, satisfait de mon travail, me paye sur ce qu'il juge être le chiffre d'affaire supplémentaire fait grâce à moi, soit plus de cent dollars dans ma poche. Cent dollars avec lesquels je cours acheter deux trois caleçons, quelque tee-shirts et des affaires pour me rendre beau, et propre surtout. Cent dollars, certes, mais la journée n'en a pas été moins épuisante que la précédente. Et mon butin en est même encore inférieur, après le paiement de l'auberge le matin et de mes affaires le soir. Mille vingt dollars. Vingt dollars de plus que ma mise initiale. Je touche deux mots à mes compagnons de chambrée, je n'ai pas encore eu le temps ou l'envie de sympathiser, et c'est sur un soupir que je m'endors...
Samedi 30 novembre. Les jours se suivent. Je devrais donner des nouvelles à Patrick, ils ne doivent pas le surveiller, lui. Faudra-t-il que je me construise une nouvelle vie ? Faudra-t-il que j'oublie tout de mon passé pour repartir de nouveau ? Il est bon parfois, certes, de prendre quelques distances, mais tiendrai-je longtemps loin de tous ceux que j'aime. Je suis mélancolique, ce matin. Pourtant c'est souvent plus justement le soir, après tous les échecs de la journée, que l'on peut l'être à raison. Trêve de plaisanterie je me sors du lit, j'inaugure à peine mes nouvelles affaires de toilette dans une courte douche. Je vais au plus tôt que je peux à la boulangerie. Martin est déjà là. Mon levain n'a pas encore commencé à lever, et il lui faudra plusieurs jours pour le faire. Je tente d'être créatif pour améliorer la qualité du pain que fait Martin. Il utilise principalement de la pâte importée, mais commence à faire quelques expériences avec de la levure de boulanger. Il a plusieurs bouquins expliquant l'art de faire du pain, et je tente de lui apporter mon expérience. Je pense que j'avais assez bien saisi la manière de pétrir et faire lever la pâte. Je pêchais principalement par mon manque de four. Mon premier pain est plutôt réussi, bien que pas tout à fait assez cuit. Toujours est-il que Martin est content. Je prends un peu l'air dehors en le faisant déguster par petits bouts aux passants. C'est samedi, il y a du monde dans les rues. Je suis enchanté que les gens semblent apprécier mon premier réel pain. Ce petit succès me donne du courage et je décide de faire une nouvelle fournée, plus conséquente celle-là. Le résultat est plus mitigé, en tous cas bien en deçà de ce que j'espèrais. Bien entendu c'est beaucoup moins évident quand on pétrit des kilos de pâte. Tout est plus simple avec juste de quoi faire un pain ou deux. Nous parlons peu avec Martin. Nous convenons malgré tout que je suis son jeune cousin venu d'Europe passer des vacances, et apprendre l'art d'être boulanger. De cette façon nous ne parlerons que d'une seule voix si des services venaient à contrôler mon statut de travailleur.
Martin me paye mon dû, qui s'élève au même montant que la veille, légèrement moins. Le samedi la boutique ferme plus tôt, et il n'ouvre pas le dimanche. Je lui propose de tenir le magasin le dimanche matin mais il refuse. Il dit qu'il s'occupera lui-même de nourrir le levain, et je sens bien qu'il ne me fait pas encore