page 376 le patriarche 377

Erik me lance un faux regard de colère et Naoma regarde rêveusement les arbres à vingt mètre de nous.

- Vous êtes sûr qu'on ne peut pas faire de feu, ce serait bien quand même...

Pas de feu, mais une fois le poisson mangé cru, se pose le problème de l'eau, car autant la jungle regorgeait de fruits juteux et était quotidiennement témoin d'averses, autant rien de tel sur le bord de mer. Rapidement assoiffés par le sel, nous comprenons que de rester ici ne pourra pas se faire sans un moyen de produire de l'eau potable. Avant le radeau la priorité est donc de confectionner un récipient, soit pour tenter par un mécanisme d'évaporation et de condensation d'éliminer le sel, ou, à défaut, de retourner dans la cuvette pour faire une réserve. Et le vrai travail de Robinson commence alors, tresser des cordes avec des lianes et des herbes, tailler des pierres pour les rendre tranchantes et couper le bois. Il y a bien quelques baies dans les sous-bois, mais rien de comparable au désaltérants fruits que nous trouvions de l'autre côté. Deux jours sans averses nous permirent de confectionner nos premiers pseudo-bols dans des troncs d'arbres, mais si le système d'évaporation fonctionne, celui de condensation moins, et impossible de récupérer de l'eau douce. Nous avons par contre profusion de sel, et décidons de l'utiliser pour tenter de conserver quelques poissons mis de côté.

Sans trace de nuages de pluie à l'horizon, nous décidons d'organiser pour le lendemain une expédition de l'autre côté du rebord, vers la cuvette. Nous sommes maintenant en possession de plusieurs récipients, certes plutôt lourds, pas très esthétiques et aux capacités modestes, sans doute pas plus de quelques litres, et de nombreuses cordes pour les transporter en bandoulière. Malheureusement ils ne nous donneront pas plus d'un jours ou deux de réserve, mais nous n'avons guère le choix, et nous espérons que cette eau ne s'évaporera pas trop vite...

Difficile nuit la gorge sèche, avec mal de tête et mauvais souvenirs de la chaleur australienne. Nous mangeons peu le matin, un peu de poisson séché au soleil, mais il ne fait que nous enflammer la gorge un peu plus. Nous continuons à l'ombre nos travaux d'élagage de tronc et en vue de la confection d'un radeau. Mais trop impatient d'une douche rafraîchissante, nous partons le soleil encore loin de

son plus haut vers les sommets. Somme toute la montée est plus longue que nous le pensions, et sans doute deux bonnes heures si ce n'est plus nous sont nécessaires avant d'entrevoir de nouveau notre résidence d'accueil. Il est encore tôt et, après avoir descendu un bon quart de la pente vers la jungle, nous nous plaçons tant bien que mal dans les rares ombres que nous trouvons, et attendons impatiemment l'arrivée de la pluie. Elle arrivera comme toujours, quelques heures après que le soleil soit passé à son zénith.

Nous buvons et nous rinçons sous les tièdes et grosses gouttes. Mais nos récipients sont loin d'être la panacée, et après bien des labeurs nous ne ramenons sur notre petit chantier même pas de quoi subsister un jour de plus, à ce déprimant constat s'ajoutant que la descente au soleil a chauffé l'eau et la rend imbuvable. Mais qu'importe, elle se rafraîchira pendant la nuit et nous n'avons quoi qu'il en soit guère le choix. Nous convenons que l'un de nous ira de nouveau le lendemain remplir deux nouveaux récipients. Je m'affaire le reste de la soirée à justement creuser et augmenter la contenance de ceux que nous possédons déjà, alors qu'Erik continue à rassembler des rondins en vue de la fabrication du radeau, et que Naoma tresse de nouvelles cordes. Les arbres sont des types de palmiers, le coeur en est tendre et le bois facile à travailler, ce qui est une aubaine face à nos faibles outils.

Le poisson séché au soleil est assez bon, et nous avons presque complètement cessé d'en manger du cru. Nous complétons notre alimentation avec quelques algues qui ont l'air comestibles, et surtout les baies et ces sortes de racines que nous déterrons facilement. La vie n'est pas aussi facile que dans la cuvette, mais le travail quotidien et le radeau progressant nous donne du courage. Je tente de récapituler le temps depuis lequel nous sommes partis de Sydney, ou au moins, si nous ne savons pas le temps que prend la téléportation, le nombre de jours que nous avons connus. Sur la Lune, Erik et Naoma me disent avoir passé huit jours. Nous sommes restés cinq jours aux bâtiments avant que les hommes-abeilles n'arrivent, puis notre trajet jusqu'ici a pris trois jours. Et ce soir voilà six jours que nous sommes là, soit vingt-deux jours au total, plus de trois semaines. Il est difficile de dire si les jours sont plus longs ou plus courts ici, mais ils ne semblent pas significativement différents de ceux sur la Terre.