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- Si, voilà, c'est elle, comme vous voyez elle est très jeune.

Elisabeth sortit ses lunettes et regarda la photo avec attention. Carole avait le coeur qui tambourinait, elle avait des picotements sur le cuir chevelu et le ventre noué. La vielle dame redonna la photo à Thomas et lui demanda :

- De quand date cette photo ?

- Sans doute d'il y a un ou deux ans.

La vieille dame resta un moment silencieuse, puis regarda Thomas et Carole en souriant :

- C'est elle. Du moins je le crois. La photo est petite, je pourrais la confondre, sans doute, voilà plus de soixante-quinze ans désormais, mais elle lui ressemble, et les chances sont tout de même faibles pour que deux personnes qui se ressemblent et qui aient le même prénom ne soient pas les mêmes.

Thomas mitigea cette dernière constatation :

- À soixante-quinze ans d'intervalle, les chances sont plus faibles, c'est sans doute juste un coïncidence, Seth ne peut pas avoir soixante-quinze ans sur cette photo !

Carole, qui savourait presque l'état d'excitation dans lequel la mettait l'hypothèse que ce fut bien la même personne, tenta tout de même d'y proposer une explication plus raisonnable :

- C'est peut-être sa petite-fille, qui aurait le même prénom ?

Thomas fut satisfait d'une telle hypothèse, il refusait catégoriquement d'envisager l'hypothèse invraisemblable que Seth put ne pas avoir vieilli. La vieille dame, ne voulant pas entrer dans ce débat, tout du moins pas tout de suite, confirma :

- Oui, c'est tout à fait plausible.

Elisabeth se tut alors et le silence se fit pendant quelques instants, Thomas ne résista pas à l'envie de manger un nouveau

biscuit, Carole mourrait d'envie de demander l'histoire de Seth, après que la vieille dame ait dit, dans le vestibule, qu'elle n'aurait pas été ce qu'elle fut sans elle. Mais Carole était impressionnée par cette femme, cette femme, presque, qu'elle aurait voulu déjà être, ou devenir, au moins. Ce fut Thomas qui rompit le silence :

- Mais, cette Seth que vous avez connue, comment était-elle, enfin, du point de vue du caractère, je veux dire.

La vieille dame, perdue dans ses pensées, regarda Thomas fixement d'un air grave puis lui sourit :

- Ah, l'histoire de Seth...

Elle se tut, Carole et Thomas retinrent leur souffle. Elle reprit d'une voix plus grave.

- J'ai promis... Il y a... Oh ! Soixante-quinze ans oui... De ne pas la raconter. Mais est-ce que ma promesse tient encore maintenant qu'elle est morte.

Thomas la coupa :

- Peut-être elle n'est-elle pas morte, après tout, si celle que je connaissais n'était que sa petite-fille ?

La vieille dame sourit :

- Ah ! Je ne voulais pas vous contrarier, mais, je vais être franche avec vous, je ne pense pas que ce fut sa petite-fille. Je pense que c'était elle, toujours la même, et finalement de le croire me donne l'explication de bien des choses... Elle était déjà mourante à l'époque... Toute cette décadence... Ce siècle de mort et de mal... Enfin ! Reprenons...

À cet instant un domestique vint indiqué que le déjeuner pouvait être pris, ils décidèrent donc de se déplacer dans la salle-à-manger. La table, comme ils s'y attendaient, était superbement mise. Elle était immense mais ils furent tout trois installés à une extrémité, la vieille dame expliquant qu'il y avait longtemps qu'elle ne se fatiguait plus à hausser la voix pour se faire entendre de l'autre bout. Elle fut donc placée à une extrémité, Thomas à sa