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pour ne pas qu'elle s'inquiètât, et surtout il savait que si elle apprenait qu'il était venu sur Paris sans passer la voir, ses remontrances lui seraient bien plus difficiles à supporter que de simplement la voir cinq minutes le jour même. Il manqua d'écraser un gamin qui traversait la route avec son vélo juste en face de chez lui. Il n'eut même pas le temps de s'excuser, le marmot prit la poudre d'escampette sans attendre son reste, sans doute dérangé dans quelque planification de bêtises.

Sa mère n'était pas là, mais toutes les zones délimitées par les enquêteurs étaient par contre encore bien présentes, et il renonça finalement à rentrer chez lui. Il ne resta que dix minutes, le temps de boire un verre d'eau fraîche et de laisser un mot à sa mère. Il ne voulait pas l'appeler, il était hors de question qu'il allât prendre le thé chez une quelconque amie de sa mère.

Il se décida à repartir pour la Normandie, il redérangea le même gamin en vélo devant le portail, sans doute était-il en fait intrigué par cette histoire de police. Pour une fois qu'il se passait quelque chose dans le coin, rien de bien surprenant.

Cette fois-ci il roula vite, trop vite, sans doute pensait-il pouvoir un instant laisser le passé derrière, emporté par le vent. Mais c'était trop tard et il le savait. Qu'allait-il se passer, maintenant ? Il aurait voulu mourir peut-être, mais il était trop lâche pour ça, bien trop lâche. Il était trop lâche pour tout. Il n'était qu'une loque. Il se demandait même comment il avait réussi à entrer dans la police. Il fallait des hommes intègres et droits, des hommes forts. Des hommes comme Stéphane. Il ne l'était pas, ne l'avait jamais été.

Seth ! Ah Seth ! Pourquoi ? Pourquoi ? Que s'était-il donc passé ? Qu'avais-tu donc fait ? Qui, mais qui avais-tu rencontré ? C'était peut-être l'occasion de savoir, finalement. L'occasion de mettre de la lumière sur quatre années d'un faux paradis.

Il passa la soirée assis sur la plage de galets, à pleurer, à se demander ce qu'allait être sa vie à présent. Il dîna à peine. Il dormit peu et mal, comme toutes les nuits depuis lors.

Il dormait pourtant quand Emmanuelle arriva, le samedi

matin. Elle s'en aperçut et s'excusa de l'avoir réveillé. Elle n'avait pas pris de petit déjeuner, ils le prirent donc ensemble. Il n'avait déjà plus d'appétit. Elle se contenta d'un café et de deux biscuits périmés. Toujours autant focalisée sur son poids. Elle lui demanda s'il allait, il répondit oui, puis non. Voilà longtemps qu'il ne l'avait pas vue, un an, presque. La dernière fois qu'ils s'étaient vus ils avaient fait l'amour, c'est ce qui le rendait confiant qu'ils le feraient de nouveau cette fois-ci. Il avait trompé Seth, oui, et après ? Combien d'amants avait-elle eu, elle, dans ses escapades inconnues ?

Pourtant Emmanuelle était beaucoup moins jolie que Seth, même si son obsession de l'apparence physique la rendait belle, rendait son corps attirant, peut-être plus que Seth encore, car elle en jouait, le mettait en avant, dévoilait et suggérait ses formes. Mais Seth était naturellement plus belle, plus pure, plus parfaite. On sentait bien quelque chose de non naturel chez Emmanuelle, quelque chose de travaillé, à grands coups de Gymnase Club et footing matinaux. Seth était belle par nature, son corps était la définition même de la beauté, sans qu'elle n'eut rien à faire. Seth était une déesse, et aucune femme ne pouvait être comparée à elle.

Mais il était tout de même en érection en buvant son thé, en s'imaginant déjà Emmanuelle presque nue allongée les jambes écartées sur la table.

Ils parlaient de choses sans importance, des diverses fois où ils s'étaient chamaillés quand ils sortaient ensemble, de ce que chacun avait fait dans l'année, ou presque, écoulée depuis leur dernière rencontre. Elle le fit rire, il toussa, manqua de s'étouffer. Sa brûlure lui fit mal.

Sa brûlure ! Son érection passa. Sa brûlure. Il ne pouvait pas la montrer. Qu'allait-il expliquer ? Elle n'était pas encore guérie. Devait-il renoncer à Emmanuelle ? Dans le noir peut-être ? Peut-être juste cette nuit ? Ou alors rester habillé, juste là, juste par derrière sur la table en lui levant sa jupe ? Son érection revint. Mais elle voudrait le voir nu, elle avait toujours voulu le voir nu, voir son corps musclé, ses pectoraux se contracter... Ah ! devait-il vraiment oublier cette idée ?... Son érection passa. Ils parlèrent d'aller se promener sur la plage.