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ressaute dessus immédiatement mais quand je la trouvai du regard elle était déjà repartie en courant. Tant bien que mal je me remis debout et au pas de course à sa poursuite, bien trop décidé à savoir qui elle était et pourquoi elle m'en voulait à ce point. J'avoue que j'étais un peu perdu, ne comprenant absolument pas d'autant que je ne voyais pas du tout qui elle pouvait bien être.

Mais mon empressement fut inutile, elle m'attendait rue Charles V, une petite rue perpendiculaire à la rue Beautreillis ; mais cette fois de manière moins vicieuse, pas dans le coin comme tout à l'heure, mais au beau milieu, presque en défi, les mains sur les hanches. Un peu surpris j'eus un mouvement de recul avant de m'arrêter. Je ne savais trop comment réagir. Je me risquai à m'approcher un peu, essoufflé, me remettant de ma course, en marchant lentement. Je tentai tant bien que mal de dire une banalité :

- Salut, euh tu sais si tu es jalouse à ce point-là de ma superbe coiffure il faut me le dire je te filerai l'adresse de mon coiffeur, ce sera plus simple.

J'admets après coup que ce n'était pas vraiment subtil, voire carrément stupide, mais sur l'instant il fallait bien trouver quelque chose et j'avais l'esprit plus concentré sur mes douleurs aux bras et au ventre. Quoique quelques instincts de pavanage devaient bien augmenter ma présence d'esprit. Elle esquissa un sourire, je ne sais pas trop à bien y réfléchir si elle comprit ce que je dis ou pas, après tout elle n'avait pas crié en français la veille dans le parc. J'en profitai pour la regarder un peu plus en détail. Elle devait faire à peu près ma taille, habillée on ne pouvait plus banalement avec un pantalon assez ample blanc-gris, un tee-shirt rose pâle délavé, pas assez moulant pour que je devine ses formes, et une paire de baskets tout ce qu'il y a de plus classique. Sa tête me disait vraiment quelque chose, mais c'était ancien, quelqu'un que j'avais connu tout petit, sans doute une ressemblance. Elle était blonde-châtain clair, plutôt jolie, très jolie même, l'air d'avoir un sale caractère. Et je dois bien avouer que cette façon de prendre le contact me convenait assez, même si c'était quelque peu douloureux... Il devait être un peu moins de 11 heures, j'avais oublié ma montre à la maison. Il faisait plutôt soleil, la rue était déserte. J'avais une irrésistible envie de la frapper de toutes mes forces.

Tout ceci ne dura que quelques secondes, pendant lesquelles elle semblait hésiter, puis elle repartit d'un coup, sans me laisser la moindre chance de la prendre de court. J'hésitai moi aussi quelques secondes, me disant qu'après tout ce devait être une jeune du coin qui me prenait pour un autre, un de ses anciens copains ou je ne sais qui. Et lors de notre prochaine rencontre, s'il y en avait une, je lui dirais comment je m'appelle, elle s'apercevrait de son erreur et tout rentrerait dans l'ordre. Et il serait peut-être même possible que l'on sympathisât.

Mais je suis bien trop curieux, et je ne pouvais raisonnablement en rester là sans savoir qui elle était et ce qu'elle voulait ; je repartis alors une fois de plus à sa poursuite. Mes quelques secondes d'hésitation lui donnèrent pas mal d'avance. Malgré tout je l'aperçus quand j'arrivai dans la rue suivante, la rue du Petit Musc, en train de traverser le Quai des Celestins, à côté de la Seine, en direction du pont de Sully, qui passe sur le bout de l'Île Saint Louis et rejoint le Boulevard Saint Germain de l'autre côté. Je forçai le rythme, mais elle courait vite, et de plus j'arrivai pile au moment où le feu passait au vert, ce qui n'arrangea pas mes affaires. Bref après quelques coups de klaxon de Parisiens auxquels j'ai dû faire perdre deux microsecondes en traversant la route, mais c'est à croire que klaxonner est génétiquement ancré dans le parisien, je la vis bifurquer dans la rue de Saint Louis en L'Île qui traverse toute l'île Saint Louis, comme son nom l'indique, jusqu'au pont qui donne sur l'arrière de Notre-Dame, sur l'Île de la Cité.

Et ce coup-ci ce fut moi qui eus un peu de chance car elle manqua de se faire renverser par une voiture au moment où elle passait au niveau de la rue des Deux Ponts. Elle tomba tout de même un instant au sol. Ce qui me permit de gagner quelques mètres sur elle, mais qui lui donna aussi l'occasion de jeter un oeil en arrière et de voir que j'étais toujours à ses trousses. Elle n'en sembla pas satisfaite outre mesure, parce qu'après un moment d'hésitation au niveau du carrefour, elle changea de direction et partit, il me sembla, encore plus vite et de nouveau vers la rive gauche, en direction du pont au bout de la rue en question dont j'ai oublié le nom, dans l'hypothèse où je l'ai connu un jour... Après vérification, le pont de la Tournelle.