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Sarah termine son récit, Énavila s'est endormie depuis une bonne heure. Je suis encore plus interloqué qu'après le récit de la belle Antara, à propos de l'épisode reptilien d'Adama. Je m'en veux aussi de ne pas avoir plus de présence d'esprit ! Je suis aussi vraiment stupide ! Je n'avais pas fait le rapprochement entre Adama, Ève, et nos Adan et Ève ! Il faut dire qu'avec leur accent j'aurais bien eu du mal à en deviner l'écriture dans nos langues... Sarah poursuit :

- L'évolution de la Terre a été spectaculaire, et elle l'est d'autant plus qu'elle s'accélère alors que nous avions, après le MoyotoKomo, qui correspond plus ou moins à votre niveau technique d'il y a cent ans, connu un très fort ralentissement, voire une récession dans notre progression technique. Dans ce dernier siècle vous avez parcouru le chemin qu'il nous a fallut presqu'un millénaire à faire sur Adama. Nul doute que si l'expérience est poursuivie, d'ici à quelques siècles votre avancée sera proche de notre niveau actuel.

- La Congrégation s'opposera à la poursuite de l'expérience ?

- Si la Congrégation apprend les conditions de l'expérience, et a accès aux détails de votre évolution, aux guerres, aux injustices engendrées par votre mode de fonctionnement, nul doute que les avis seront majoritairement pour un arrêt immédiat de l'expérience et votre intégration dans la Congrégation.

- Mais cela provoquerait sans doute un choc sur Terre aussi, de savoir que nous ne sommes que des cobayes.

- Oui, mais quoi ? Je ne sais plus aujourd'hui. Votre monde m'effraie. Il m'effraie surtout car il me montre le vrai visage de l'homme, un peu le reflet de moi-même, qui ait contribué pendant plus de deux mille ans à suivre votre développement, sans le courage

d'intervenir quand la peste, quand la famine, quand la guerre, quand toutes ces atrocités étaient commises. Je crois que j'ai peur d'être jugée, pour ça...

J'avoue que je suis moi aussi pensif à ces commentaires. Qu'aurai-je fait, entre laisser à la Terre l'illusion de la liberté, et cette incommensurable curiosité scientifique de laisser aller les choses sans les perturber, ou stopper tout, donner à chacun un bracelet et un coin de paradis, et oublier tout ça, oublier notre histoire, oublier nos combats. Et d'une certaine façon nous sommes aussi responsables, nous-mêmes, de laisser ces guerres et ces injustices. Mais en réalité je sais qu'il n'y a pas à hésiter, la Congrégation et l'intégration de la Terre est le seul choix humain, et c'est celui pour lequel je devrais me battre, même s'il détruit mon monde, mon histoire, mes références, ma vision des choses, ma vie...

Sarah me sort de mes pensées :

- Mais maintenant... Après l'attaque de la Congrégation, le fait que nous sommes perdus, je ne sais pas trop ce qu'il va advenir.

- Vous pensez que nous ne nous en sortirons pas ?

- Je ne suis pas très optimiste. Nous sommes perdus dans un vaisseau à moitié détruit dans un système inconnu. Notre seul espoir résidant sur notre capacité à atteindre l'une des planètes de ce système et d'y trouver un moyen pour envoyer un message de détresse... D'autre part il est à craindre que nous serons considérés comme morts suite à l'attaque, et que nous serons réactivés avec les dernières sauvegardes, et personne, jamais, ne se souciera de nous...

Je réalise en effet que ne portant pas le bracelet, la Congrégation n'a aucun moyen de vérifier si nous sommes encore en vie, et vue notre subite disparition, Sarah a raison de penser que nous serons considérés comme morts lors de l'attaque de la station.

- En gros personne ne nous cherchera.

- J'en ai peur...