page 494 le patriarche 495

le genre de gars qui considérait chaque épreuve de la vie avec plaisir car elle allait le rendre plus fort. C'en était désespérant, même.

Deux ou trois jours passèrent. Si Ragal donnait l'air de s'en moquait, moi je n'allais pas très bien. Je l'appelai de temps en temps. Il me manquait. Je tenais plus à lui que je ne le pensais. Il me proposa une balade, je refusai de le voir. Il ne comprenait pas. Il admettait que je pusse ne plus vouloir sortir avec lui, mais de là à refuser de le voir, il ne pensait pas avoir été si dur avec moi. Mais ce qu'il ne voyait surtout pas, c'était que je serais retombée dans ses bras en cinq minutes si je le revoyais.

Je laissai passer quelques jours, mais c'était dur, je pleurai tout le temps, et dès qu'il me passait un sym c'était la catastrophe. Phamb venait toujours me voir de temps en temps, mais bien sûr j'étais gênée d'être triste devant lui, je sentais bien que je le blessais, et qu'il était encore un peu amoureux de moi. J'étais complètement à la rue dans mes études, j'allais à l'université un jour sur deux, je n'avais plus envie de sortir, mais pourtant si je voulais l'oublier c'était ce que je devais faire, rencontrer de nouvelles personnes, penser à autre chose...

Mais je ne voulais pas l'oublier. Et une dizaine de jours après l'avoir quitté, il vint passer une soirée à la maison. Il ne tenta rien, nous parlâmes de tout, de l'ambiance au labo, du débat sur le travail, du fait qu'il aimerait bien apprendre à piloter... Nous parlâmes de tout sauf de ce dont je voulais qu'on parle, de nous. Nous finîmes la soirée par une partie de Vergogia. Vergogia était un monde parallèle comme il y en avait des milliers, souvent nous nous attachions à l'un d'entre eux quand nous en découvrions le principe, le plus à la mode, puis nous le gardions pratiquement pour toujours. Il fallait beaucoup de temps pour entrer dans le jeu, c'était un peu comme une deuxième vie, et une fois le personnage créé et que nous connaissions un peu le monde, il devenait rebutant de devoir tout réapprendre pour un nouveau jeu. J'avais un peu joué plus assidûment étant jeune, quand je pilotais, et j'étais devenu pas trop mauvaise à l'époque, et puis j'avais un peu laissé ces divertissements de côté, ils prenaient tellement de temps, et je préférais rencontrer les gens en vrai. L'amour virtuel était pourtant loin d'être désagréable, au niveau fantasme c'était géant. Je m'étais envoyée en

l'air avec des purs étalons de folies, c'était le pied total. Mais il y avait quelque chose de pas naturel, comme un goût amer, un remord. Les sensations étaient pourtant rendues à merveille, et ils valaient largement les meilleurs coups que j'avais pu trouver dans la réalité, mais, justement, ce n'était pas la réalité. Et autant des milliards de personnes trouvaient là le moyen de remplacer un monde qui leur paraissait aseptisé et plat, autant ce n'était pas si anodin et nos comportements dans les virtuels avaient un impact dans le monde réel. Les avis pouvaient tenir compte, d'ailleurs, de ce que l'on faisait dans les mondes virtuels, tout le monde y avait accès. Bien sûr tout le monde comprenait que ces virtuels étaient un moyens de s'évader, de faire une pause, pourtant ils révélaient aussi notre nature et nos aspirations. Par conséquent rapidement les gens qui en abusaient étaient remis dans le droit chemin et voyaient leurs accès coupés ou limités.

J'avais joué un peu, quand je pilotais, Ragal aussi, moins que moi, il avait toujours préféré le monde réel, celui où se passaient vraiment les choses, celui où des robots découvraient sans cesse de nouvelles espèces, de nouveaux mondes, de nouvelles planètes, celui ou d'autres robots créaient des habits, des musiques, des bâtiments et des vaisseaux formidables frisant la vitesse de la lumière. Ce soir là, je pensais qu'en jouant je pourrais peut-être trouver un moyen de faire l'amour avec lui virtuellement, et pourquoi pas enchaîner sur du concret.

Mais Ragal me proposa toute autre chose. Il connaissait l'intelligence de Vergogia, il avait participé à l'élaboration d'une similaire quelques années plus tôt. Il connaissait ses limites, ses failles, les situations où elle ne savait pas comment interpréter correctement ce qu'il se passait. Je m'amusai comme une petite folle, à passer par des trous de vers pour aller d'un endroit à l'autre, aller dans des lieux non visités, d'où l'on pouvait mettre à l'épreuve l'imagination créatrice de l'Intelligence en s'y prenant à deux pour accumuler les petits détails qui faisaient qu'au final il y avait une incohérence qui se créait. Trois heures de délire avant d'être bannis par l'Intelligence, exténuée de nous remettre à l'ordre.

Il était tard, il partit. Je restai seule. Je voulus le revoir le lendemain, il n'avait pas le temps, mais nous convînmes d'aller