réintégrai mon initial, il n'avait que trente-huit ans, il me restait de longues et paisibles années. Certaines personnes veulent à tout prix conserver leur initial jeune, dans l'espoir futile de peut-être avoir, après plusieurs siècles de vie, le désir de faire un enfant, ou la sensation non moins stupide de se sentir réconforté de pouvoir retrouver sa véritable enveloppe charnelle de temps en temps. Je n'étais pas de ces personnes et je me laissais vieillir. Peut-être la vieillesse m'apporterait-elle un peu de réconfort...
Mon initial mourut alors que j'avais mille soixante-douze ans, lui-même ayant six cent trente-neuf ans. La mort est une de ces rares expériences que nous ne pouvions connaître, sauf cas exceptionnel. Je me sauvegardais tous les dix jours environs, ma mort me fis perdre trois jours. Trois jours qui ne sont pas en moi. Je retrouvais après un corps jeune et dynamique. J'habitais à l'époque dans une cité plus au nord, dans la bande de climat plus tempéré, où se trouvait la plupart de ma famille, dont ma mère. Je la quittais suite à cet événement, pour ce village, petit îlot de solitude, où la vie tranquille au bord de la mer s'agrémentait de quelques voyages de ci de là pour rendre visite à une amie, aller voir un concert, une exposition, une conférence donnée par un ancien chercheur qui apprenait encore. Les gens préféraient apprendre par l'intermédiaire d'autres personnes, ils cherchaient plus je crois le contact humain que la connaissance en tant que telle.
Mais finalement la vie ici était simple et tranquille. Nous avions nos petites habitudes, nos visites régulières, nos balades en abeilles. Que demander de plus après tout, une mer sublime gorgée de poissons, une vie de farniente où tout désir était satisfait dans la seconde par les artificiels, un corps jeune et parfait dans une humanité qui ne connaissait que le plaisir et la détente ? Et le temps passa. Chacun s'accommodait finalement de petits plaisirs de la vie, oubliant l'ambition, le pouvoir. Beaucoup s'adonnaient à l'art.
Un jour que nous faisions une escapade en abeille, Me'ho, ma voisine, détecta avec son scanner une fumée au loin. Rapidement tout le monde décida d'aller jeter un oeil sur place. Dans un des grands cratères au Sud, près d'une ancienne station d'observation, nous découvrîmes votre feu. Personne n'arriva à expliquer qui avait bien pu faire du feu, cette pratique était complètement inconcevable. Me'ho
distingua votre passage dans les sous-bois, et c'est alors que vous revîntent. Nous partîmes sur le champ, apeurés, complètement décontenancés, sans la moindre idée de qui vous étiez, et d'où vous veniez. De retour au village le conseil se réunit sans plus tarder, pour une fois qu'il y avait du nouveau, presque tout le monde était présent. Mais nos observations étaient très partielles, et même les bracelets ou le scan des combinaisons-abeilles ne donnèrent pas beaucoup plus d'informations. Vous n'étiez pas repérés et donc ne deviez pas porter de bracelet, ce qui nous intriguait beaucoup. Si certains voulaient déjà faire appel aux artificiels de défense, la raison l'emporta et nous décidâmes dès le lendemain de repartir pour le cratère. Mais vous aviez alors pris la route, et nous ne vous distinguâmes que partiellement à travers l'épais haut-bois.
Le lendemain nous perdîmes votre trace. Nous retournâmes aux bâtiments, mais rien, les téléporteurs semblaient endommagés, car ils n'indiquaient aucune activité depuis plusieurs centaines d'années. Il nous fut alors impossible de savoir si vous étiez toujours là ou repartis. Nous envoyâmes le jour suivant quelques drônes pisteurs, mais la multitude des espèces vivantes présentent dans ses forêts les confondit. Nous n'avions jamais eu besoin de matériel plus perfectionné au village, et demander des renforts aurait sans doute fait affluer une quantité astronomique de curieux. Nous voulions tout sauf une perturbation de notre tranquillité, et le village décida qu'il aviserait si d'aventure vous vous remanifestiez.
Votre apparition tombait d'autant plus mal que se déroulait la fête annuelle à la capitale de Stycchia. D'une part le village allait généralement, à une ou deux exceptions près, en totalité aux presques deux mois de festivités, et d'autre part demander de l'aide à ce moment c'était s'assurer d'avoir les trois-quarts de la population de Stycchia dans les environs pendant au moins un mois. La capitale ne se trouvait qu'à quelques milliers de kilomètres, et avec une combi abeille en mode grande-vitesse il fallait une bonne heure tout au plus pour venir ici. La population de Stycchia ne dépassait pas les quinze millions, mais malgré tout cela représentait tout de même du monde au même endroit ! Je faisais souvent partie des personnes qui n'allait pas à cette fête. Il y avait beaucoup trop de monde pour moi, et il était loin le temps où j'aimais sortir dans des soirées regroupant des